Conseil 20194854 - Séance du 30/01/2020

Conseil 20194854 - Séance du 30/01/2020

Agence française anticorruption (AFA)

La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 30 janvier 2020 votre demande de conseil relative :

I) au caractère communicable, à des tiers, des rapports de contrôle réalisés sur le fondement des dispositions de l'article 3, 3° de la loi du 9 décembre 2016 :
1) les rapports de contrôle provisoires transmis aux représentants de l'organisation contrôlée afin de présenter leurs remarques sur les observations et recommandations de l'Agence française anticorruption (AFA) ;
2) les rapports de contrôle définitifs établis deux mois après la notification du rapport provisoire à l'organisation contrôlée, prenant en compte les observations de cette dernière, notifiés aux représentants et éventuellement aux autorités à l'initiative du contrôle,

II) compte tenu :
1) de la possibilité de considérer les rapports provisoires comme des documents inachevés ;
2) du caractère préparatoire aux décisions de mise en œuvre des recommandations de l’AFA que les rapports, provisoires comme définitifs, peuvent revêtir ;
3) de l'obligation de disjoindre ou d'occulter toutes les mentions contenues dans ces rapports dont la communication pourrait porter atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, s’agissant, notamment, des mentions relatives à des faits dénoncés au procureur de la République en application du 2ème alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale ;
4) de l’atteinte potentielle d’une telle communication à la prévention et à la détection des atteintes à la probité, que l’AFA a pour mission de rechercher ;
5) des occultations à effectuer en application des dispositions de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, au regard des insuffisances constatées par l'AFA dans ses rapports de contrôle, notamment concernant l'implication des personnes détentrices de l'autorité exécutive des organisations contrôlées et de la nécessité de distinguer, pour l’application de ces dispositions, selon que la personne morale contrôlée est de droit public ou privé (associations et fondations reconnues d'utilité publique).

La commission rappelle qu’en application de l’article 3 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, l’Agence française anticorruption (AFA) contrôle la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l'État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d'économie mixte, et des associations et fondations reconnues d'utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.

A l’issue de ces contrôles, qui sont engagés par l’AFA de sa propre initiative ou à la demande du président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, du Premier ministre, des ministres ou, pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics et sociétés d'économie mixte, du représentant de l'État, l’agence transmet un rapport aux autorités qui en sont à l'initiative ainsi qu'aux représentants de l'entité contrôlée. Ce document contient les observations de l'agence concernant la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein de l’entité contrôlée ainsi que des recommandations en vue de l'amélioration des procédures existantes.

La commission relève que n’entrent dans le champ de votre demande de conseil que les rapports de contrôle visant les autorités administratives et associations et fondations reconnues d’utilité publique, dont vous avez soumis deux exemplaires à son examen, l’un concernant la région Grand-Est et l’autre la Société protectrice des animaux, à l’exclusion, donc, de ceux qui concernent les établissements publics industriels et commerciaux, sociétés ou groupes basés en France.

La commission considère, à titre liminaire, que les rapports tant provisoires que définitifs élaborés dans le cadre des dispositions de la loi du 9 décembre 2016 constituent des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration et que la circonstance qu’ils soient établis à l’intention d’autorités définies par la loi n’est pas de nature à faire obstacle à l’application des dispositions des articles L311-1 et suivants du même code qui régissent le droit d'accès du public aux documents administratifs.

La commission rappelle ensuite qu'aux termes des 1er et 2e alinéas de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration, le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés et ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration. Elle précise néanmoins qu’un document ne revêt un caractère préparatoire au sens de ces dispositions que lorsqu'il est destiné à éclairer l’administration en vue de prendre une décision administrative déterminée et que cette décision n’est pas encore intervenue ou que l’autorité compétente n’a pas manifestement renoncé à la prendre. Dans un tel cas, le caractère préparatoire d’un rapport d’audit s’oppose en principe à la communication immédiate de l’ensemble de son contenu, à moins, toutefois, que les éléments de ce rapport préparant une décision ultérieure ne soient divisibles de ses autres développements.

