Avis 20232672 - Séance du 22/06/2023

Avis 20232672 - Séance du 22/06/2023

Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA)

Le président de la communauté de communes Haute Maurienne Vanoise a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 3 mai 2023, à la suite du refus opposé par le directeur de l'Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) à sa demande de communication des documents relatifs aux installations dont cet établissement dispose sur son territoire dans son établissement situé à X et, plus particulièrement :
1) la liste détaillée des immobilisations corporelles, comptabilisées au titre des exercices 2016, 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021 et concernant notamment les terrains (nus ou aménagés ou bâtis), à savoir :
a) les agencements et aménagements de terrains ;
b) les constructions ;
c) les bâtiments ;
d) les installations générales et agencement des constructions ;
e) les ouvrages d'infrastructure (voie de terre, voies d'eau ... ) ;
f) la construction sur sol d'autrui ;
g) les installations techniques, les matériels et les outillages ;
2) la valeur brute de comptabilisation de ces immobilisations et leurs dates d'acquisition ;
3) leur ventilation entre celles affectées au secteur lucratif et celles utilisés par le secteur non lucratif au regard de la cotisation foncière des entreprises (CFE) au titre des exercices 2016 à 2021 ;
4) la clé de répartition, s’agissant des immobilisations affectées consécutivement aux deux secteurs (lucratif et non lucratif).

1. Sur la compétence de la CADA :

En premier lieu, en réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur de l’ONERA a informé la commission que la divulgation de la ventilation des immobilisations corporelles du X reviendrait à dévoiler des informations se rapportant aux prestations réalisées par l’établissement en faveur d’opérateurs économiques privés, n’entrant pas dans le champ d’application du code des relations entre le public et l’administration.

La commission rappelle qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission ».

La commission précise également que si les éléments se rapportant à l’activité commerciale assurée par les établissements publics sont exclus du champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l’administration, il n’en est pas de même des pièces administratives et comptables relatives aux missions de service public qui leur sont confiées, qui constituent des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Elle estime que revêtent également un caractère administratif les documents comptables comportant des données agrégées qui se rapportent pour partie à des activités étrangères aux missions de service public, lorsque les missions de service public constituent l'activité principale de l'établissement et que ce dernier n’est pas en mesure de produire, par une comptabilité analytique, les seules données s’y rapportant (conseil du 7 février 2008, n° 20080702).

En l’espèce, la commission relève qu’aux termes de l’article R3423-1 du code de la défense : « L'Office national d'études et de recherches aérospatiales est un établissement public à caractère industriel et commercial, doté de l'autonomie financière et placé sous l'autorité du ministre de la défense ». En sus de sa mission de service public consistant à assister les institutions en tant qu’expert de l’industrie aérospatiale, qui constitue son activité principale, l’ONERA exerce une activité commerciale auprès des industriels des secteurs aéronautique et spatial. La commission comprend des informations portées à sa connaissance que les immobilisations corporelles du X sont affectées à l’exercice de ces deux secteurs d’activité. Elle estime, par suite, en application des principes rappelés ci-dessus, que les documents sollicités doivent être regardés comme constituant, pour le tout, des documents administratifs soumis au droit d’accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.

En second lieu, la commission rappelle que selon le I de l'article 1er de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique : « Sous réserve des articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration (…), les administrations mentionnées au premier alinéa de l'article L300-2 dudit code sont tenues de communiquer, dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, les documents administratifs qu'elles détiennent aux autres administrations mentionnées au même premier alinéa de l'article L300-2 qui en font la demande pour l'accomplissement de leurs missions de service public. / Les informations figurant dans des documents administratifs communiqués ou publiés peuvent être utilisées par toute administration mentionnée audit premier alinéa de l'article L300-2 qui le souhaite à des fins d'accomplissement de missions de service public autres que celle pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus ». La commission a précisé la portée de ces dispositions pour les collectivités territoriales et leurs groupements en considérant que la notion d’accomplissement des missions devait être appréciée au regard du principe de spécialité auquel ils sont ou non soumis (avis de partie II, n° 20170422, du 23 mars 2017 ; avis de partie II, n° 20170713, du 6 avril 2017).

En l’espèce, la commission relève que la demande du président de la communauté de communes Haute Maurienne Vanoise est motivée par la volonté de s’assurer de la correcte évaluation des bases d’impositions de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises, dues par l’ONERA à raison de l’établissement exploité sur son territoire.

La commission constate que les documents administratifs sollicités ne s’inscrivent pas directement dans le cadre de l’accomplissement des missions de service public de la communauté de communes Haute Maurienne Vanoise, les services de l'Etat étant seuls compétents pour procéder à l’établissement et à la perception de ces impositions.

