Avis 20221760 - Séance du 21/07/2022

Avis 20221760 - Séance du 21/07/2022

Ministère de la Justice

Maître X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 14 mars 2022, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la Justice à sa demande de communication de la copie numérique par courrier électronique de la décision ayant ordonné la fouille à nue de sa cliente, incarcérée au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, le 22 décembre 2021.

En réponse à la demande qui lui a été adressée, le garde des sceaux, ministre de la Justice a indiqué à la commission que la demande, en tant qu’elle porte sur un document géré et conservé par les établissements pénitentiaires sous la forme de données à caractère personnel dans le logiciel dénommé GENESIS, doit être analysée non pas comme une demande d’accès à un document administratif présentée en application du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) mais comme l’exercice, par la personne concernée, du droit d’accès aux données à caractère personnel qui la concernent dans ce fichier, exclusivement régi par les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. Cette demande relèverait donc du champ de compétence de la CNIL et non de la CADA.

1. Présentation du fichier GENESIS :

Le décret n° 2014-558 du 30 mai 2014, désormais codifié (dispositions des articles R240-1 et suivants du code pénitentiaire) a autorisé le ministère de la Justice à créer un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif à la gestion nationale des personnes détenues en établissement pénitentiaire, dénommé GENESIS. Ce traitement a pour finalité l'exécution des sentences pénales et des décisions de justice s'y rattachant, la gestion de la détention des personnes placées sous main de justice et écrouées ainsi que la sécurité des personnes détenues et des personnels et la mise en œuvre dans les meilleures conditions d'efficacité et de coordination de l'ensemble des actions relatives au parcours de la personne détenue. En vertu des dispositions du 4° de l’article R240-1 du code pénitentiaire, ce traitement permet notamment « La gestion de l'effectif, des procédures disciplinaires, des fouilles, de l'isolement, des consignes et des régimes de détention ». Enfin, les informations et données à caractère personnel qui sont enregistrées dans le traitement sont énumérées à l’article R240-3 du même code.

2. Répartition des compétences entre la CADA et la CNIL en matière de droit d’accès :

Deux objectifs complémentaires fondés sur des principes constitutionnels inspirent les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 et de la loi du 17 juillet 1978, désormais codifiée dans le CRPA : la protection de la vie privée et des libertés individuelles, d’une part, et la transparence de l’action publique, d’autre part. Le législateur a chargé la CNIL et la CADA de contribuer à la réalisation de ces objectifs, chacune dans son domaine de compétence.

La CADA est compétente, en application des dispositions de l’article L342-1 et L342-2 du CRPA, pour instruire les demandes tendant à contester un refus de communication ou de publication en ligne d’un document administratif relevant du droit d’accès prévu par ledit code, un refus de consultation ou de communication des documents d’archives publiques, à l'exception des documents mentionnés au c) de l'article L211-4 du code du patrimoine et des actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires. Ce droit d’accès permet au demandeur d’obtenir la copie d’un document administratif sous format papier ou numérique.

La CNIL est, pour sa part, compétente pour connaître des réclamations relatives au droit d’accès direct des personnes aux données à caractère personnel qui les concernent contenues dans des fichiers, ainsi que pour instruire les demandes d’accès indirect aux informations contenues dans les fichiers intéressant la sûreté de l’État et la défense. Ce droit d’accès, qui est exclusivement régi par les dispositions de la loi du 6 janvier 1978, est réservé aux personnes concernées. Les tiers, c'est-à-dire les personnes non autorisées à consulter les fichiers en vertu des textes qui les créent, peuvent quant à eux se prévaloir du livre III du CRPA pour obtenir communication des documents administratifs extraits de ces fichiers et saisir la CADA pour avis en cas de refus.

3. Droit d’accès aux données et documents issus du fichier GENESIS :

L’article R240-7 du code pénitentiaire institue au profit de la personne concernée un droit d’accès direct aux données à caractère personnel qui la concernent, exercé auprès du chef de l’établissement pénitentiaire, conformément aux dispositions des articles 104 à 106 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Afin d’éviter de nuire à la prévention ou à la détection d'infractions pénales, aux enquêtes ou aux poursuites en la matière ou à l'exécution de sanctions pénales et de protéger la sécurité publique, ce droit peut toutefois faire l’objet de restriction lorsqu’il porte sur les données suivantes : dates prévues des transferts et extractions, prescriptions d'origine judiciaire ou pénitentiaire relatives à la prise en charge et au régime de détention de la personne détenue, désignation des locaux de l'établissement et description des mouvements des personnes détenues. La personne soumise à ces restrictions exerce ses droits auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 108 de la loi du 6 janvier 1978.

La CADA n’a pas reçu compétence pour connaître des questions d’accès aux données à caractère personnel relevant de ces dispositions, qui régissent de manière exclusive l’accès aux données à caractère personnel contenues dans le fichier GENESIS par les détenus.

Dans l’hypothèse où des données à caractère personnel sont formalisées dans un document administratif existant ou susceptible d’être obtenu par un traitement automatisé d’usage courant, cette procédure particulière ne fait toutefois pas obstacle à ce qu’un détenu se prévale, en qualité de personne intéressée, du droit d’accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.

Le critère du fondement de la demande constitue la ligne de partage entre ces deux voies d’accès. Saisie d’une demande, la CADA doit apprécier au par cas, compte tenu notamment de la formulation de la demande, de la finalité poursuivie et des circonstances de l’espèce, si le demandeur a inscrit sa démarche dans une demande d’accès à un document administratif susceptible d’être extrait d’un fichier sur le fondement du CRPA ou dans le cadre d’une demande d’accès aux données à caractère personnel qui le concernent contenues dans ce fichier, auquel cas elle se déclarera incompétente.

4. Application au cas d’espèce :

En l’espèce, la commission relève que Maître X l’a saisie sur le fondement du CRPA, à la suite du refus opposé à sa demande de communication d’une copie numérique de la décision ayant ordonné la fouille à nu de sa cliente.

Elle souligne, en outre, que les décisions de fouille à nu sont des mesures de police administrative matérialisées par des décisions administratives des chefs d’établissements pénitentiaires rédigées avant la fouille et spécialement motivées (L225-2 du code pénitentiaire). Elles sont conservées dans le logiciel GENESIS autorisant leur extraction sur support informatique. A cet égard, elle souligne que la circulaire du 15 juillet 2020 relative aux fouilles des personnes détenues précise que le logiciel GENESIS a pour finalité d’assurer la traçabilité de ces mesures en cas de contentieux administratifs ou de contrôle (inspection, défenseur des droits, etc.).

Elle déduit de ces éléments que le cadre pertinent d’examen de la présente demande est celui du CRPA et elle se déclare, par suite, compétente pour en connaître.

Elle estime que la décision de fouille à nu constitue un document administratif communicable à l'intéressée ou à son conseil, en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Elle émet, dès lors, un avis favorable à la demande.