Avis 20215751 - Séance du 16/12/2021

Avis 20215751 - Séance du 16/12/2021

Ministère des armées

Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 13 septembre 2021, à la suite du refus opposé par la ministre des armées à sa demande de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre d'une recherche universitaire, des documents conservés sous la cote X.

En réponse à la demande qui lui a été adressée, la ministre des armées a informé la commission, d’une part, de ce que la très grande majorité des documents conservés sous la cote X comporte une marque de classification au titre de la protection du secret de la défense nationale et, d’autre part, de ce qu’après examen de chaque document, il apparaît que ceux-ci peuvent être consultés par le demandeur, à l’exception de ceux relatifs à la conception technique et aux procédures d’emploi des matériels de guerre et matériels assimilés, désignés par l’arrêté du 10 novembre 2021 pris pour l’application du b) du 3° du I. de l’article L213-2 du code du patrimoine, et de ceux dont la communication est susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue en application du II. du même article.

Sur l’application du I. de l’article L213-2 du code du patrimoine :

La commission relève qu’aux termes de ces dispositions, dans leur rédaction désormais applicable issue du V de l’article 25 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement : « Par dérogation aux dispositions de l'article L213-1 : / I. – Les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai de : / (…) / 3° Cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, et qui ont pour ce motif fait l'objet d'une mesure de classification mentionnée à l'article 413-9 du code pénal, (…) ».

La commission, qui abandonne sa doctrine antérieure (avis n° 20153938 du 19 novembre 2015), note que le législateur a explicitement réservé, pour l’application de ces dispositions, le bénéfice de la protection du secret de la défense nationale aux seuls documents ayant fait l’objet d’une mesure de classification à ce titre au sens de l’article 413-9 du code pénal.

La commission constate qu’en l’espèce le délai de cinquante ans prévu par ces dispositions est échu.

La commission relève néanmoins que le législateur a également institué, à l’article L213-2, des hypothèses de prolongation de ce délai de cinquante ans pour les documents dont la communication porte notamment atteinte au secret de la défense nationale et qui « b) Sont relatifs à la conception technique et aux procédures d'emploi des matériels de guerre et matériels assimilés mentionnés au second alinéa de l'article L. 2335-2 du code de la défense, désignés par un arrêté du ministre de la défense révisé chaque année, (…) ». Elle note que leur communication n’est possible qu’à la fin de l’emploi de ces matériels par les forces armées et les formations rattachées mentionnées à l'article L. 3211-1-1 du même code, que ces documents aient ou non fait l’objet d’une mesure de classification (CE avis n° 402791 du 6 mai 2021). Elle note également que l’arrêté susmentionné a été publié le 10 novembre 2021.

La commission estime que cette communication, par dérogation, à l’expiration d’un terme plus éloigné que le délai de cinquante ans doit faire l’objet d’une interprétation stricte et ne saurait donc viser que les documents pour lesquels le maintien du secret est impérativement requis dans l’intérêt de la défense nationale. Elle note que la révision annuelle de l’arrêté désignant les matériels de guerre et assimilés contribue à une telle démarche.

La commission note également que ces nouvelles dispositions ne font pas obstacle à l’application de celles du I. de l’article L213-3 du code du patrimoine selon lesquelles « L'autorisation de consultation de documents d'archives publiques avant l'expiration des délais fixés au I de l'article L. 213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. (…) ».

La commission rappelle que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.

Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.

La commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n° 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’Etat a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégées par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger (avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021).

La commission rappelle, à cet égard, d’une part, que l'exercice du droit d’accès aux documents administratifs, garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel n° 2020-834, du 3 avril 2020). Il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

La commission précise, d’autre part, que si l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’accorde pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n’obligent l’Etat à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, leur disponibilité, le but poursuivi par le demandeur et son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.

Comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans sa décision d’Assemblée précitée, la commission estime, en conséquence, que l'intérêt légitime du demandeur doit être apprécié à la lumière de ces deux textes, au vu de la démarche qu'il entreprend et du but qu'il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d'archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu'ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d'une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, en particulier au secret des délibérations du pouvoir exécutif, à la protection qu'appellent la conduite des relations extérieures et la défense des intérêts fondamentaux de l'Etat ou encore à la sécurité des personnes. La pesée de l'un et des autres s'effectue en tenant compte notamment de l'effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l'écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l'objet d'une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.

La commission comprend, en l’espèce et d’une part, que les documents en cause ont trait à des matériels ou composants de matériels figurant sur l’arrêté du 10 novembre 2021, soit de moins d’un mois à la date de la présente séance. Elle prend note des observations de la ministre des armées selon lesquelles, pour faire application de cette prolongation, ses services ont procédé à un examen document par document, ne visant que les seuls documents à caractère technique visant des composantes clé des systèmes d’armement, dont la divulgation pourrait nuire à la supériorité au combat des forces armées françaises qu’il s’agisse de risques de neutralisation des matériels par l’ennemi ou de la simple connaissance par ce dernier de leurs dotations.

La commission relève, d’autre part, qu’en l’état, la date à laquelle les documents en cause seront communicables ne peut être déterminée, et qu’elle ne dispose d’aucun élément permettant de l’anticiper. Elle observe que le projet de mémoire d’habilitation à diriger des recherches de Monsieur X sur le thème « L’usage des armes spéciales en contre-insurrection. Exemple de la France, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne » tend à comprendre l’usage de la technologie dans les guerres de décolonisation mais ne vise pas, en premier lieu, des données techniques relatives aux matériels eux-mêmes.

La commission, qui n’a pu prendre connaissance des documents en cause, et ne le pouvait d’ailleurs pas, et qui ne peut que prendre acte de la démarche de sélection adoptée par la ministre des armées, estime en l'espèce que la communication de ces documents conduirait à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger.

La commission émet un avis défavorable à leur communication.

Sur l’application du II. de l’article L213-2 du code du patrimoine :

La commission relève qu’aux termes de ces dispositions, dans leur rédaction applicable : « Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue. ».

La commission estime qu’une telle restriction, sans limite temporelle, ne peut également que faire l’objet d’une interprétation stricte et ne saurait donc viser que les documents pour lesquels le risque que l’ennemi s’empare d’éléments d’information relatifs à de telles armes présente toujours une actualité.

La commission prend note des observations de la ministre des armées selon lesquelles, pour faire application de cette réserve, ses services ont procédé à un examen au cas par cas, ne visant que les seuls documents à caractère technique (composition …) relatifs à des armes et/ou composants très sensibles, pour lesquels aucune « date de péremption » ne peut être envisagée.

La commission, qui n’a pu davantage prendre connaissance des documents en cause, ne peut que prendre acte de la démarche de sélection de la ministre des armées et émet un avis défavorable à la communication de ces documents.

Dans ces conditions, la commission émet un avis favorable à la communication des 58 documents ne faisant l’objet d’aucune réserve de la part de la ministre des armées, et un avis défavorable pour le surplus, soit près de 150 documents.