Conseil 20183607 - Séance du 25/10/2018

Conseil 20183607 - Séance du 25/10/2018

Mairie de Chambray-lès-Tours

La commission d'accès aux documents administratifs a examiné, dans sa séance du 25 octobre 2018, votre demande de conseil relative au caractère communicable à des huissiers, agents d’assurances et généalogistes, des adresses des électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune.

I. Rappel du cadre juridique :

La commission rappelle, en premier lieu, que la communication intégrale des listes électorales est régie par les dispositions particulières des articles L28 et R16 du code électoral, qui prévoient que ces listes sont communicables à tout candidat, parti ou groupement politique ainsi qu’à tout électeur, quel que soit le lieu où il est inscrit.

La commission rappelle, en deuxième lieu, qu'en dehors des partis, candidats et groupements politiques, seuls les électeurs peuvent se voir communiquer les listes électorales. Pour en obtenir communication, le demandeur doit donc prouver qu'il a cette qualité. La commission estime, dans le silence des textes, que la preuve de la qualité d’électeur peut se faire par tout moyen, sans qu’il y ait lieu d’exiger la production d’un titre d’identité ou de la carte d’électeur. Elle considère qu’une attestation sur l’honneur peut suffire, dès lors que le demandeur produit les éléments permettant à l’administration de vérifier l’effectivité de son inscription sur une liste électorale, à savoir ses nom et prénom(s) et le nom de la commune où il allègue être inscrit.

La commission rappelle, par ailleurs, que les dispositions du troisième alinéa de l’article R16 du code électoral subordonnent la possibilité pour tout électeur de prendre copie des listes électorales à son engagement de ne pas en faire un usage purement commercial. La commission estime qu’un engagement pris par écrit suffit en principe, qu’il ait été pris dans un courriel ou dans un courrier sous format papier. La commission relève néanmoins qu'il résulte de la décision n° 388979 du Conseil d'Etat du 2 décembre 2016, que la collectivité saisie d'une telle demande dispose de la faculté de solliciter du demandeur la production d'éléments complémentaires susceptibles d'éclairer ses intentions et peut, si elle estime, nonobstant l'engagement pris par le demandeur, qu'il existe des raisons sérieuses de penser que l'usage des listes électorales risque de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial, opposer un refus de communication de la liste électorale.

La commission rappelle, en outre, que le caractère purement commercial ou non de l’usage des listes s’apprécie au regard de l’objet de la réutilisation envisagée et de l’activité dans laquelle elle s’inscrit, de la forme juridique retenue par le réutilisateur pour poursuivre cette activité, l'existence ou l'absence de ressources tirées de cet usage constituant à cet égard de simples indices. Doivent être regardées comme purement commerciales non seulement la commercialisation des données elles-mêmes, le cas échéant après retraitement, mais aussi leur utilisation dans le cadre d’une activité à but lucratif.

La commission relève, enfin, qu'à compter du 1er janvier 2019, les dispositions des articles L28 et R16 du code électoral seront remplacées par celles de l'article L37, issu de l'article 7 de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales. L'article L37 disposera, dans sa nouvelle rédaction, que : « Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie ou des listes électorales des communes du département à la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. / Tout candidat et tout parti ou groupement politique peuvent prendre communication et obtenir copie de l'ensemble des listes électorales des communes du département auprès de la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. »

La commission constate que le législateur a ainsi étendu l’exigence d’un engagement d’un usage conforme des listes électorales au code électoral aux candidats et groupements ou partis et que cet engagement porte sur l'absence d'usage « commercial », et non plus seulement d'usage « purement commercial ». La loi a également donné sa pleine portée à ce dispositif préventif en l’assortissant de mesures répressives, puisque l'usage commercial d'une liste électorale pourra désormais être puni d'une amende de 15 000 €.

