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Conseil 20223371 - Séance du 07/07/2022
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné lors de sa séance du 7 juillet 2022 votre demande de conseil relative au caractère communicable, à un chercheur universitaire, de la liste des donateurs du musée.
La commission relève que la maison de Balzac est un pavillon abritant un musée consacré à Honoré de Balzac situé rue Raynouard, dans le quartier de Passy à Paris (75016), et qu’il constitue l’un des quatorze musées de la ville de Paris gérés depuis le 1ᵉʳ janvier 2013 par l'établissement public administratif Paris Musées, lequel a été créé par délibération des 19 et 20 juin 2012 du Conseil de Paris pour la gestion des musées de la Ville.
La commission relève également que la liste demandée, qui comporte l’identité des donateurs du musée de 1902 à nos jours, l’objet du don, son année, son numéro d’inventaire ainsi que, parfois, quelques commentaires, a été établie par vos services dans le cadre de la gestion patrimoniale des collections du musée. Elle estime par suite que cette liste, élaborée par une personne publique dans le cadre de sa mission de service public, revêt le caractère d'un document administratif au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, dont le régime de communication est défini par le titre I du livre III du code des relations entre le public et l'administration.
La commission rappelle, à cet égard, qu'en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents dont la communication porterait atteinte au respect de sa vie privée. Il ressort de la décision du Conseil d'État du 17 avril 2013, ministre de l'immigration nationale et du développement solidaire (n° 337194, mentionnée aux tables du recueil Lebon), que l'intéressé, au sens de cet article, est la personne directement concernée par le document, c'est-à-dire, s'agissant d'un document contenant des informations qui se rapportent à une personne, soit cette personne elle-même, soit un ayant droit direct de cette personne, titulaire d'un droit dont il peut se prévaloir à raison du document dont il demande la communication.
La commission précise que si le nom et le prénom d'une personne physique ne sont pas, en tant que tels, couverts par la protection de la vie privée (Conseil d'État, Section, 30 mars 1990, Mme X, n° 90237, au Recueil Lebon p. 85), leur rapprochement avec des informations elles-mêmes relatives à la vie privée des personnes auxquelles elles se rapportent, qui deviennent alors identifiables, justifie l’occultation de ces mentions ou, si les occultations nécessaires dénaturent le sens du document ou privent d'intérêt sa communication, la non-communication du document.
La commission note qu’une donation est un acte par lequel une personne transmet de son vivant et gratuitement la propriété d'un bien à une autre personne. L’article 895 du code civil définit la donation entre vifs comme « un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte ». Elle note également que la Cour de cassation définit la donation au travers notamment d’un élément subjectif, l’intention de donner, élément psychologique et intellectuel (Civ. 1re, 4 nov. 1981, Bull. civ. I, no 329).
La commission en déduit que la divulgation de l'identité d’un donateur, dont la démarche relève d'un choix personnel dans l’usage qu’il fait de son patrimoine, est susceptible de porter atteinte au respect de sa vie privée, quel que soit l’objet, la valeur, le contexte ou le destinataire de la donation, sauf dans l'hypothèse où les règles de la procédure édictées pour cette donation auraient à l'avance prévu une telle publicité, et où la donation aurait ainsi été faite en connaissance de cause de sa future divulgation. Elle relève, en outre, que si la divulgation d’un don ne révèle pas nécessairement l’état global de la situation patrimoniale du donateur, elle révèle pour partie quelle en a été la composition, de sorte qu’il relève également à ce titre du secret de la vie privée.
Elle constate toutefois que la Cour de cassation a pu juger que privait sa décision de base légale, la juridiction qui écarte des débats une lettre missive au motif que la production de celle-ci violerait l'intimité de la vie privée de son rédacteur et le secret des correspondances sans rechercher si cette production n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177 P).
La commission relève que la liste en cause comporte des informations remontant à 1902. Elle constate que les actes de donation les plus anciens constituent des documents d’archives publiques librement communicables en application du 3° du I. de l’article L213-2 du code du patrimoine selon lequel « Les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai de : / (…) / 3° Cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, pour les documents dont la communication porte atteinte (…) à la protection de la vie privée, (…) ».
Dans ces conditions, compte tenu des délais écoulés et de la nature des informations figurant sur la liste, qui figurent nécessairement dans les actes de donation, elle estime que relèvent seules du secret de la vie privée les informations figurant à partir de la ligne 41 du tableau, relative à un don effectué en 1976.
La commission relève, par ailleurs, que figurent au sein de la liste, les noms de plusieurs personnes morales.
Elle note que le Conseil d'État a estimé que la protection de la vie privée est également applicable à ces personnes (CE 17 avr. 2013, Min. du travail, de l'emploi et de la santé c/ Cabinet de la Taille, n° 344924, Lebon T. ; AJDA 2013.1920, note Delaunay). Il en va ainsi de documents recueillis par l'administration au titre des pouvoirs reconnus au ministre chargé du travail, dans le cadre du processus de reconnaissance de la représentativité d'une organisation syndicale dans le champ d'une convention collective, dont la divulgation est de nature à révéler des orientations, notamment syndicales, susceptibles de méconnaître la protection de la vie privée des entreprises.
Elle estime toutefois que, dès lors qu’une donation s’inscrit a priori, pour une personne morale, dans le cadre de son objet social ou statutaire, la divulgation de son identité et de l’objet de son don, n’est pas de nature à méconnaître la protection de sa vie privée, qui ne saurait être appréhendée dans les mêmes termes que pour une personne physique.
Elle rappelle également les termes de son avis de partie II n° 20216119 du 16 décembre 2021 par lequel elle a estimé que l’identité et le montant de dons effectués dans le cadre d’opérations de mécénat ne relèvent pas du secret des affaires tel que mentionné à l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles.
Elle considère donc que ces informations sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration.
La commission vous invite donc à communiquer le document demandé, après occultation de la seule identité des personnes physiques mentionnées de la ligne 41 à la ligne 105.
La commission vous précise, à toutes fins utiles, pour les actes de donation d’une ancienneté inférieure à cinquante ans et donc non encore librement communicables en application de l’article L213-2 du code du patrimoine, qu’en vertu de l'article L213-3 du même code, une autorisation de consultation, par anticipation de l’expiration des délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné. La commission précise également que les autorisations de consultation par dérogation aux délais légaux de communicabilité n’entraînent pas de droit automatique à la reproduction ou à la transmission des documents.
Pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, la commission s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, c’est-à-dire d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégées par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger (CE, Ass 12 juin 2020, n°422327 et 431026 ; avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021).