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Avis 20216004 - Séance du 17/02/2022
Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 28 septembre 2021, à la suite du refus opposé par la ministre des Armées à sa demande de consultation et reproduction, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre d'une recherche personnelle sur la politique de X au Rwanda, des dossiers conservés par le service historique de la défense (Château de Vincennes - avenue de Paris - 94306 Vincennes) sous les cotes :
- DE 2008 PA 421
- GR 1 K 715 2
- GR 1K 715 8
- GR 1K 715 17
- GR 1K 715 18
- GR 1K 715 19
- GR 1 K 715 25
- GR 1 K 715 26
- GR 1 K 715 28
- GR 1 K 715 57
- GR 1 K 715 58
- GR 1 K 715 59
- GR 1 K 715 60
- AIG 28362
- DE 2018 ZM 28/46
- GR 7 U 3440
- GR 1997 Z 1411/64
- GR 2002 Z 163/1
- GR 1997 Z 1411/46
- GR 1997 Z 1411/51
- GR 1997 Z 1411/52
- GR 1997 Z 1411/53
- GR 1997 Z 1411/55
- GR 1997 Z 1411/59
- GR 1997 Z 1478/16
- GR 1999 Z 602/8
- GR 2000 Z 114/411
- GR 2000 Z 114/428
- GR 2000 Z 114/940
- GR 2004 Z 146/13
- GR 2004 Z 146/163
- GR 1993 Z 29/39
- GR 1993 Z 29/40
- GR 2004 Z 169/1
- GR 2004 Z 169117
- GR 2002 Z 141/25
- GR 2004 Z 9017
- GR 2004 Z 90/46
- GR 2004 Z 169/5
- GR 2004 Z 169/7
- GR 2004 Z 16918
- GR 2004 Z 169118
- GR 2004 Z 169/22
La commission, qui a pris connaissance des observations de la ministre des Armées, constate, à titre liminaire, que les documents auxquels le demandeur souhaite accéder, pour certains classifiés, sont conservés par le service historique de la défense dans quarante-trois dossiers cotés et appartiennent aux fonds d’archives militaires sur le Rwanda et le génocide des Tutsis.
1. Rappel du cadre juridique :
La commission rappelle qu’en application du 3° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents qui comportent des éléments ayant pour effet de révéler des informations relevant du secret de la défense nationale et qui ont, pour ce motif, fait l'objet d'une mesure de classification mentionnée à l'article 413-9 du code pénal, ou de compromettre les intérêts fondamentaux de l'Etat dans la conduite de la politique extérieure, la sûreté de l'Etat, la sécurité publique, la sécurité des personnes ou la protection de la vie privée, sont communicables de plein droit à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. La commission précise que lorsqu’un dossier d’archives publiques comporte un ou plusieurs documents qui ne sont pas librement accessibles, cette circonstance rend incommunicable l’ensemble des documents inclus dans le dossier, avant l’expiration de tous les délais destinés à protéger les divers intérêts publics ou privés en présence.
En l’espèce, la commission comprend que le délai de cinquante ans précédemment mentionné s’applique à l’ensemble des dossiers d’archives concernés.
La commission rappelle, ensuite, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné. La commission précise également que les autorisations de consultation par dérogation aux délais légaux de communicabilité n’entraînent pas de droit automatique à la reproduction ou à la transmission des documents.
Pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, la commission s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
La commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’Etat a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger (avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021).
La commission rappelle, à cet égard, en premier lieu, que l'exercice du droit d’accès aux documents administratifs, garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, a valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel n° 2020-834, du 3 avril 2020). Il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
La commission précise, en second lieu, que si l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’accorde pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique, ni n’oblige l’Etat à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, leur disponibilité, le but poursuivi par le demandeur et son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.
Comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans sa décision d’Assemblée précitée, la commission estime, en conséquence, que l'intérêt légitime du demandeur doit être apprécié à la lumière de ces deux textes, au vu de la démarche qu'il entreprend et du but qu'il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d'archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu'ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d'une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l'un et des autres s'effectue en tenant compte notamment de l'effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l'écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l'objet d'une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
2. Application au cas d’espèce :
En premier lieu, la commission relève, d’une part, que les documents sollicités sont des sources documentaires originales d’évènements historiques dont l’étude est encouragée par les pouvoirs publics.
Elle précise à cet égard, en termes d’éléments de contexte, que dans sa décision d’Assemblée précitée, le Conseil d’Etat a, notamment, enjoint à la ministre de la Culture d’autoriser Monsieur X à consulter, par anticipation, certaines des archives du président X relatives à la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1995.
Elle observe également la volonté d’ouverture aux chercheurs, aux associations de victimes et à la société civile des archives françaises relatives au Rwanda, affirmée par la Présidence de la République en 2015, puis en 2019.
Une commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis, habilitée à consulter tous les documents relatifs au Rwanda au titre de la période 1990-1994, pour certains classifiés, conservés dans les fonds de l’Élysée, du Premier ministre, du ministère des Affaires étrangères, du ministère des Armées et de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda a par ailleurs été constituée en 2019.
