Avis 20224541 - Séance du 08/09/2022

Avis 20224541 - Séance du 08/09/2022

Neurocentre Magendie

Madame X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 24 juin 2022, à la suite du refus opposé par le directeur du Neurocentre Magendie à sa demande de communication, par voie électronique (publication sur le site internet du centre ou envoi d'un lien de téléchargement par courriel), des vidéos des sessions de tests comportementaux (peur contextuelle, labyrinthe surélevé, nage forcée, champ ouvert, etc.) réalisées dans le cadre des recherches relatées dans l'article scientifique sur l’augmentation des comportements anxieux chez les souris, consultable sur le lien suivant : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7960700/.

1. Sur la qualification de document administratif :

La commission rappelle qu'aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, (…), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission ».

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les enregistrements audiovisuels sollicités ont été produits par des agents publics du Neurocentre Magendie, unité mixte de recherche placée sous la tutelle de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), établissement public national à caractère scientifique et technologique. La commission estime dès lors que ces documents, élaborés dans le cadre d'une activité de service public, présentent le caractère de documents administratifs.

2. Sur le cadre juridique de la communication des documents administratifs grevés de droits d’auteur :

La commission précise, d’une part, qu'en vertu de l'article L311-4 du code des relations entre le public et l'administration : « Les documents administratifs sont communiqués ou publiés sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ».

Elle indique, d’autre part, qu’aux termes de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle : « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code ». Le troisième alinéa de cet article prévoit, en outre, que sous réserve des exceptions prévues par le présent code, il n’est pas dérogé à la jouissance du droit de propriété intellectuelle « lorsque l'auteur de l'œuvre de l'esprit est un agent de l’État, d'une collectivité territoriale, d'un établissement public à caractère administratif, d'une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale, de la Banque de France, de l'Institut de France, de l'Académie française, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, de l'Académie des sciences, de l'Académie des beaux-arts ou de l'Académie des sciences morales et politique ».

Au titre des droits moraux, l’article L121-2 de ce code dispose que « L'auteur a seul le droit de divulguer son œuvre. Sous réserve des dispositions de l'article L132-24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci. » Il résulte toutefois de l’article L121-7-1 du même code que le droit de divulgation reconnu à l’agent public « qui a créé une œuvre de l’esprit dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues s’exerce dans le respect des règles auxquelles il est soumis en sa qualité d’agent et de celles qui régissent l’organisation, le fonctionnement et l’activité de la personne publique qui l’emploie ». La commission relève que parmi ces règles, figurent celles du code des relations entre le public et l'administration qui imposent aux administrations de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent, sous réserve des articles L311 5 et L311-6 dudit code. Elle considère, dès lors, que le droit de divulgation dont dispose un agent public sur un document administratif ne saurait faire obstacle au droit d'accès prévu par le titre Ier du livre III de ce code. Elle en déduit qu'en principe, l'administration n'a pas à requérir l'autorisation préalable de l'agent public concerné ou le cas échéant de ses ayants droit, avant de procéder à la communication ou à la publication du document (Conseil n° 20180226, du 17 mai 2018).

Toutefois, le dernier alinéa de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle exclut des dispositions de l’article L121-7-1 précitées « les agents auteurs d’œuvres dont la divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique ». Ces agents disposent donc du droit de divulgation des œuvres dont ils sont les auteurs, dans les conditions prévues à l'article L121-2 du même code, ce droit patrimonial n’étant pas transféré automatiquement à l’administration. Il résulte de l’article L311-4 du code des relations entre le public et l’administration, telles qu'interprétées par le Conseil d’État (CE, 8 novembre 2017, Association spirituelle de l’Église de scientologie, n° 375704), qu'avant de procéder à la communication ou à la publication de documents administratifs grevés de droits d’auteur n'ayant pas déjà fait l'objet d'une divulgation au sens de l'article L121-2 du code de la propriété intellectuelle, il appartient à l'administration saisie de recueillir l'accord de leur auteur (Conseil de partie II, n° 20180226, du 17 mai 2018).
Par suite, lorsqu’un agent entrant dans le champ d’application du dernier alinéa de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle détient des droits de propriété intellectuelle sur un document administratif en possession de l'administration, cette dernière doit requérir son autorisation préalable avant de procéder à la communication ou à la publication du document.

3. Application au cas d’espèce :

La commission estime qu’entrent en principe dans le champ d’application des dispositions précitées de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, les personnels de recherche des établissements publics à caractère scientifique et technologique qui, en vertu de l’article L411-3 du code de la recherche, jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions et de leurs activités de recherche.

