Avis 20242407 - Séance du 20/06/2024

Avis 20242407 - Séance du 20/06/2024

Caisse des dépôts et consignations (CDC)

Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par un courriel du 1er avril 2024, à la suite du refus opposé par le président-directeur général de la Caisse des dépôts et consignations à sa demande de communication d’une copie des documents suivants :
1) le contrat de travail initial de Monsieur X ;
2) le nouveau contrat de travail établi au mois de janvier 2024.

1. En ce qui concerne le point 1) :

En réponse à la demande qui lui a été adressée, le président-directeur général de la Caisse des dépôts et consignations a informé la commission que le contrat de travail de droit public mentionné au point 1) a été communiqué à Monsieur X par un courriel du 2 mai 2024, dont une copie lui est jointe. La commission ne peut dès lors que déclarer la demande sans objet sur ce point.

2. En ce qui concerne le point 2) :

2.1. Qualification du document sollicité :

En premier lieu, la commission relève qu'aux termes de l'article L518-2 du code monétaire et financier : « La Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays. Ce groupe remplit des missions d'intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l’État et les collectivités territoriales et peut exercer des activités concurrentielles. /La Caisse des dépôts et consignations est un établissement spécial chargé d'administrer les dépôts et les consignations, d'assurer les services relatifs aux caisses ou aux fonds dont la gestion lui a été confiée et d'exercer les autres attributions de même nature qui lui sont légalement déléguées. Elle est chargée de la protection de l'épargne populaire, du financement du logement social et de la gestion d'organismes de retraite. Elle contribue également au développement économique local et national, particulièrement dans les domaines de l'emploi, de la politique de la ville, de la lutte contre l'exclusion bancaire et financière, de la création d'entreprise et du développement durable. /La Caisse des dépôts et consignations est un investisseur de long terme et contribue, dans le respect de ses intérêts patrimoniaux, au développement des entreprises ».

La commission constate que la Caisse des dépôts et consignations, établissement public (CE, 25 février 2004, n° 248809) placé « de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative », est à la tête d'un groupe qui exerce à la fois des missions d'intérêt général et des activités concurrentielles, principalement à travers ses filiales.

Elle estime, par suite, que les documents élaborés ou détenus par la Caisse des dépôts et consignations qui ont un lien suffisamment direct avec les missions de service public dont elle a la charge, tels les services relatifs aux caisses et aux fonds dont la gestion lui a été confiée, sont des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration soumis au droit d’accès ouvert par le livre III du même code.

La commission rappelle ensuite que le Conseil d’État a jugé que les documents détenus par un organisme de droit privé, chargé d’une mission de service public mais exerçant également une activité privée, relatifs aux règles applicables à des personnels dont une partie est affectée à l’organisation, la conduite et la mise en œuvre des missions de service public présentent un caractère administratif (CE, 17 avril 2013, n°342372). De même, des documents détenus par un établissement public industriel et commercial, contenant des règles générales et impersonnelles relatives à la rémunération du personnel dès lors qu’ils ne concernent pas en tout ou partie des personnels exclusivement affectés à la poursuite des activités à caractère privé de l'établissement, présentent le caractère de documents administratifs (CE, 21 avril 2017, n° 395952).

La commission note que dans ses conclusions sous cette dernière décision, le rapporteur public a indiqué que, pour ce qui concerne les documents relatifs à la gestion des agents des organismes de droit privé chargés d’une mission de service public et des établissements publics industriels et commerciaux, le régime de droit public ou de droit privé dont relèvent les agents concernés ne détermine pas, par lui-même, l’existence d’un lien suffisant ou non avec la mission de service public permettant de retenir ou d’exclure la qualification de document administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.

La commission relève que le point 2) de la présente demande porte sur le contrat de droit de travail de droit privé du directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations, emploi prévu à l’article 1er du décret n°98-596 du 13 juillet 1998, susceptible d’être occupé, comme en l’espèce, par un agent contractuel recruté sous le régime des conventions collectives, en vertu de l’article 34 de la loi n°96-452 du 28 mai 1996.

