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Avis 20215602 - Séance du 04/11/2021
Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 7 septembre 2021, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines à sa demande de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre d'une recherche documentaire, des documents relatifs à l'organisation du « Janvier sobre » de janvier 2020 conservés à la Mission des archives des ministères sociaux sous les cotes :
Ministère des Solidarités et de la Santé – Cabinet d'Agnès BUZYN
1) 2020-0109 : dossiers bureautiques du Commun du Cabinet (extraits) - Dossier ministre de l'entretien du 19 novembre 2019 avec Santé publique France ; éléments de langage sur Dry January ; coupure de presse ; interview ; dossier pédagogique de Santé publique France ; document de séance d'une réunion tripartite santé du 14 novembre 2019 (2019).
2) 2020-0044, B011902 : secrétariat des conseillers : dossiers d'audiences et de déplacements (extrait) - Dossier ministre de l'entretien avec Santé publique France du 19 novembre 2019 (2019) ;
3) 2020-0130 : dossiers bureautiques de X (extraits) - Janvier sobre : page web, lettre, affiche, dossier pédagogique de Santé publique France (2019) ;
4) 2020-0151, B000639 : dossiers papier de X (extraits) ; dossier « alcoolisme » : correspondance (2019) ;
5) 2020-0098 : fichier messagerie de X, directeur de cabinet (extraits) - Mails envoyés et reçus par le directeur de cabinet évoquant l'évènement Dry january/ janvier sobre (16 octobre 2019-12 janvier 2020) ;
6) 2020-0099 : fichier messagerie de X (extraits) - Mails envoyés et reçus par la conseillère évoquant l'évènement Dry january/ janvier sobre (16 octobre 2019-3 janvier 2020).
La commission relève que la demande porte en l’espèce sur des documents dont la communication est régie par les dispositions du protocole de remise des archives signé par l’ancienne ministre des solidarités et de la santé, Madame Agnès BUZYN.
Elle rappelle à titre liminaire que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation à cet article, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 de ce même code.
La commission ajoute que lorsqu’un dossier d’archive comporte un ou plusieurs documents qui ne sont pas librement accessibles, cette circonstance rend incommunicable l’ensemble des documents inclus dans le dossier, avant l’expiration de tous les délais destinés à protéger les divers intérêts publics ou privés en présence.
La commission précise, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
La commission précise, enfin, qu'aux termes de l'article L213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 : « Le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l'administration des archives d'un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l'article L213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également s'appliquer aux documents d'archives publiques émanant des collaborateurs personnels de l'autorité signataire (…) ». Pour l'application de l'article L213-3, l'accord de la partie versante requis pour autoriser la consultation ou l'ouverture anticipée du fonds est donné par le signataire du protocole. Le protocole cesse de plein droit d'avoir effet en cas de décès du signataire et, en tout état de cause, à la date d'expiration des délais prévus à l'article L213-2 ». S’agissant des protocoles signés, comme en l’espèce, postérieurement à la publication de la loi du 15 juillet 2008, les délais fixés par l’article L213-2 du code du patrimoine s’appliquent aux documents qu’ils régissent. Par ailleurs, l’article L213-3 relatif aux possibilités de consultation anticipée des archives de droit commun leur est expressément rendu applicable de manière adaptée, l’autorité versante dont l’accord est requis devant s’entendre comme celle ayant signé le protocole.
En l’espèce, la commission relève que l’administration des archives n’a pas reçu de réponse de la part de Madame Agnès BUZYN, dont l’accord est requis pour toute autorisation de consultation des documents, selon les termes de l’article L213-4 du code du patrimoine, son silence valant refus, selon les termes du décret n° 2015-1461 du 10 novembre 2015. Dès lors, le directeur général des patrimoines ne pouvait qu’opposer un refus à la demande de Monsieur X.
La commission relève que selon le a) du 1° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents dont la communication porte atteinte au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif sont couverts par un délai de vingt-cinq ans, à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier.
