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Conseil 20221455 - Séance du 21/04/2022
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 21 avril 2022 votre demande de conseil relative au caractère communicable, à un candidat évincé, des documents suivants concernant le lot n° 1 de l'accord-cadre mono-attributaire à bons de commande ayant pour objet la réalisation d’enquêtes fraude et d’audits fraude sur les lignes de bus et de tramway le cas échéant, sachant que leur contenu reprend strictement les intitulés des lignes et des prix du bordereau des prix unitaires (BPU) et de la décomposition du prix global et forfaitaire (DPGF) de l'attributaire :
1) les bons de commande ;
2) les décisions de recettes des prestations ;
3) les factures acquittées.
1. Rappel des principes généraux du droit d’accès aux marchés publics et aux documents s’y rapportant :
La Commission rappelle que selon sa doctrine constante, une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, la communication à un candidat écarté des motifs ayant conduit la commission d'appel d'offres à ne pas lui attribuer le marché ne permet pas de refuser la communication de ces documents.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code.
Il résulte de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan, n° 375529 que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables.
La Commission relève que sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises, à savoir notamment le règlement de consultation, le cahier des clauses administratives particulières et le cahier des clauses techniques particulières.
En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi du bordereau des prix unitaires.
L'examen de l’offre d’une entreprise attributaire au regard du respect du secret des affaires conduit ainsi la Commission à considérer que l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire, le détail quantitatif estimatif et le mémoire technique ne sont pas communicables aux tiers.
En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
La Commission précise enfin que les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables.
2. Opposabilité du secret industriel et commercial aux pièces justificatives des comptes, afférentes aux marchés publics conclus par les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics administratifs :
La Commission rappelle qu’il résulte de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales (CGCT) que toute personne peut demander communication des délibérations et procès-verbaux du conseil municipal, des arrêtés municipaux, ainsi que des budgets et comptes de la commune. L’ensemble des pièces annexées à ces documents sont communicables à toute personne qui en fait la demande, selon les modalités prévues par l’article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration. Les dispositions du présent article s'appliquent aux établissements publics administratifs des communes. Des dispositions identiques figurent aux articles L3121-17 pour les départements, L4132-16 pour les régions, L5211-46, L5421-5, L5621-9 pour les établissements publics de coopération intercommunale, interdépartementale et interrégionale et L5721-6 pour les syndicats mixtes associant des collectivités territoriales.
Par sa décision n° 449620, du 17 mars 2022, le Conseil d’État a jugé que « si l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales a institué un régime spécifique d’accès aux documents des communes, distinct du régime général d’accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l’administration, et si les exceptions au droit d’accès prévues à l’article L311-6 de ce code ne sont pas opposables à une demande présentée sur le fondement des dispositions spéciales de l’article L2121-26 du code général des collectivités territoriales, l’exercice de ce droit d’accès particulier ne saurait faire obstacle, par principe, à la protection de secrets protégés par la loi sur d’autres fondements, tels que le secret de la vie privée ou le secret industriel et commercial, ni imposer à l’administration des difficultés matérielles excessives pour satisfaire aux demandes dont elle est saisie. »
La Commission prend acte de cette décision et abandonne en conséquence sa doctrine antérieure selon laquelle il n'y avait pas lieu, en principe, d'opposer le secret des affaires sur le fondement de l'article L2121-26 du code général des collectivités territoriales.
Revenant sur son conseil de partie I, n° 20161995 du 12 mai 2016, elle estime, par suite, que les factures afférentes aux marchés publics passés par les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics administratifs, en tant que pièces justificatives des comptes, sont librement communicables à toute personne qui en fait la demande en application des articles précités du CGCT, sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par le secret industriel et commercial.
3. Communicabilité des factures et bons de commande émis par l’attributaire d’un accord cadre à bons de commande :
La Commission considère traditionnellement que les bons de commande et les factures émis par l’attributaire d’un marché public ne peuvent, en principe, par eux-mêmes, et à la différence du bordereau des prix unitaires, refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé et sont dès lors communicables à toute personne qui en fait la demande, en vertu de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration ou des dispositions précitées du CGCT, pour les actes entrant dans le champ de ces dispositions.
En l’état actuel de sa doctrine, ce n’est que dans l’hypothèse tout à fait exceptionnelle où les documents sollicités feraient apparaître l’exhaustivité des prestations et des prix portés sur le bordereau de prix unitaires, de sorte qu’il serait possible de reconstituer ce document, que la communication doit s’accompagner des occultations appropriées et strictement nécessaires au respect du secret des affaires (avis de partie II, n° 20183274, du 22 novembre 2018).
Soucieuse de concilier, en droit de la commande publique, l’exigence de transparence administrative avec la protection de certaines informations confidentielles dont la divulgation pourrait affecter la concurrence entre les opérateurs économiques, elle considère en conséquence que les mentions relatives à la nature des prestations ou des fournitures réalisées et au coût total, figurant sur les bons de commande et les factures, ainsi que le cas échéant sur les états d’acompte, décomptes et toute autre pièce établie dans le cadre de l’exécution du marché, sont des informations auxquelles toute personne doit pouvoir accéder librement. En revanche, elle estime que ces documents, en tant qu’ils indiquent en tout ou partie les prix unitaires, reflètent nécessairement la stratégie commerciale de l’entreprise opérant dans un secteur d’activité et comportent, à ce titre, des informations portant atteinte au secret en matière industrielle et commerciale.
Elle estime, par suite, que ces documents ne peuvent être communiqués à toute personne qui en fait la demande qu’après occultation des mentions couvertes par le secret des affaires conformément aux dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration ou par le secret industriel et commercial, s’il s’agit de pièces justificatives des comptes entrant dans le champ du CGCT. A ce titre, le détail des prix, susceptible, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé, doit être occulté.