Avis 20223593 - Séance du 21/07/2022

Avis 20223593 - Séance du 21/07/2022

Ministère de l'intérieur et des outre-mer

Monsieur X, journaliste pour X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 30 mai 2022, à la suite du refus opposé par le ministre de l'intérieur à sa demande de communication et publication du journal d'utilisation numérique des tasers utilisés par les services de police et de gendarmerie.

1. Objet de la demande :

La Commission comprend des informations portées à sa connaissance que le demandeur souhaite accéder à l’ensemble des données anonymisées relatives aux usages des pistolets à impulsions électriques ou tasers par les forces de l’ordre.

Elle précise, à cet égard, que par un arrêté du 16 novembre 2011, le directeur général de la police nationale (inspection générale de la police nationale) a été autorisé à mettre en œuvre un traitement de données à caractère personnel dénommé « traitement relatif au suivi de l'usage des armes » (TSUA) ayant pour finalité de collecter et analyser les informations relatives aux conditions et au contexte de l'usage des armes par les agents de la police nationale.

Il ressort des termes de l’instruction n° 4585A du 2 août 2017, que « Pour la police nationale, il est systématiquement rendu compte par écrit de l'intervention, en détaillant les conditions légales justifiant son emploi ainsi que ses modalités d'utilisation (mode(s), nombre de cycles et durée, nombre de tirs, distance, etc.) et les diligences effectuées (notamment le compte rendu à l'officier de police judiciaire, l'avis et/ou la visite du médecin, la mention de l'état de l’intéressé). La collecte des informations relatives à chaque cas d'utilisation s'effectue via le traitement informatique relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA), quel qu’en soit le mode (dissuasif, contact ou tir) ».

Pour la gendarmerie nationale, le recueil d’informations relatives à l’usage d’armes dans le système d’information « EVENGRAVE » est réservé au signalement d’évènement grave ou sensible, c’est-à-dire uniquement lorsque cet emploi génère le décès ou la blessure d’un tiers ou d’un personnel de la gendarmerie.

La Commission déduit de ce qui précède que la demande doit être analysée comme tendant à la communication et à la mise en ligne des seules données issues du fichier TSUA, réservé aux agents de la police nationale. Elle la déclare, en revanche, sans objet en tant qu’elle concerne les informations relatives aux services de la gendarmerie nationale.

2. Compétence de la Commission d’accès aux documents administratifs :

La Commission rappelle que l’accès des personnes aux données à caractère personnel qui les concernent dans des fichiers est exclusivement régi par les dispositions de la loi du 6 janvier 1978, qu’elle n’a pas compétence pour interpréter. En revanche, les tiers, c'est-à-dire les personnes non autorisées à consulter les fichiers en vertu des textes qui les créent, peuvent se prévaloir du livre III du code des relations entre le public et l’administration pour obtenir communication des documents extraits de ces fichiers et saisir la CADA pour avis en cas de refus.

En l’espèce, la Commission se déclare compétente pour se prononcer sur la présente demande, qui est présentée par un journaliste ayant la qualité de tiers.

3. Communication des données issues du fichier TSUA :

3.1. Principe de communication

La Commission rappelle, en premier lieu, qu’elle considère de manière constante que sont des documents administratifs existants au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), ceux qui sont susceptibles d’être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant. Il résulte à cet égard de la décision du Conseil d’État du 13 novembre 2020, n° 432832, publié aux Tables, que constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions, les documents qui peuvent être établis par extraction des bases de données dont l’administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable laquelle doit être interprétée de façon objective.

Elle précise, en second lieu, qu’aux termes de l’article L311-1 du CRPA, les administrations sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le livre III du CRPA. Ce droit doit toutefois s’exercer dans le respect des intérêts protégés par les articles L311-5 et L311-6 du CRPA.

3.1.1. Mentions protégées par l’article L311-5 du CRPA :

La Commission rappelle, d’une part, que ne sont pas communicables en application des dispositions du d) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration, les mentions ou documents dont la communication porterait atteinte à la sûreté de l’État, la sécurité publique ou la sécurité des personnes.

Elle considère traditionnellement que les documents contenant des éléments précis relatifs aux modalités et conditions d'intervention des services de police, des mentions portant sur les modalités et l'efficacité de certains tirs ainsi que sur d'éventuelles difficultés qui peuvent être rencontrées avec certaines armes par les fonctionnaires de police, dont la communication serait ainsi de nature à obérer l'efficacité de la mise en œuvre, sur le terrain, des dispositions légales permettant l'emploi de la force ne sont pas communicables en application de ces dispositions (avis n° 20205308, s’agissant des rapports d'intervention sur les circonstances de l'intervention et sur les conditions d'utilisation de l'arme remis par les policiers municipaux au maire en application des dispositions de l'article R511-28 du code de la sécurité intérieure ; avis n° 20195885, du 16 janvier 2020, s’agissant du rapport de l’Inspection générale de la police nationale intitulé « Comparatif des déclarations d'usages de l'arme individuelle dans le traitement relatif au suivi de l’usage des armes » ; avis n° 20213703, du 8 juillet 2021, concernant la note sur la « sécurité juridique des interpellations lors des manifestations » que le ministre de l’intérieur a adressée aux préfets).

