Avis 20224986 - Séance du 13/10/2022

Avis 20224986 - Séance du 13/10/2022

Présidence de la République

Monsieur X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 23 juillet 2022, à la suite du refus opposé par le directeur de cabinet du Président de la République à sa demande de communication, par courriel, des documents suivants relatifs à l’opération « Tech For Good » :
1) l’ensemble des correspondances (courriers, courriels, ou autres) envoyés ou reçus par les services de la présidence de la République, incluant notamment Messieurs X, X, X, X, X et X mentionnant cette opération, entre le 1er janvier 2018 et le 30 mai 2022 ;
2) l'ensemble des échanges entre des employés ou des représentants du cabinet X et les services de la présidence de la République, incluant notamment Messieurs X, X, X, X, X et X, entre le 1er janvier 2018 et le 30 mai 2022 ;
3) l'ensemble des échanges entre Monsieur X, dirigeant de X, et les services de la présidence de la République, incluant notamment Messieurs X, X, X, X, X et X, entre le 1er janvier 2018 et le 30 mai 2022 ;
4) la liste des interventions du cabinet X dans le cadre de cette opération, entre le 1er janvier 2018 et le 30 mai 2022 ;
5) les différents documents relatifs à ces interventions respectives, dès lors qu’ils existent : accords-cadres, offres déposées, actes d’engagement, bons de commande, rapports d'analyse des offres, mais aussi tout autre document contractuel établi entre X et le commanditaire, ainsi que les documents relatifs à l'évaluation des prestations ou tout autre document assimilé ;
6) l’ensemble des « livrables » produits par X dans le cadre de ces prestations.

1. S’agissant des points 1) à 3) de la demande, en tant qu’ils visent des correspondances (courriers, courriels, ou autres) envoyées ou reçues, directement, par le Président de la République, ainsi que des échanges intervenus entre ce dernier et des employés ou représentants du cabinet X, et Monsieur X, dirigeant de X.

La commission, qui a pris connaissance des observations de la secrétaire générale du Gouvernement sur ce point, rappelle qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. / (…) ».

La commission relève que, de manière générale, des échanges intervenus entre l’administration et des représentants d’entreprises en vue de la tenue d’un événement tel que celui intitulé « Tech For Good », constituent des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration précité.

La commission relève néanmoins que le droit d’accès aux documents administratifs est garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » (Cons. const., déc. n° 2020-834 QPC du 3 avril 2020). Elle estime que ce droit, tel qu’il figure au livre III du code des relations entre le public et l’administration, doit être appréhendé compte tenu notamment de cette finalité.

La commission relève, à cet égard, qu’aux termes du premier alinéa de l’article 67 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 : « Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. »

La commission en déduit que des correspondances émanant directement du Président de la République, agissant en cette qualité, ne peuvent être qualifiées de documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Elle estime qu’il en va nécessairement de même des courriers, courriels et autres documents adressés personnellement au Président de la République et à l’origine de ces correspondances, ainsi que des réponses à celles-ci.

La commission entend, en effet et ce faisant, poursuivre sa doctrine issue de son avis de principe n° 20090869 du 5 novembre 2009 par lequel elle a estimé que le Président de la République ne saurait être regardé comme l'une des autorités mentionnées à l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978, alors applicable, tenues, en application de l'article 2 de cette même loi, de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent à toute personne qui en fait la demande.

Elle ne peut, en conséquence, que déclarer, dans cette mesure, irrecevables les points 1) à 3) de la demande.

2. S’agissant des points 1) à 3) de la demande, en tant qu’ils visent des collaborateurs du Président de la République.

La commission rappelle, à titre liminaire, qu’à la différence des documents susmentionnés propres au Président de la République lui-même, agissant en cette qualité, ceux que détient la Présidence de la République dans le cadre des missions qui lui sont dévolues constituent des documents administratifs entrant dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l’administration (v. s'agissant des documents comptables relatifs à des dépenses engagées par la Présidence de la République : CE, 27 novembre 2000, X, aux tables du Rec. Lebon).

