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Avis 20220181 - Séance du 31/03/2022
Monsieur X, journaliste à « X », a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 12 janvier 2022, à la suite du refus opposé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance à sa demande de communication du rapport « X » sur la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières minérales.
A titre liminaire, la commission rappelle qu’en application de l’article R343-1 du code des relations entre le public et l’administration, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’avis, elle transmet cette dernière à l’administration mise en cause. Elle rappelle également qu’aux termes de l’article R343-2 de ce code : « L'administration mise en cause est tenue, dans le délai prescrit par le président de la commission, de communiquer à celle-ci tous documents et informations utiles et de lui apporter les concours nécessaires. / (…) ».
La commission souligne que la communication, par les administrations mises en cause, des documents et informations susmentionnés a pour seul objet de permettre un examen utile et circonstancié des demandes d’avis qui lui sont soumises. Elle insiste, à cet égard, sur la nécessité, pour les administrations, lorsqu’elles ont procédé à une communication partielle des documents demandés de produire, en temps utiles, les documents originaux afin de lui permettre d’apprécier l’ampleur des occultations opérées. Elle précise d’ailleurs, qu’elle se borne à émettre des avis qui sont certes un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, mais qu'il est loisible à l'administration saisie de ne pas suivre, sous le contrôle du juge administratif (avis n° 20103811 du 14 octobre 2010).
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministre de l’économie, des finances et de la relance a informé la commission de ce que le rapport sollicité comporterait des données relevant du secret des affaires sur les entreprises interrogées dans le cadre de sa rédaction de sorte qu'il ne pourrait être communiqué en l’état sans méconnaître les dispositions du 1° de l’article L311-6 du code des relations du public avec l'administration, et qu’une « version du rapport expurgée de ces données a été préparée et transmise le 25 janvier 2022 aux journalistes, dont Monsieur X ».
Lors de leur audition par la commission, les représentants du ministre ont ajouté que le secret des délibérations du Gouvernement, le caractère préparatoire du rapport, ainsi que le secret de la conduite de la politique extérieure de la France feraient également obstacle à la communication du document demandé.
La commission constate que le document remis par le ministre de l’économie, des finances et de la relance à la presse, et notamment à Monsieur X contient une rubrique intitulée « Synthèse » qui correspond au « 1. ANALYSE ET SYNTHESE » du rapport sollicité, une « Table des recommandations » figurant également à la fin du rapport ainsi qu’un « Etat des lieux », qui constitue l’annexe 8.2 du rapport, à l’exception de certaines mentions occultées.
La commission déclare donc, dans cette mesure, sans objet la demande.
1. La commission rappelle qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, (…). Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, (…) ».
La commission estime, en l’espèce, que le rapport sollicité, réalisé par Monsieur X à la demande de la ministre de la Transition écologique et de la ministre déléguée chargée de l’Industrie, sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matière premières minérales, avec pour objectif d’évaluer avec les industriels le niveau de sécurité des approvisionnements en métaux, de préciser leurs besoins et de proposer une organisation du travail des acteurs privés et publics pour améliorer la résilience aux métaux critiques des chaines de production, constitue un document administratif au sens et pour l’application du livre III du code des relations entre le public et l’administration.
La commission rappelle également que l’article L124-1 du code de l’environnement prévoit le droit de toute personne d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues, reçues ou établies par les autorités publiques. Elle rappelle également qu’aux termes de l’article L124-2 de ce code : « Est considérée comme information relative à l'environnement au sens du présent chapitre toute information disponible, quel qu'en soit le support, concernant : / 1° L'état des éléments de l'environnement, notamment (…) le sol, les terres, (…), ainsi que les interactions entre ces éléments ; / 2° Les décisions, les activités et les facteurs, (…), susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1°, ainsi que les décisions et les activités destinées à protéger ces éléments ; / 3° (…) les conditions de vie des personnes, (…), dans la mesure où ils sont ou peuvent être altérés par des éléments de l'environnement, des décisions, des activités ou des facteurs mentionnés ci-dessus ; / 4° Les analyses des coûts et avantages ainsi que les hypothèses économiques utilisées dans le cadre des décisions et activités visées au 2° ».
La commission constate, en l’espèce, que certaines mentions figurant notamment au point 3. du rapport ainsi que dans son annexe 8.10 peuvent être regardées comme des informations relatives à l’environnement au sens et pour l’application des dispositions précitées.
La commission précise également que si, dans une perspective rétrospective, certaines autres informations contenues dans le document demandé pourront être regardées comme relevant de l’article L124-2 précité dans la mesure où elles auront trait à des décisions, activités et facteurs susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des sols et des terres ou encore aux hypothèses économiques utilisées dans le cadre de ces décisions, elles ne sauraient l’être à ce stade (CE 1er mars 2021, n° 436654).