3.1.2. Mentions protégées par l’article L311-6 du CRPA :

La Commission rappelle qu'aux termes de l'article L311-6, ne sont communicables qu'à la personne intéressée, c'est-à-dire la personne que le document concerne directement, les documents : « 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical ; (…) ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. »

La Commission observe que le nom des agents publics n’a, en principe, pas à faire l’objet d'une occultation en application de ces dispositions, cette mention n'étant pas couverte par le secret de la vie privée. Toutefois, s'il apparaît que la divulgation de l'identité d'un de ces agents est susceptible de révéler de sa part un comportement dont la divulgation est susceptible de lui porter préjudice, ou si des informations précises laissent craindre que la divulgation de l'identité de cet agent conduise à des représailles ciblées sur cette personne, l'administration est fondée à occulter cette mention en application des dispositions du 3° de l’article L311-6 et du d) du 2° de l’article L311-5 du CRPA.

3.1.3 Autres mentions protégées par la loi :

La Commission observe que le fichier TSUA contient également des informations médicales au sens des articles L1110-4 et L1111-7 du code de la santé publique. Elle rappelle que ces informations, si elles mentionnent le nom du patient ou permettent d'identifier celui-ci, ne sont communicables qu’aux médecins chargés du patient, à l’intéressé ou à la personne qu’il a dûment mandatée.

3.2. Application du cas d’espèce :

La Commission relève, en l’espèce, qu’à la différence des rapports d’intervention rédigés par les policiers municipaux comme dans l’avis 20205308, les informations sollicitées par Monsieur X sont, en l’espèce, extraites d’un fichier.

Les informations contenues dans ce fichier, définies en annexe de l’arrêté du 16 novembre 2001 précitées, sont regroupées par catégories de données suivantes :
- Données relatives à l'agent utilisateur et, le cas échéant, à celui qui déclare un ou plusieurs usages d'arme pour son compte ;
- Données relatives aux conditions et au contexte de l'usage de l'arme ;
- Données relatives au niveau de formation de l'agent à l'usage de l'arme ;
- Données concernant l'autorité hiérarchique habilitée à viser la déclaration enregistrée dans le traitement et, le cas échéant, à la supprimer ;
- Données concernant l'arme ou les armes utilisées et leurs munitions ;
- Données concernant les éventuelles suites apparentes de l'usage de l'arme ;
- Données concernant les suites possibles de l'usage de l'arme.

En l’espèce, la Commission relève que la seule occultation de l’identité des agents de police dans le fichier TSUA ne constitue pas une garantie suffisante de la protection des secrets protégés. En effet, le détail des données n’exclut pas par un recoupement d’informations de les ré-identifier et ne garantit donc pas leur anonymat. Une vigilance particulière s’impose également en vue de garantir l’anonymat parfait des personnes blessées.

La Commission estime, dès lors, en application des principes rappelés ci-dessus, que les données suivantes entrent dans le champ des mentions protégées par l’article L311-6 du CRPA ainsi que, le cas échéant, par l’article L311-5 du même code et sont, dès lors, exclues de la communication :
- Données relatives à l'agent utilisateur et, le cas échéant, à celui qui déclare un ou plusieurs usages d'arme pour son compte ;
- Données concernant l'autorité hiérarchique habilitée à viser la déclaration enregistrée dans le traitement et, le cas échéant, à la supprimer ;
- Données concernant les éventuelles suites apparentes de l'usage de l'arme ;
- Données concernant les suites possibles de l'usage de l'arme.

Elle estime, en revanche, d’une part, que la divulgation des données relatives au niveau de formation de l'agent à l'usage de l'arme n’est pas de nature à porter atteinte à la vie privée des agents intéressés.

Elle considère, d’autre part, que les données concernant l'arme ou les armes utilisées et leurs munitions n’entrent pas dans le champ des mentions précises dont la communication porterait atteinte à la sûreté de l’État, la sécurité publique ou la sécurité des personnes en application des dispositions du d) du 2° de l’article L311-5 de ce code, en étant de nature à compromettre l'ordre public, par exemple en obérant l'efficacité de la mise en œuvre, sur le terrain, des dispositions légales permettant l'emploi de la force.

Il en va de même, parmi les données relatives aux conditions et au contexte de l'usage de l'arme, du mode d’intervention ainsi que, le cas échéant, de certains éléments contextuels, à condition que la précision de ces variables (périmètre géographique et temporel) ne constitue pas un risque de rupture de l’anonymat des personnes intéressées.

La Commission estime que ces données sont communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du CRPA et peuvent être publiées en ligne, sous réserve du respect des conditions posées à l’article L312-1-2 du même code.

Sous réserve, d’une part, qu’un traitement automatisé d’usage courant le permette techniquement et, d’autre part, de garantir l’anonymat parfait des personnes intéressées, elle émet dès lors, dans cette mesure, un avis favorable à la demande, selon les modalités prévues par le 4° de l'article L311-9 du même code.

Enfin, la Commission observe qu’eu égard à l’intérêt public de ces données et aux missions comparables accomplies par les forces de l’ordre nationales, la logique voudrait que des données analogues soient également rendues publiques pour les services de la gendarmerie nationale.