La commission, qui a pris connaissance des observations du directeur de cabinet du Président de la République, précise que les courriers détenus ou reçus par les agents publics, y compris sur leurs terminaux électroniques professionnels (avis n° 20184184 du 6 décembre 2018), constituent des documents administratifs communicables à toute personne qui en fait la demande, s'ils sont en possession de l’administration et sont susceptibles de faire l’objet d’une extraction par un traitement automatisé d'usage courant, dans le respect des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 de ce code, et par suite, le cas échéant, après occultation de ces derniers ou disjonctions des documents qui en relèveraient entièrement en application des dispositions de l’article L311-7 du même code.

La commission rappelle, toutefois, que le droit d'accès aux documents administratifs défini par le livre III de ce code ne contraint pas l'administration à effectuer des recherches pour répondre à une demande et que les administrations ne sont pas tenues de répondre aux demandes trop générales ou insuffisamment précises (CE 27 septembre 1985, Ordre des avocats au barreau de Lyon c/ X, n° 56543, Lebon 267 ; CE 30 juin 1989, OPHLM de la Ville de Paris, n° 83477).

Elle estime ainsi irrecevables, les demandes portant sur des échanges intervenus entre une ou des administrations et une autre administration ou une personne privée, lorsqu’elles sont trop imprécises quant à l'objet des documents demandés (avis n° 20216781 du 16 décembre 2021), quant à leur nature (avis n° 20195507 du 12 mars 2020), quant à l'administration et/ou ses composantes en cause (avis n° 20195507 du 12 mars 2020), quant à son ou ses interlocuteurs (avis n° 20194880 du 12 mars 2020 ; n° 20213868 du 15 juin 2021), quant au cadre d'élaboration du document (avis n° 20213868 du 15 juin 2021) ou encore quant à la période de temps visée (avis n° 20213868 du 15 juin 2021).

La commission relève, s’agissant du point 1) de la demande, que si celui-ci est borné dans le temps et comporte un objet circonscrit, il ne fait pas état des interlocuteurs à qui les correspondances en cause auraient été adressées, ni ne précise les circonstances de leur envoi.

La commission ne peut donc que déclarer irrecevable, dans cette mesure, le point 1) de la demande.

S’agissant des points 2) et 3), la commission relève des éléments portés à sa connaissance par l’administration, la charge excessive que ces demandes feraient peser sur elle, compte tenu des opérations de repérage, sélection, lecture et occultation induites.

La commission rappelle qu'aux termes de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration : « L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. »

La commission précise que, par sa décision du 14 novembre 2018 dite Ministre de la culture c/ X (n°s 420055, 422500), le Conseil d’État a jugé que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Par sa décision du 17 mars 2022 dite M. K… M… (n° 449620), il a précisé que, pour apprécier le caractère excessif d’une telle charge, il convient de prendre en compte « l’intérêt qui s’attache à [la] communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public ». Par sa décision du 27 septembre 2022 dite X (n° 451627), il a estimé qu’une charge disproportionnée pouvait provenir de l’ampleur d’occultations à effectuer au sein d’un même document.

La commission relève, en l’espèce, qu’en admettant même que la demande implique la consultation et le traitement de « plusieurs milliers de messages », cette circonstance, à elle-seule, en l'absence de toute autre information relative aux moyens de l'administration, aux capacités d'identification et d'extraction des documents, aux opérations à mener, aux difficultés effectivement rencontrées ou encore à l'ampleur du travail induit, n'est pas de nature, en tout état de cause, à révéler l'existence d'une charge excessive pesant sur l'administration, alors que la demande en cause a été présentée par un journaliste, pour les besoins de son activité.

La commission estime, par suite, que les documents en cause sont communicables au demandeur, sous réserve de l’occultation préalable des éventuelles mentions relevant de l’un des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

Elle émet, dans cette mesure et sous ces réserves, un avis favorable sur ces points de la demande.

3. S’agissant du point 4) de la demande, la commission n’est pas en mesure d’identifier un document dont l’objet serait distinct de ceux visés aux points 2), 5) et 6) de la demande. Elle comprend en effet que les « interventions » mentionnées ne peuvent se traduire nécessairement que par des échanges, visés au point 2), l’émission de commandes, visées au point 5), ou la remise de livrables, visés au point 6).