La commission relève toutefois que les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale sont les bénéficiaires directs et exclusifs de ces recettes fiscales, qui entrent dans la catégorie de leurs ressources propres et contribuent au financement des activités de service public qui leur sont confiées. Elle estime, dès lors, qu’une demande de communication des documents permettant de vérifier l’assiette de ces impositions, laquelle a une incidence sur le montant de l’impôt dû, doit être regardée comme se rattachant à l'accomplissement de leurs missions de service public.

En l’espèce, la commission estime que les documents administratifs sollicités sont de nature à fournir à la communauté de communes Haute Maurienne Vanoise des informations relatives aux bases d’assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la cotisation foncière des entreprises de l’ONERA, dont elle est attributaire. Elle en déduit que ces documents doivent être regardés comme étant demandés pour l’accomplissement de sa mission de service public au sens de l’article 1er de la loi du 7 octobre 2016 précitée.

La commission se déclare, dès lors, compétente pour émettre un avis sur la demande.

2. Sur le caractère communicable des documents sollicités :

En premier lieu, le directeur de l’ONERA fait valoir que la communication de la liste agrégée des immobilisations corporelles, assortie de leur valeur comptable, donnerait des indications précises sur les moyens affectés aux composantes navales et aéroportées de la dissuasion française et aurait par suite pour effet de révéler des informations relevant du secret de la défense nationale.

La commission rappelle qu’aux termes du b) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration, les documents dont la communication porterait atteinte au secret de la défense nationale ne sont pas communicables. Par ailleurs, aux termes de l’article 413-9 du code pénal, « présentent un caractère de secret de la défense nationale (…) les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès ». Dans un avis de partie II, n° 20217244, du 17 février 2022, adoptant une lecture formelle du secret de la défense nationale, la commission a précisé que ne relèvent de ce secret que les seuls documents ayant fait l’objet d’une mesure de classification à ce titre par l’autorité compétente.

La commission relève en l’espèce qu’il ne ressort pas des informations portées à sa connaissance que les documents comptables de l’ONERA feraient l’objet d’une mesure de classification à ce titre. Elle estime en outre que la communication de la valeur comptable de terrains et bâtiments de l’établissement, tout comme le détail qui serait donné sur la nature et la volumétrie des activités liées à la défense, n’est pas par elle-même de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale.

En second lieu, le directeur de l’ONERA fait valoir que les documents sollicités sont couverts par le secret des affaires, au motif que la révélation de la ventilation des immobilisations entre secteur lucratif et secteur non lucratif reviendrait à dévoiler des informations se rapportant aux prestations réalisées pour des entreprises privées, en dehors de sa mission de service public.

La commission rappelle qu’il résulte de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration que le secret des affaires comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles. Il s’apprécie en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public est soumise à la concurrence, et eu égard à la définition donnée à l’article L151-1 du code de commerce. Aux termes de cet article, est protégée par le secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : « (…) 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».

Dans son avis de partie II n° 20224385 du 13 octobre 2022, la commission a estimé que les articles L311-6 du code des relations entre le public et l’administration et L151-1 du code du commerce ne sauraient faire l’objet d’une lecture « combinée » mais cumulative. Ainsi, une information ne relève du secret des affaires qu’à la condition de répondre à la définition prévue à l’article L311-6 et de satisfaire les conditions posées à l’article L151-1.

La commission rappelle sa doctrine traditionnelle selon laquelle si le secret des affaires bénéficie, en principe, à toute personne dès lors que celle-ci déploie son activité, en tout ou partie, en milieu concurrentiel, celui-ci est nécessairement interprété de manière plus large s'agissant des organismes qui exercent exclusivement une activité concurrentielle. Aussi, lorsqu'une personne publique exerce principalement ou quasi-exclusivement une activité non soumise à la concurrence, la circonstance qu'un document comporte certaines données concernant notamment une de ses activités concurrentielles exercée à titre accessoire ou marginal n'est pas de nature à faire obstacle à la communication de ce document (conseil CADA n° 20112101 du 12 mai 2011 ; avis CADA n° 20114981 du 12 janvier 2012).

En l’espèce, comme indiqué précédemment, les immobilisations servent à la fois la mission de service public de l’ONERA et à ses activités commerciales complémentaires réalisées au profit d’entreprises. La commission en déduit que la ventilation et la clé de répartition de ces immobilisations retracent nécessairement les conditions d’exercice de sa mission de service public, sans qu’y fasse obstacle à circonstance qu’elle révèle, par la même occasion, la part réservée à ses activités complémentaires.

La commission estime, par suite, que les documents sollicités sont intégralement communicables à toute personne qui en fait la demande. Elle émet, dès lors, un avis favorable à la demande.