La commission rappelle que relèvent de cette catégorie les documents élaborés ou reçus par les formations collégiales du Gouvernement, en particulier les comptes rendus du conseil des ministres, des conseils ou comités interministériels et des réunions interministérielles (CE, 10 mai 1996, n° 163607), ainsi que les documents dont le président de la République, le Premier ministre ou, le cas échéant, l'un de ses ministres ont demandé l'élaboration pour définir la politique du Gouvernement, et qui présentent une sensibilité particulière. (CE, 2 décembre 1987, n° 74637 et CE, 12 octobre 1992, n° 106817, Association SOS Défense). N’entrent en revanche pas dans ce champ, les documents, élaborés par une entité administrative agissant dans le cadre de ses missions, qui ne s’inscrivent pas dans le processus décisionnel du Gouvernement et ne procèdent pas d’une initiative politique de sa part.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur général des patrimoines a précisé que les documents demandés, produits et reçus par le cabinet du ministère des solidarités et de la santé, s’inscrivent dans le cadre d’un processus décisionnel gouvernemental relatif au désengagement du ministère du programme « Dry January ». La commission déduit de ces éléments que ces documents, compte tenu de leurs auteurs et de leur finalité, ne sont pas détachables de la conception des politiques de santé publique et participent ainsi à la définition de la politique du Gouvernement relative à la prévention des conduites addictives. Elle estime, par suite, que le délai de vingt-cinq ans précédemment mentionné, trouve à s’appliquer à l’ensemble des dossiers d’archives concernés. Une autorisation de consultation par dérogation est donc nécessaire pour y accéder, conformément aux dispositions de l’article L213-3 du même code.
La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
La commission estime opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n° 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégées par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger.
La commission rappelle, à cet égard, d’une part, que l'exercice du droit d’accès aux documents administratifs, garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel n° 2020-834, du 3 avril 2020). Il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
La commission précise, d’autre part, que si l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’accorde pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n’obligent l’État à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, leur disponibilité, le but poursuivi par le demandeur et son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée. La commission souligne, par ailleurs, que la Cour européenne des droits de l’Homme accorde un niveau de protection élevé aux journalistes, qu’elle rattache à la catégorie des organismes qui appellent l’attention de l’opinion sur des sujets d’intérêt public, permettant la participation au débat de la société civile, qu’elle juge essentiels au fonctionnement de la société démocratique (par exemple 14 juillet 2009, X c/ Hongrie, req. 37374/05 § 36).
Comme l’a indiqué le Conseil d’État dans sa décision d’Assemblée précitée, la commission estime, en conséquence, que l'intérêt légitime du demandeur doit être apprécié à la lumière de ces deux textes, au vu de la démarche qu'il entreprend et du but qu'il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d'archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu'ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d'une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, en particulier au secret des délibérations du pouvoir exécutif, à la protection qu'appellent la conduite des relations extérieures et la défense des intérêts fondamentaux de l’État ou encore à la sécurité des personnes. La pesée de l'un et des autres s'effectue en tenant compte notamment de l'effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l'écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l'objet d'une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
En l’espèce, la commission observe que le demandeur, qui a la qualité de journaliste, inscrit sa démarche dans une finalité de recherche journalistique. L’intéressé sert un objectif d’information du public et cherche à alimenter le débat public sur une affaire médiatisée ayant posé la question des liens qu’entretiennent les pouvoirs publics avec les associations et les industriels, présentant un intérêt public. L’intéressé s’est par ailleurs engagé à veiller à l'usage des informations utilisées dans ses travaux de manière à ne pas porter atteinte aux intérêts protégés par la loi.
En l’état des informations portées à sa connaissance, la commission note cependant le caractère extrêmement récent des informations contenues dans les dossiers d’archives demandés, dont l’échéance du délai de communicabilité est éloignée. Elle comprend par ailleurs des observations de l’administration que la communication de ces documents d’archives aurait pour effet de révéler des informations sensibles relevant du secret des délibérations du Gouvernement, dont certaines se rapportent à des personnes qui sont encore en fonction. Elle relève, enfin, que ces informations n’ont jamais été rendues publiques.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime qu’en dépit de l’intérêt légitime du demandeur, la communication par anticipation aux délais légaux de communicabilité est, à ce jour, de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à la demande de Monsieur X.