La commission estime cependant qu’eu égard aux fonctions particulières exercées par le directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations et au rôle qui lui est dévolu, son contrat de travail doit être regardé comme présentant un lien suffisamment direct avec les missions de service public dont la Caisse est chargée, sans qu’y fasse obstacle la nature juridique des relations contractuelles liant cet agent à son employeur. Le document sollicité doit dès lors être regardé comme un document administratif au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration, soumis au droit d’accès garanti par le livre III de ce code (par analogie, avis de partie II, n° 20180237, du 3 mai 2018, concernant les éléments de rémunération du président-directeur général de l’Agence France Presse ; également avis de de partie II, n° 20163806, du 2 août 2016, relatifs aux éléments de rémunération des membres du comité exécutif de Radio France).

La commission se déclare, par suite, compétente pour connaître de la demande d’accès à ce document administratif.

2.2. Principes de communication :

La commission rappelle qu’aux termes de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». Par ailleurs, aux termes de l’article L311-6 de ce code : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (…) ; 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; (…) ».

Pour ce qui concerne les fonctionnaires et agents publics, la commission précise qu’elle considère que si leur vie privée doit bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens, les fonctions et le statut de ces personnels justifient que certaines informations les concernant puissent être communiquées sur le fondement du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en est ainsi, notamment, de la qualité d'agent public, de l'adresse administrative et, s'agissant de la rémunération, des composantes fixes de celle-ci : grade et échelon, indice de traitement, nouvelle bonification indiciaire (NBI), indemnités de sujétion.

La commission estime cependant que si les administrés doivent pouvoir accéder à certains renseignements concernant la qualité de leur interlocuteur, la protection, par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, de la vie privée impose que ces aménagements soient limités à ce qui est strictement nécessaire à leur information légitime. Les mentions intéressant la vie privée des agents au nombre desquelles figurent la date de naissance, l’adresse personnelle, l’adresse électronique professionnelle, la situation familiale et numéro de sécurité sociale, ne sont ainsi pas communicables à des tiers en application de l'article L311-6.

La commission rappelle ensuite que le contrat de travail ou le bulletin de salaire d’un agent public est communicable à toute personne qui en fait la demande, sous réserve, conformément aux articles L311-6 et L311-7 du code des relations entre le public et l'administration, que soient occultées les mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, à savoir notamment les éléments relatifs à la situation personnelle de l’agent, ou révélerait une appréciation ou un jugement de valeur portés sur la manière de servir de l’agent (primes pour travaux supplémentaires, primes de rendement). Il en irait de même, dans le cas où la rémunération comporterait une part variable, du montant total des primes versées ou du montant total de la rémunération, dès lors que ces données, combinées avec les composantes fixes, communicables, de cette rémunération, permettraient de déduire le sens de l’appréciation ou du jugement de valeur portés sur l’agent.

La commission souligne que le Conseil d’État a jugé que lorsque la rémunération qui figure dans le contrat de travail et sur le bulletin de salaire résulte de l'application des règles régissant l'emploi concerné, sa communication n'est pas susceptible de révéler une appréciation ou un jugement de valeur, au sens des dispositions de l’article L311-6 du code précité, sur la personne recrutée, mais qu’en revanche, lorsqu’elle est arrêtée d'un commun accord entre les parties sans référence à des règles la déterminant, elle révèle nécessairement une appréciation et un jugement de valeur portés sur cette personne. Dans ce cas, le contrat de travail peut être communiqué après occultation des éléments relatifs à la rémunération, tandis que la communication du bulletin de salaire, qui serait privée de toute portée sans la rémunération, ne peut être opérée (CE, 24 avril 2013, n° 343024 ; CE, 26 mai 2014, n° 342339).

La commission considère que les principes de communication ainsi exposés doivent être appliqués aux contrats de travail des agents de droit privé lorsqu’ils constituent, comme en l’espèce, des documents administratifs soumis au droit d’accès prévu par le code des relations entre le public et l’administration (en ce sens, les avis n° 20163806 et n° 20180237 précités).
En l’espèce, la commission constate que le contrat de travail sollicité, que le président-directeur général de la Caisse des dépôts et consignations a bien voulu porter à sa connaissance, comporte des mentions protégées par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, qui ne sont en principe pas communicables aux tiers.