La commission observe, à cet égard, que les procédures de contrôle et d’élaboration des rapports se composent de deux phases distinctes : l’AFA remet au terme des opérations de contrôle, un rapport provisoire aux représentants des organismes contrôlés, qui disposent d’un délai de deux mois pour formuler leurs remarques et observations. A l’expiration de ce délai, un rapport définitif intégrant, le cas échéant, ces observations est transmis par l’AFA aux représentants de l’organisation contrôlée et, s’il y a lieu, aux autorités à l’initiative du contrôle.

La commission estime, au vu de ces principes, que dès leur remise à leur destinataire, le rapport provisoire, à condition qu’il soit conservé, et le rapport définitif constituent des documents achevés.

La commission relève ensuite que les rapports en cause ont pour objet d’établir un diagnostic sur la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place dans les services contrôlés et de formuler des recommandations visant à l’amélioration des procédures existantes, dans des délais déterminés par l’agence. Elle n’estime pas, au vu des finalités que le législateur a assignées aux contrôles et des exemplaires de rapports que vous avez soumis à son examen, que ces rapports soient destinés à éclairer l’autorité concernée en vue de prendre une décision administrative déterminée. La commission considère donc que la remise du rapport définitif aux autorités contrôlées et la formulation de ces recommandations, qui marquent le terme de la procédure de contrôle, lèvent le caractère préparatoire des rapports provisoire comme définitif, qui sont par suite soumis au droit d’accès défini par le code des relations entre le public et l’administration, sans qu’il y ait lieu d’attendre ni la décision de l’organisme contrôlé de mettre ou non en œuvre lesdites recommandations, ni l’expiration des délais de leur mise en œuvre, ni, enfin, qu’un nouveau contrôle soit éventuellement diligenté par l’agence afin de s’assurer de leur mise en œuvre.

La commission précise ensuite que la communication, à toute personne qui en fait la demande, des rapports de contrôle élaborés par l’Agence française anticorruption ne peut se faire que sous les réserves mentionnées aux articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

La commission rappelle, en premier lieu, que le f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ». Elle souligne, à cet égard, que le Conseil d’État a jugé, dans sa décision du 21 octobre 2016 n° 380504 (aux tables), que si la seule circonstance que la communication d’un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure juridictionnelle, ou qu’un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d’une instance engagée devant elle, ne fait pas obstacle à la communication de ces documents, cette communication est en revanche exclue, sauf autorisation donnée par l’autorité judiciaire ou par la juridiction administrative compétente, dans l’hypothèse où elle risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives de cette autorité ou de cette juridiction. Le Conseil d'État a considéré, à cet égard, qu'il résulte des articles 40 et 41 du code de procédure pénale que, dès lors qu’un document administratif a été transmis au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, il appartient à l’autorité saisie d’une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l’être, afin de déterminer, à moins que l’autorité judiciaire compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d’opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité. La commission relève, par ailleurs, qu’en application du 6° de l’article 3 de la loi du 9 décembre 2016 précitée, l’AFA avise le procureur de la République compétent en application de l'article 43 du code de procédure pénale ou, le cas échéant, le procureur de la République financier, des faits dont elle a eu connaissance dans l'exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit.

La commission en déduit que dans l’hypothèse d’une information du procureur de la République en application des dispositions précitées ainsi que de l’article 40 du code de procédure pénale, il appartiendra à l’agence de rechercher suivant les conditions rappelées plus haut si le rapport de contrôle dont la communication est demandée peut être transmis dans son intégralité ou s’il y a lieu, sur ce fondement, d’occulter les faits ayant donné lieu à l’information du procureur de la République compétent.

En deuxième lieu, la commission rappelle qu’en application des dispositions du g) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration, ne sont pas communicables les documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d'infractions de toute nature. A cet égard, elle observe que les rapports définitifs établis à l’issue des contrôles menés sur le fondement du 3° de l’article 3 de la loi du 9 décembre 2016, ont également pour objet de détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Dans ces conditions, il incombe à l’AFA d’occulter des rapports concernés tout passage ou toute pièce susceptible de porter atteinte au déroulement de ses missions en dévoilant, par exemple, les méthodes employées lors des contrôles qu’elle mène.