2. La commission rappelle qu’en application des dispositions du a) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration et du a) du 1° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents dont la divulgation porterait atteinte au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ne sont pas communicables avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier. Relèvent par exemple de cette catégorie, les comptes rendus du conseil des ministres, des conseils ou comités interministériels et des réunions interministérielles (CE, 10 mai 1996, n° 163607) ainsi que les documents élaborés aux fins de définir la politique du Gouvernement (CE, 2 décembre 1987, n° 74637 et CE, 12 octobre 1992, n° 106817, Association SOS Défense). N’entrent en revanche pas dans ce champ, les documents, élaborés par une entité administrative agissant dans le cadre de ses missions, qui ne s’inscrivent pas dans le processus décisionnel du Gouvernement et ne procèdent pas d’une initiative politique de sa part.
La commission estime, en l’espèce, que le document demandé, dont l'objet est de procéder à un diagnostic et de suggérer des propositions d’action à deux ministres, en vue d’une éventuelle délibération effective du Gouvernement sur le sujet, ne relève pas, en principe, du secret des délibérations du Gouvernement et des autorités relevant du pouvoir exécutif. Elle considère en effet que, sauf circonstances particulières, non invoquées en l'espèce, un tel rapport ne peut être regardé comme comportant des appréciations constituant l'expression même des délibérations du pouvoir exécutif dont le législateur a souhaité conserver la confidentialité.
La commission en déduit donc qu’un tel motif ne saurait s’opposer à la communication intégrale du rapport demandé.
3. La commission rappelle ensuite qu’aux termes de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration. ».
Elle précise que cette réserve a pour objectif de garantir la sérénité de la prise de décision administrative jusqu’à ce que celle-ci intervienne. Un document préparatoire est ainsi exclu du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l’administration aussi longtemps que la décision administrative qu'il prépare n'est pas intervenue ou que l'administration n'y a pas manifestement renoncé, à l'expiration d'un délai raisonnable. Dans un tel cas, le caractère préparatoire d’un rapport s’oppose en principe à la communication immédiate de l’ensemble de son contenu, à moins, toutefois, que les éléments de ce rapport préparant une décision ultérieure ne soient divisibles de ses autres développements.
La commission relève également que le Conseil d’Etat admet la possibilité qu’un communiqué de presse d’un ministre puisse contenir ou révéler une décision (CE 7 février 2003, n° 244043 ; CE 15 décembre 2021, n° 444759). Il a ainsi pu relever, s’agissant d’un communiqué de presse de ministres présentant un dispositif dit « Pack rebond » à destination des territoires d’industrie et instituant un dispositif particulier à 66 sites sous la dénomination « clés en main », que les documents ne « comportent par eux-mêmes aucune décision, ni n’édictent aucune règle nouvelle, ni ne révèlent aucune instruction adressée aux services chargés de l’instruction des demandes d’autorisation » et « ne présentent par suite pas, eu égard à leur contenu et à leur portée, le caractère d’actes susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir » (CE 3 mars 2022, n° 444569) ou encore, s’agissant d’un communiqué de presse du ministre des solidarités et de la santé se bornant à expliciter les conséquences juridiques de l’entrée en vigueur d’un décret et d’un arrêté qu’il « ne révèle aucune décision et n’est pas susceptible d’avoir des effets notables distincts des effets juridiques résultant de ce décret et de cet arrêté », de sorte qu’ « il ne constitue pas un acte faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir » (CE 17 février 2022, n° 441292).
La commission constate que, dans leur lettre de mission à Monsieur X, les ministres ont notamment indiqué souhaiter que soient dégagées des actions concrètes que pourrait mener l’Etat, afin d’appuyer la sécurisation des approvisionnements des acteurs privés, et précisé les items sur lesquels des développements étaient attendus.
La commission relève que le rapport remis aux ministres comporte, outre l’état des lieux et la table des recommandations communiqués, l’analyse et le diagnostic des conditions d’approvisionnement des industriels français et européens en matières premières minérales ainsi que de leurs perspectives, appuyés sur des annexes, qui ont présidé à la formulation desdites recommandations et ont pour objectif de guider la prise de décision.
La commission estime que le communiqué de presse des ministres du 10 janvier 2022, s’il fait état des cinq « axes stratégiques » retenus par le Gouvernement de ce rapport, ne peut, compte tenu de ses termes et des seules orientations qu’il traduit, même explicitement formulées, être regardé comme révélant l’existence d’une décision administrative au sens et pour l’application des dispositions précitées, ayant pour effet de lever le caractère préparatoire de ce rapport.
La commission prend d’ailleurs note des observations des représentants du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie selon lesquelles certaines des propositions formulées par Monsieur X seraient toujours en cours d’examen ou auraient toujours vocation à faire l’objet d’expertises.