La commission précise que la suppression de l'adverbe « purement » n'aura pas pour effet de la conduire à infléchir ou modifier sa doctrine, dès lors qu'elle regarde déjà comme purement commerciales non seulement la commercialisation des listes elles-mêmes, le cas échéant après retraitement, mais aussi leur utilisation dans le cadre d’une activité à but lucratif, et qualifie également d’usage purement commercial, au sens de véritablement commercial, les usages mixtes qui peuvent en être faits (par exemple, pour l’organisation d’une consultation populaire sur le maintien de la licence d’armateur délivrée à une société d’exploitation de ferrys, conseil n° 20094400 du 22 décembre 2009), seules les activités non commerciales pour le tout, comme le démarchage politique (avis n° 20071983 du 24 mai 2007) ou des actions d’intérêt général (conseil n° 20064862 du 9 novembre 2006) échappant à cette qualification.

II. Application au cas d'espèce :

En l'espèce, la commission relève, en premier lieu, que les demandes dont vous faites état, qui portent uniquement sur certaines mentions figurant sur les listes électorales, pourraient être qualifiées de demandes de renseignements, auxquelles le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration ne fait pas obligation aux autorités administratives de répondre et sur lesquelles la commission n'est pas compétente pour se prononcer. Elles pourraient toutefois également s'analyser comme des demandes de communication partielle des listes électorales, à laquelle les articles L28 et R16 du code électoral n'ont pas entendu faire obstacle.

La commission rappelle, en deuxième lieu, que la communication de ces listes au profit de personnes morales recherchant les bénéficiaires de contrats d’assurance-vie en déshérence, telles que des compagnies d'assurance, n’est donc pas possible, dès lors qu'elles ne sont pas au nombre des personnes morales mentionnées à l'article L28 du code électoral (conseil n° 20160214 du 3 mars 2016).

La commission considère que, dans l’hypothèse où la communication, en tout ou partie, des listes électorales serait demandée, pour le même motif et pour le compte d’une telle personne morale, par un électeur, sur le fondement de l’article L28, les dispositions de l’article R16 s’opposeraient également à cette communication, la recherche d’un bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie s’inscrivant dans le cadre de l’activité commerciale de ces entreprises et n’étant pas au nombre des utilisations de la liste électorale permises par le code électoral, en dépit de l’intérêt général qui s’attache à ce que de tels contrats ne demeurent pas en déshérence (conseil n° 20160214 du 3 mars 2016).

La commission estime que les listes électorales ne peuvent pas non plus être communiquées à des généalogistes professionnels, dès lors que l’emploi des listes électorales, qui facilite la recherche des héritiers d’une succession dans le cadre des contrats de révélation conclus par les généalogistes professionnels, participe nécessairement à l’exercice de l’activité de ces derniers, qui présente un but exclusivement lucratif (conseil n° 20091074 du 2 avril 2009).

S'agissant des huissiers, la commission relève que l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers dispose que : « Les huissiers de justice sont les officiers ministériels qui ont seuls qualité pour signifier les actes et les exploits, faire les notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n'a pas été précisé et ramener à exécution les décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire. / Les huissiers de justice peuvent en outre procéder au recouvrement amiable ou judiciaire de toutes créances et, dans les lieux où il n'est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires, aux prisées et ventes publiques judiciaires ou volontaires de meubles et effets mobiliers corporels. Ils peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. (...) Les huissiers de justice peuvent également accomplir les mesures conservatoires après l'ouverture d'une succession, dans les conditions prévues par le code de procédure civile. Ils peuvent être désignés à titre habituel en qualité de liquidateur dans certaines procédures de liquidation judiciaire ou d'assistant du juge commis dans le cadre des procédures de rétablissement professionnel, dans les conditions prévues par le titre IV du livre VI et le livre VIII du code de commerce. »

La commission déduit de ces dispositions que lorsqu'un huissier de justice sollicite la communication partielle ou intégrale de listes électorales, afin d'assurer, en sa qualité d'officier public, la mission de service public de la justice qui lui est confiée par le premier alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précité, qu'il s'agisse, par exemple, de signifier et d’exécuter les décisions rendues par les juridictions ou d'autres titres exécutoires, l'article R16 du code électoral ne fait pas obstacle à ce qu'il soit fait droit à sa demande, à condition que le demandeur atteste de ce qu'il ne fera pas une utilisation commerciale de la liste et à ce qu'il apporte, en cas de doute, toute preuve pertinente de l'objectif poursuivi par sa demande de communication. La commission considère, en revanche, que la liste électorale ne saurait être communiquée à un huissier lorsque sa demande s'inscrit dans le cadre de son activité libérale.