Avis 20217561 - Séance du 17/02/2022

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Avis 20217561 - Séance du 17/02/2022

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Maître X, conseil de Monsieur X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 14 décembre 2021, à la suite du refus opposé par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères à sa demande de copie des documents suivants :
1) le rapport ou les annotations écrites de l'ancien consul, X, concernant sa présence aux audiences dans le cadre d'un procès pénal lié à à son client ;
2) tout autre document administratif en possession de la mission diplomatique et consulaire, respectivement lié à son client et aux difficultés judiciaires éprouvées au Cambodge ;
3) les pièces administratives que ce soit en support papier, numérique (échanges de courriels le concernant), ainsi que les blocs‐notes ou commentaires.

La commission, qui a pris connaissance de la réponse exprimée par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, comprend que le procès au Cambodge de Monsieur X, ressortissant franco-cambodgien, a fait l’objet d’un suivi de la part des services de la diplomatie française au titre de la protection consulaire.

La commission relève que la protection consulaire est régie au niveau international par la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, notamment son article 5 définissant les « Fonctions consulaires ». Elle relève également qu’aux termes de l’article 2 du décret n° 2018-336 du 4 mai 2018 relatif à la protection consulaire des citoyens de l'Union européenne dans des pays tiers, la protection consulaire comprend des mesures d'assistance notamment en cas d’arrestation ou de détention.

La commission constate que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères ne précise pas en quoi la mise en œuvre de la protection consulaire à l’endroit de Monsieur X a consisté, hormis le fait que la procédure judiciaire aurait fait l’objet d’un « suivi ».

1. En premier lieu, la commission prend note des observations du ministre de l’Europe et des affaires étrangères selon lesquelles figurent au nombre des pièces demandées des documents produits par les juridictions cambodgiennes.

La commission rappelle que les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale, ne présentent pas un caractère administratif et n'entrent donc pas dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l’administration. Il en va ainsi, notamment des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, pour les dossiers de demande d'aide judiciaire (CE, 5 juin 1991, n° 102627, aux T. p. 948), des décisions du parquet, des dossiers d'instruction, des procès-verbaux d'audition, des rapports d'expertise ou des mémoires et observations des parties - c'est à dire de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites - mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 9 mars 1983, SOS Défense et CE, 28 avril 1993, n° 117480, aux T. p. 782).

La commission précise que la seule circonstance que de tels documents ont été produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d'une procédure juridictionnelle conduite devant une juridiction étrangère, et non française, est sans incidence sur une telle qualification. Elle ajoute que le Conseil d’État estime d’ailleurs que le fait qu’un document juridictionnel ait été communiqué à une autorité administrative dans le cadre de sa mission de service public ne lui fait pas acquérir la qualité de document administratif (CE, 25 mars 1994, aux T. p. 952 ; CE, 19 juin 2017, n° 396608, aux T.), de sorte qu’il institue une forme d’intangibilité de la nature du document.

La commission s’estime donc, dans cette mesure, incompétente pour se prononcer sur la demande.

2. En second lieu, s’agissant des autres documents, la commission estime qu’élaborés ou détenus dans le cadre de l’exercice par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères dans le cadre de l’exercice de la protection consulaire, ils sont des documents administratifs entrant dans le champ d’application du livre III du code des relations entre le public et l’administration.

La commission rappelle, toutefois et d’une part, qu'en vertu de l'article L311-2 de ce code, le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés. Elle estime, par suite, que les documents sollicités en ce qu’ils ne consisteraient qu’en de simples notes informelles prises à titre d’aide-mémoire, inachevées en la forme, ne sont pas communicables sur le fondement du titre Ier du livre III du même code, s’ils ont été suivis de documents qui peuvent être considérés comme achevés.

Elle émet donc, dans cette mesure, un avis défavorable.

La commission rappelle, d’autre part, qu’en application des dispositions combinées du c) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration et du 3° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents dont la communication serait susceptible de porter atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France ne sont pas communicables avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier, ou, en vertu du 3° du I du même article L213-2, de cinquante ans s’ils touchent aux intérêts fondamentaux de la politique extérieure.

La commission considère que relèvent de ce secret les correspondances échangées avec un autre État (avis n°s 19971796 du 29 mai 1996, 20040964 du 4 mars 2004 et 20160280 du 3 mars 2016), les documents retraçant les négociations diplomatiques (avis n° 20072905 du 26 juillet 2007) ainsi que les documents portant une appréciation sur les autorités étrangères et la conduite de leur politique ou révélant une prise de position des autorités françaises dans le cadre de relations diplomatiques (avis n° 20170055 du 6 avril 2017 relatif au Parlement de la communauté autonome de Catalogne).

La commission, qui ignore la nature des documents relatifs au suivi de la procédure judiciaire en cause, estime que la circonstance que ces documents auraient été établis ou seraient détenus dans le cadre de la mise en œuvre de la protection consulaire n’implique pas, en elle-même, qu’ils relèvent nécessairement du secret de la conduite de la politique extérieure de la France.

Elle précise, toutefois, que ne sont pas communicables, au regard du c) du 2° de l’article L311-5, ceux de ces documents qui relèveraient des relations du consulat avec les autorités cambodgiennes. Elle précise également que les autres documents ne sont communicables que sous réserve de l’occultation préalable des éventuelles mentions portant une appréciation sur ces autorités ou leur action relevant également du secret protégé par ces dispositions, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d'intérêt la communication de ces documents.

La commission rappelle également, qu’aux termes de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (…) ; / (…) / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. ».

En réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères fait valoir que certains documents demandés pourraient « s’apparenter à des témoignages de tiers sur Monsieur X ».

La commission comprend toutefois que, s’il s’agit de la simple retranscription de témoignages ou interventions faits publiquement, de manière volontaire, leurs auteurs ont ainsi renoncé à ce qu’ils soient couverts par de tels secrets.

La commission émet donc, dans cette mesure et sous ces réserves, un avis favorable à la demande.

La commission précise, enfin, qu’il ne résulte d’aucune disposition législative ou règlementaire que la communication de documents sollicités, rédigés en langue anglaise et en langue khmère, doive s’accompagner d’une traduction en langue française effectuée par l’administration.