La commission ne peut donc que déclarer sans objet la demande sur ce point.

4. S’agissant du point 5) de la demande, la commission rappelle sa doctrine constante selon laquelle, une fois signés, les marchés publics et les documents qui s'y rapportent sont considérés comme des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.

Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de cette loi.

Il résulte de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan, n° 375529, que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.

Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières, etc.).

En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la commission a également précisé dans son conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, qui ne peuvent être communiqués à toute personne qui en fait la demande qu’après occultation de la mention des prix unitaires ou du détail de la décomposition du prix global forfaitaire.

L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.

En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres), les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.

La commission précise enfin que si la liste des entreprises ayant participé à la procédure est librement communicable, en revanche les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables.

La commission estime donc que les documents sollicités qui se rapportent à un ou plusieurs marchés publics ainsi qu’à leur procédure de passation, sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, après occultation des éventuelles mentions couvertes par le secret des affaires. Elle estime qu’il en va de même des documents d’évaluation demandés, sous cette même réserve du secret des affaires et sous réserve des éventuelles mentions faisant apparaître le comportement du cabinet X ou d’un tiers, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait leur porter préjudice.

La commission émet donc, sous ces réserves, un avis favorable sur ce point de la demande et prend note de l’accord de l’administration à une telle communication.

5. S’agissant du point 6) de la demande, la commission relève tout d’abord des observations du directeur de cabinet du Président de la République que « plusieurs documents mis au point par la présidence et différentes organisations ont déjà fait l’objet d’une publication sur le site « elysée.fr ». ».

La commission rappelle qu'en application du quatrième alinéa de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration, le droit à communication des documents administratifs ne s'exerce plus lorsque les documents sollicités font l'objet d'une diffusion publique.

La commission relève toutefois qu’en l’absence de précisions, elle n’a pas été en mesure d’identifier quels « livrables » émanant du cabinet X seraient effectivement disponibles sur le site internet de la présidence de la République, ni par suite de s’assurer de l’existence d’une diffusion publique. Elle estime donc recevable, dans son entier, ce point de la demande.

La commission rappelle, ensuite, qu'aux termes des premier et deuxième alinéas de l'article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés. Il ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration ». En application de ces dispositions, la commission distingue ainsi deux types de documents :
- les documents inachevés en la forme, tels que les ébauches, brouillons et versions successives d'un document, qui précèdent l'élaboration d'un document complet et cohérent, et qui ne peuvent être communiqués en l'état. Seul le document achevé sera communicable, le cas échéant ;
- les documents préparatoires, lesquels ont acquis leur forme définitive, mais dont la communication est subordonnée à l’intervention de la décision administrative qu'ils préparent.

La commission estime que la seule circonstance que le dernier sommet « Tech For Good » prévu n’a pu avoir lieu et que certains « livrables », non utilisés, pourraient l’être à l’occasion d’une prochaine édition de l’événement, ne permet pas de les regarder comme des documents inachevés au sens de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration. Elle relève, en effet, que ces « livrables » ont été remis, par le cabinet X, à leur commanditaire, à l’issue d’une prestation de services désormais achevée, conformément à une commande désormais exécutée. Ils ne constituent donc pas une version provisoire d’un futur document à intervenir.

La commission estime que cette circonstance ne permet pas davantage de regarder ces « livrables » comme des documents préparatoires au sens de ces mêmes dispositions. Elle relève, en effet, qu’il n’est fait état d’aucune « décision » à l’élaboration de laquelle ces documents concourraient, et elle n’a pas été en mesure d’en identifier une elle-même. Elle relève, en outre et en tout état de cause, que l’administration a renoncé à la tenue de l’événement « Tech For Good » en vue duquel les « livrables » avaient été commandés au cabinet X et n’évoque qu’une possible utilisation de ceux-ci dans le cadre d’un prochain événement, encore hypothétique à ce stade.

La commission relève que les « livrables » demandés avaient vocation à être utilisés publiquement lors de la tenue de l’événement « Tech For Good ». Elle en déduit, dans ces conditions, qu’ils sont librement communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration, sans qu’il y ait lieu d’émettre une quelconque réserve.

Elle émet donc un avis favorable sur ce point de la demande.