Il en va ainsi d’abord des mentions suivantes : date et lieu de naissance, adresse personnelle et numéro de sécurité sociale, figurant en page une du contrat, qui relèvent du secret de la vie privée de l’agent intéressé, protégé par le 1° de l’article L311-6 du code précité.

La commission relève également la présence, dans le contrat, de mentions qui ont été définies d’un commun accord entre les parties au moment de sa conclusion, sans référence à des règles objectives régissant l’emploi en cause. Elle ne peut que déduire des décisions précitées du Conseil d’État que ces mentions, y compris celles qui ne sont pas en lien avec la rémunération, doivent être regardées comme révélant nécessairement une appréciation sur la valeur professionnelle de la personne et comme entrant par suite dans le champ des mentions protégées par le 2° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

La commission estime qu’entre dans le champ de cette réserve, d’une part, l’article 6 du contrat relatif aux modalités et au montant de la rémunération, en tant qu’il prévoit le versement d’une rémunération forfaitaire brute de base qui a été librement négociée par les parties au contrat conformément aux stipulations de l’article 29-2 de la convention collective applicable à l’ensemble des salariés de la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que d’une prime annuelle d’objectifs, dont le principe et le montant procèdent de la rencontre des parties au contrat, sans référence à des règles objectives régissant l’emploi en cause.

La commission considère, d’autre part, qu’il en est de même de l’article 7 du contrat de travail, en tant qu’il prévoit le versement d’une indemnité forfaitaire de rupture du contrat de travail imputable à la Caisse des dépôts et consignations, hors les cas de licenciement pour faute grave ou lourde ou la mise à la retraite. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément de rémunération, le principe et le montant de cette clause constituent en effet un droit attaché au contrat de travail qui a été arrêté d’un commun accord entre les parties au moment de la conclusion du contrat.

En application des dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, le contrat de travail mentionné au point 2) de la demande ne peut, en principe, être communiqué à un tiers qu’après occultation de l’ensemble de ces mentions.

2.3. Toutefois, la commission relève que Monsieur X, qui est journaliste, indique vouloir communication du contrat sans occultation des mentions relatives aux termes du contrat conclu. En faisant valoir que sa demande vise à porter à la connaissance du public des informations relatives au changement de statut du directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations, du fait sa démission de la fonction publique, il doit être regardé comme se prévalant des stipulations de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La commission précise que si cet article n’accorde pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n’oblige l’État à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, leur disponibilité, le but poursuivi par le demandeur et son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.

En l’espèce, la commission relève d’abord que la demande de Monsieur X s’inscrit dans un débat d’intérêt public et que les informations sollicitées sont déterminantes pour l’exercice de son droit à la liberté de recevoir et de communiquer des informations. Elle constate que ce dernier expose de manière détaillée sa démarche, évoquant un « pantouflage hors norme » et une affaire d’intérêt public. Il indique vouloir s’assurer que le changement de statut du directeur général délégué de la Caisse, qu’il qualifie de « convenance personnelle », ne caractérise pas un détournement de pouvoir ou une atteinte à l’égal accès aux emplois publics. Il précise, enfin, vouloir vérifier l’impact de ce changement de statut pour les finances publiques.

La commission estime ensuite que la communication des mentions portées sur un contrat de travail, qui ne traduisent qu’une appréciation ex ante de la valeur de l’agent intéressé au travers de la marge de négociation des termes de son contrat de travail, porterait, en l’espèce, une atteinte limitée au secret protégé par le 2° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Elle considère également que la communication de ces informations, eu égard aux fonctions et aux responsabilités particulières de cet agent, participe de l’obligation de rendre compte s’imposant aux entités chargées de mission de service public entrant dans le champ du code des relations entre le public et l’administration, telle que la Caisse des dépôts et consignations.

La commission en déduit, dans les circonstances particulières de l’espèce, qu’un intérêt public suffisant justifie la communication du contrat de travail sollicité sans occultation des mentions relatives à la rémunération et à l’indemnité forfaitaire de départ figurant aux articles 6 et 7.

En revanche, elle estime qu’aucun intérêt public ne s’attache à la communication des mentions relevant du secret de la vie privée de l’agent intéressé, figurant en page 1 du contrat.

Elle émet dès lors un avis favorable à la communication du contrat de travail mentionné au point 2) de la demande, dans la seule mesure de ce qui vient d’être énoncé.