La commission n’a pas relevé dans les documents soumis à son examen, de développement qui lui paraissent susceptible de porter une telle atteinte. Elle précise, toutefois que la divulgation de descriptions trop précises des mesures de contrôle interne mises en œuvre par les organisations concernées pour prévenir et détecter les atteintes à la probité et de leurs éventuelles insuffisances pourrait être de nature à porter atteinte à la sécurité publique.

En troisième lieu, la commission rappelle que ne sont pas communicables aux tiers les documents dont la communication porterait une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, une atteinte à la vie privée de cette personne, ou ferait apparaître son comportement, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, en vertu des dispositions de l'article L311-6 du même code.

La commission précise qu’une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique est une critique, positive ou négative, portée sur la personnalité, les agissements, les qualités et les défauts d'une personne identifiable (ex. : avis d'experts extérieurs sur un travail artistique ou scientifique soumis à l'appréciation finale d'une autorité administrative). Cette appréciation suppose un regard subjectif porté sur la situation, une caractérisation ou une qualification de cette situation. Les faits et éléments purement objectifs (non connotés) doivent donc en être exclus. Dans ces conditions, dès lors que les insuffisances constatées par l’AFA relèvent de constats objectifs sur les procédures mises en œuvre par les organisations contrôlées, ces mentions ne sauraient être regardées comme des appréciations ou jugements de valeur de sorte que leur occultation n’est pas nécessaire.

S’agissant des documents révélant le comportement d’une personne, qu’elle soit morale ou physique, dont la divulgation pourrait lui porter préjudice, la commission estime que l’interdiction de communication à des tiers résulte de ce que sa divulgation pourrait, dans les circonstances propres à chaque espèce, s'avérer préjudiciable à son auteur. Il convient donc d'étudier le contexte de la demande, les tensions susceptibles d'exister au sein d'un service de l'administration ou entre des administrés, le risque de représailles ou de dégradation des relations.

La commission précise, néanmoins, que la communication d'un document administratif ne saurait être refusée au seul motif qu'il ferait apparaître, de la part d'une personne publique ou d'une personne privée chargée d'une mission de service public, dans l'exercice de cette mission, un comportement dont la divulgation pourrait lui porter préjudice.

A la lumière de ces principes, la commission considère que les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration ne peuvent faire obstacle à la communication des rapports établis par l’AFA sur la qualité et l'efficacité des procédures mises en œuvre au sein d’une personne publique ou d’une personne privée investie de missions de service public pour prévenir et détecter les faits de corruption, dès lors, du moins, que ces documents ne comportent pas d’appréciation sur des personnes physiques nommément désignées ou ne révèlent pas, dans des conditions susceptibles de leur porter préjudice, le comportement d’agents n’agissant pas dans l’exercice de leur mission de service public. Le rapport concernant la région Grand-Est, que vous avez soumis à son examen, ne paraît ainsi appeler, au titre de cet article, aucune occultation préalablement à sa communication.

La commission estime, en revanche, qu’il en va différemment s’agissant de rapports concernant des entités qui ne sont pas investies d’une mission de service public ou dont une telle mission ne constitue qu’une part marginale de leur activité. Elle considère, en effet, que les carences relevées dans l’application des dispositifs anticorruption par ces personnes morales de droit privé, quand bien même il s’agirait d’association reconnues d’utilité publique, constituent des comportements dont la divulgation pourrait leur porter préjudice et dont les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration prohibent, en conséquence, la communication à des tiers. Elle estime, ainsi, que le rapport définitif concernant la Société protectrice des animaux comporte de telles mentions et que l’ampleur des occultations à effectuer pour rendre un tel document communicable au public priverait d’intérêt cette communication.

La commission tient à souligner que l'application des principes généraux énoncés ci-dessus devra faire l'objet d'une appréciation au cas par cas par l'Agence française anticorruption.