En l’espèce, le président de l’INSERM a justifié son refus en faisant valoir que les chercheurs ayant réalisé les enregistrements audiovisuels sollicités, qui sont ainsi concernés, ont refusé que ces documents soient communiqués à Madame X. La commission prend acte de ce refus. Elle souligne que dans un avis de partie I, n° 20221454, du 23 juin 2022, elle a précisé que pour être protégées par des droits de propriété intellectuelle, la jurisprudence exige que les œuvres de l’esprit se caractérisent par une certaine originalité. Elle en déduit que si l’autorité saisie l’informe qu’un tiers détenant des droits de propriété intellectuelle sur un document administratif en sa possession n’a pas donné son accord à la communication, il lui incombe de démontrer que le document sollicité constitue effectivement une œuvre de l’esprit, en fournissant des éléments circonstanciés justifiant son apport créatif.

La commission précise que les œuvres audiovisuelles sont mentionnées comme des œuvres de l’esprit à l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, pour être protégées, la jurisprudence exige que les œuvres de l’esprit se caractérisent par une certaine originalité, en ce qu’elles font apparaître l’empreinte, le style, la personnalité de leur auteur, ou encore l’apport ou l’effort intellectuel de ce dernier (Avis de partie II, n° 20185133, du 6 décembre 2018). Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Cassation que la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés (Civ. 1ère , 8 nov. 1983, n° 82-13.547 , Bull. civ. I, n° 260, à propos d’un ouvrage médical). L’originalité d’une œuvre s’apprécie indépendamment de son genre, de la forme d’expression, du mérite ou de sa destination.

Dans le domaine scientifique, la création scientifique a été définie par le comité d’éthique du CNRS (Comets) comme : « le fait de développer de manière originale des idées, des méthodes ou des dispositifs, d’effectuer de nouvelles observations, de produire des résultats nouveaux ou inattendus, ou bien de contribuer à définir ou réorganiser un champ de recherches ». La commission relève néanmoins que dans la jurisprudence judiciaire, les œuvres scientifiques sont rarement qualifiées d’originales. Ainsi, notamment, si les ouvrages scientifiques peuvent être protégés en tant qu’expression de la pensée humaine, ils ne le sont pas dans la mesure où ils énoncent sous une forme banale ou nécessaire des lois ou des procédés de caractère technique, eux-mêmes non protégés (TGI Paris, 30 avr. 1980 : RIDA oct. 1980, p. 138). Après avoir énoncé « qu'il est dans la nature de l'évolution scientifique (...) que des publications renouvelées ou nouvelles, portant sur les mêmes données et ayant le même objet voient le jour et adaptent la présentation des connaissances et des données d'information scientifiques ou cliniques déjà connues et établies », la Cour d’appel de Riom a également refusé la protection d’un ouvrage scientifique en jugeant que « des définitions considérées comme l’expression exacte d’une réalité scientifique commune » sont dépourvues d’originalité (CA Riom, 27 juillet 2004, n° 02/1309).

En l’espèce, la demande porte sur des vidéos montrant des sessions de tests comportementaux sur des souris. Ces vidéos ont été réalisées par des chercheurs du Neurocentre Magendie dans le cadre d’un projet de recherche visant à approfondir les connaissances sur les effets secondaires d’un médicament, en particulier les troubles anxieux. Les résultats de ces recherches ont été publiés dans une revue scientifique. Il ressort des informations transmises à la commission au cours de l’instruction de la demande et de l’audition des représentants de l’INSERM lors de sa séance, que ces vidéos procèdent d’une démarche intellectuelle particulière et originale des chercheurs qui les ont produites, définie dans un protocole de recherche préalablement établi. Ainsi notamment, des choix techniques ont été opérés afin de traduire les « mises en scène » définies dans le protocole en fonction des réactions attendues des animaux et les situations filmées ont été provoquées pour la nécessité de l’étude. La commission déduit de ces éléments que ces enregistrements audiovisuels ne se bornent pas à exposer un contenu scientifique brut mais sont marqués par la personnalité de leurs auteurs, en ce qu’ils traduisent l’originalité des choix méthodologiques qu’ils ont opérés, ainsi que l’analyse personnelle particulière qu’ils ont menée pour les besoins de cette étude. Elle considère, par suite, que ces documents présentent le caractère d’une œuvre de l’esprit, au sens de l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle.

La commission, qui prend acte du refus des agents concernés de communiquer leurs vidéos à Madame X, ne peut donc, en l’espèce, qu’émettre un avis défavorable à la demande.