La commission relève enfin que le communiqué de presse du 10 janvier 2022 fait état de l’ouverture, à l’aune des conclusions du rapport de Monsieur X, d’un premier appel à projets (AAP) ciblé sur les métaux critiques à destination des filières industrielles stratégiques dans le cadre du plan d’investissement France 2030, jusqu’au 30 janvier 2024, avec une première relève intermédiaire au 24 mai 2022. Elle constate toutefois que si cette annonce révèle une décision au sens de l’article L311-2, le rapport demandé ne comporte pas pour autant de développements divisibles immédiatement communicables.
La commission ne peut, par suite et en l’état, qu’émettre un avis défavorable à la demande d’avis au regard du code des relations entre le public et l’administration.
Elle relève toutefois que l’exception tirée du caractère préparatoire d’un document administratif ne fait pas obstacle à la communication des informations environnementales qu’il contient, dès lors qu'un tel motif de refus n'est pas prévu par les articles L124-4 et L124-5 du code de l'environnement.
4. S’agissant de ces informations, la commission rappelle qu’aux termes du I de l’article L124-4 du code de l’environnement : « Après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, l'autorité publique peut rejeter la demande d'une information relative à l'environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : / 1° Aux intérêts mentionnés aux articles L311-5 à L311-8 du code des relations entre le public et l'administration, à l'exception de ceux visés au e) et au h) du 2° de l'article L311-5 ; », au nombre desquels figurent la conduite de la politique extérieure de la France et le secret des affaires.
La commission rappelle, d’une part, que relèvent du secret prévu au c) du 2° de l’article L311-5 les correspondances échangées avec un autre Etat (avis n° 19971796 du 29 mai 1996 et n° 20040964 du 4 mars 2004 ; 20160280 du 3 mars 2016), les documents retraçant les négociations diplomatiques (avis n° 20072905 du 26 juillet 2007) ainsi que les documents portant une appréciation sur les autorités étrangères et la conduite de leur politique ou révélant une prise de position des autorités françaises dans le cadre de relations diplomatiques (avis n° 20170055 du 6 avril 2017 relatif au Parlement de la communauté autonome de Catalogne).
La commission estime qu’aucune des mentions figurant au sein du document sollicité et de ses annexes ne serait de nature à porter atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France dans la mesure où, émanant d’une personnalité qualifiée, il ne met pas directement en cause les autorités françaises.
La commission rappelle, d’autre part, qu’il résulte des dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, que le secret des affaires comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles. Il s’apprécie en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public est soumise à la concurrence, et eu égard à la définition donnée à l’article L151-1 du code de commerce. Aux termes de cet article est protégée par le secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : « (…) 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. ».
La commission prend note de ce que, dans le cadre de sa mission, Monsieur X s’est appuyé sur les contributions des comités stratégiques de filières Automobile, Nouveaux systèmes énergétiques et Mines et Métallurgie, ainsi que des responsables d’institutions scientifiques (BRGM, CNRS, CEA) et de nombreuses personnalités qualifiées. Elle prend également note de ce que l’implication des dirigeants des principales entreprises concernées a été une contribution essentielle à la mission, ainsi que le relève le communiqué de presse des ministres.
Elle observe que les analyses transcrites dans le rapport résultent des entretiens intervenus entre Monsieur X et des dirigeants d’entreprises et révèlent leur analyse de la situation et leurs stratégies en la matière. Elle constate que la valeur et la sensibilité particulière des informations contenues dans ce rapport proviennent de son mode d’élaboration en ce qu’il traduit l’analyse et les stratégies des industriels français. Elle relève, à cet égard, que le faible nombre d’acteurs dans ce domaine permet aisément, en dépit d’une approche agrégée, d’identifier les contributions de chacun. Elle prend note également de ce que les données factuelles figurant dans le rapport et provenant notamment de l’Agence internationale de l’énergie sont de nature à révéler, du fait de leur sélection et par elles-mêmes, ces analyses et stratégies.
La commission estime par suite que la communication de la majorité des informations en cause, qui serait de nature à révéler des stratégies d’acteurs économiques identifiables dans des secteurs concurrentiels et sensibles, porterait atteinte au secret des affaires au sens du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.
La commission considère que l'intérêt réel qui s'attacherait à la communication de ces informations n'est pas tel pour la protection de l'environnement et dans les circonstances de l'affaire, que celle-ci s'impose sur le fondement du premier alinéa du I de l'article L124-4 du code de l'environnement au détriment des intérêts protégés par l'article L311-6 susmentionné.
La commission constate enfin que l’ampleur des occultations à apporter à ce titre priverait d’intérêt la communication.
La commission émet donc également un avis défavorable dans cette mesure.