Deux arrêtés de dérogation générale, des 6 avril 2021 et 6 juillet 2021, se sont inscrits à la suite du rapport que cette commission a remis à la Présidence de la République, le 26 mars 2021.
Le premier arrêté a rendu librement communicable par anticipation l’ensemble des documents cités dans le rapport de la Commission, soit 8 000 pièces intégrant les archives du Président X et du Premier ministre X. Le second arrêté a autorisé l’ouverture, par anticipation et après déclassification, de 2 000 documents d’archives militaires identifiés par la Commission mais non cités dans son rapport, ainsi que de l’intégralité des télégrammes diplomatiques de l’ambassade de France au Rwanda au titre de la période 1990-1994.
La commission constate, d’autre part, que Monsieur X, physicien et directeur de recherche au CNRS, mène depuis plusieurs années parallèlement à son activité scientifique, un travail de recherche sur le rôle de la France au Rwanda. Sa démarche s’inscrit, à la suite des ouvrages qu’il a déjà rédigés sur le sujet, dans une finalité de recherche sur la politique de X au Rwanda.
La commission déduit de ces éléments que la demande présente en l’espèce, au regard de la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées pour nourrir les recherches historiques et le débat sur une question d’intérêt public, un intérêt légitime, à l’exclusion cependant des treize côtes suivantes - GR 1 K 715 2 ; GR 1K 715 8 ; GR 1K 715 17 ; GR 1K 715 18 ; GR 1K 715 19 ; GR 1 K 715 26 ; GR 1 K 715 57 ; GR 1 K 715 58 ; GR 1 K 715 59 ; GR 1 K 715 60 ; GR 2000 Z 114/411 ; GR 2000 Z 114/428 et GR 2000 Z 114/940 - identifiées par la ministre des Armées comme ne comportant a priori pas de document pertinent en lien avec le sujet de recherches de Monsieur X.
En second lieu, la commission comprend des éléments d’information portés à sa connaissance que les dossiers d’archives militaires demandés comportent de nombreux documents classifiés au sens de l’article 413 9 du code pénal, au titre de la protection du secret de la défense nationale, dont la consultation ne sera possible, le cas échéant, qu’après une décision formelle de déclassification de l’autorité émettrice.
La ministre des Armées a également précisé que ces dossiers contiennent des informations sensibles touchant aux intérêts fondamentaux de l’État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de L’État et à la sécurité publique, ainsi que des informations se rapportant à des tiers et susceptibles de compromettre la protection de la vie privée et la sécurité des personnes.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime qu’en dépit de la sensibilité des documents demandés, eu égard, d’une part, à leur intérêt intrinsèque, d’autre part, à la qualité du demandeur et au but poursuivi en termes d’information du public, l’intérêt légitime de Monsieur X est de nature à justifier la consultation anticipée des fonds d’archives demandés.
La commission tient, toutefois, à souligner qu’à la différence des archives du président X concernées par la décision d’Assemblée du Conseil d’État, puis par l’arrêté d’ouverture anticipée du 6 avril 2021 précité, qui décrivent la politique étrangère et militaire de la France au Rwanda, les documents d’archives militaires auxquels souhaite accéder Monsieur X ont une portée essentiellement opérationnelle. Ces documents, auxquels la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis a eu accès, ne font en outre, pour l’essentiel, pas partie des 2 000 documents d’archives militaires identifiés par cette commission comme particulièrement intéressants et ouverts par anticipation à la consultation après déclassification, en application de l’arrêté d’ouverture anticipée du 6 juillet 2021. Ils n’ont donc, à ce jour, pas été rendus publics.
Elle relève que l’identification des documents devant faire l’objet d’une extraction préalable suppose que l’autorité saisie procède à l’examen de chaque cote, document par document. En l’espèce, compte tenu des moyens dont dispose le service historique de la défense et du délai qui lui est imparti pour satisfaire la demande de Monsieur X, lequel n’est toutefois pas prescrit par la loi à peine de forclusion, la commission estime qu’il serait déraisonnable d’exiger de sa part qu’il adopte cette démarche de sélection pour l’ensemble des cotes demandées, qui comportent pour la plupart d’entre elles, des centaines de documents et contiennent des milliers de pages. Elle en déduit que la demande ne peut être satisfaite qu’en réservant cet examen systématique aux cotes comportant pour l’essentiel des documents non classifiés, librement communicables ou présentant une sensibilité limitée.
La commission déduit de ces éléments que la demande de consultation anticipée ne peut, en l’espèce, recevoir un avis favorable que pour les cotes identifiées au point précédent, sous les réserves précitées.
Elle précise enfin, à toutes fins utiles, qu’alternativement, il est loisible au demandeur, s’il le souhaite, de présenter une nouvelle demande de dérogation à l’administration, en sélectionnant les cotes strictement indispensables à ses travaux de recherches.