Avis 20226631 - Séance du 12/01/2023

Avis 20226631 - Séance du 12/01/2023

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Monsieur X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 25 octobre 2022, à la suite du refus opposé par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse à sa demande de communication d'un export numérique, dans un standard ouvert et réutilisable, des résultats détaillés par établissement de l’enquête SIVIS (système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire) réalisée au titre de l’année scolaire 2020‐2021 auprès des écoles publiques et des collèges et lycées publics et privés sous contrat.

La commission relève, à titre liminaire, que l’enquête SIVIS est produite par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère chargé de l’éducation nationale. Elle comporte un questionnaire « incidents » mis à disposition sur le réseau intranet académique, renseigné en continu lors de la survenance d’un fait grave dans un établissement scolaire. Les résultats de cette enquête, présentés au niveau national, font l’objet d’une publication annuelle par la DEPP ne permettant d’établir aucun lien entre les incidents et les établissements. La commission comprend que le demandeur souhaite obtenir, au titre de l’année 2020-2021, les données du questionnaire « incidents » dans une version agrégée par établissement.

Elle estime, en premier lieu, que les données statistiques produites, comme en l’espèce, par une autorité administrative dans le cadre de ses missions de service public revêtent un caractère administratif au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration. Ces données sont en principe librement communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L311-1 du même code, sous réserve toutefois des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 de ce code.

La commission rappelle, à cet égard, que le h) du 2° de l'article L311-5 prévoit que ne sont pas communicables les documents dont la communication porterait atteinte à un secret protégé par la loi. Elle considère que revêt un tel caractère le secret des statistiques mentionné à l’article 6 de la loi n°51-711 du 17 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière statistique (avis de partie I, n° 20191797, du 16 janvier 2020).

Ces dispositions prévoient que « les renseignements individuels figurant dans les questionnaires revêtus du visa prévu à l'article 2 de la présente loi et ayant trait à la vie personnelle et familiale et, d'une manière générale, aux faits et comportements d'ordre privé ne peuvent, sauf décision de l'administration des archives, prise après avis du comité du secret statistique et relative à une demande effectuée à des fins de statistique publique ou de recherche scientifique ou historique, faire l'objet d'aucune communication de la part du service dépositaire avant l'expiration d'un délai de soixante-quinze ans suivant la date de réalisation de l'enquête ou d'un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé, si ce dernier délai est plus bref ».

La commission saisit l’occasion de la demande d’avis pour préciser leur portée.

1. Sur la condition tenant au visa :

L’article 2 de la loi précitée du 7 juin 1951 indique que doit être soumise au visa préalable du ministre chargé de l'économie et du ministre à la compétence duquel ressortissent les intéressés, « toute enquête statistique des services publics ». Une enquête statistique, au sens de ces dispositions, est une opération de collecte et de traitement de données à des fins exclusives de production de statistiques d’intérêt général, produite par les organismes chargés du service public statistique, qui inclut l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et les services statistiques ministériels, (article 1er de la loi).

Le visa ministériel est accordé, notamment, aux enquêtes s’inscrivant dans le cadre du programme de travaux statistiques du Conseil national de l'information statistique. Le décret n° 2009-318 du 20 mars 2009 prévoit, dans son article 1er, que « Le Conseil national de l'information statistique donne son avis, notamment : (…) 3° Sur le programme annuel d'enquêtes des services producteurs de la statistique publique et ses modalités d'application, en délivrant un label d'intérêt général et de qualité statistique ; (…) ».

Par ailleurs, le comité du label de la statistique publique examine, pour le compte du Conseil national de l'information statistique, les projets comportant la collecte d'informations au moyen d'enquêtes pour lesquelles est sollicité le visa prévu à l'article 2 de la loi du 7 juin 1951. En cas d'évaluation favorable du projet, il donne à l'enquête un avis de conformité ainsi qu'un avis sur son caractère obligatoire (article 20 du même décret).

Enfin, aux termes de l’article 25 du décret précité du 20 mars 2009, sur le fondement de cet avis, le ministre chargé de l'économie arrête le programme annuel des enquêtes statistiques, qui comprend l'indication du caractère obligatoire ou non de chaque enquête.

En application de ces principes, la commission relève que l’enquête SIVIS est produite par la DEPP, qui relève du service public statistique mentionné à l’article 1er de la loi du 7 juin 1951. Cette enquête a reçu le label d'intérêt général et de qualité statistique du Conseil national de l'information statistique et est intégrée dans le programme annuel d’enquêtes statistiques auprès des ménages et des collectivités territoriales des services publics pour 2020, approuvé par arrêté du ministère en charge de l’économie du 24 novembre 2019.

L’attribution du label lui a permis d’obtenir le visa ministériel mentionné à l’article 2 de la loi du 7 juin 1951. Les questionnaires de l’enquête SIVIS relèvent donc du champ d’application du secret des statistiques pour l’application de l’article 6 de la loi du 17 juin 1951.

2. Sur la notion de « renseignement individuel » ayant trait à la « vie personnelle et familiale » et plus généralement aux « faits et comportements d’ordre privé »:

En l’espèce, la commission relève que les variables du questionnaire « incidents » décrivent chaque incident en termes de types d’actes, de types d’auteurs et de victimes, avec indication de données à caractère personnel à savoir l’âge et le sexe, et portent également sur le lieu, les circonstances dans lesquelles s'est produit l'incident, sur sa motivation et, enfin, sur les suites données.

La commission constate d’abord que le secret en matière statistique garantit le respect de la confidentialité due à la vie personnelle et familiale et plus généralement aux faits et comportements d’ordre privé. En l’espèce, les données sollicitées, eu égard à leur nature et dans la mesure où elles se rapportent à des personnes physiques, entrent dans le champ des catégories de données protégées par le secret des statistiques.

La commission précise, ensuite, que le secret des statistiques protège les renseignements individuels figurant sur des questionnaires. Elle estime que la notion de renseignement individuel doit être entendue comme concernant toute information se rapportant à une personne physique nommément identifiée ou identifiable, c’est-à-dire susceptible d’être identifiée directement ou indirectement par individualisation, corrélation ou inférence.

Elle relève, en l’espèce, que la demande de communication porte sur les données par établissement, et non sur les données agrégées au niveau national ou académique. Elle constate également que seuls les incidents présentant un degré de gravité suffisant sont décrits dans les questionnaires « incidents » de l’enquête SIVIS, ce qui limite le nombre d’occurrences des faits relatés par établissement au titre d’une année scolaire. Elle souligne enfin la précision des variables du questionnaire.

Les informations que comporte ce questionnaire, combinées avec les noms des établissements, sont ainsi susceptibles d’être rapprochées et de permettre de relier certains incidents à une ou plusieurs personnes déterminées, au premier chef, les auteurs et les victimes. En outre, ce risque est susceptible d’être accru en cas de médiatisation des faits ou pour des faits isolés par exemple.

La commission estime, dès lors, que les données du questionnaire « incidents » de l’enquête SIVIS constituent des renseignements individuels ayant trait à la vie personnelle et familiale et, plus généralement, à des faits et comportements d'ordre privé, au sens de l’article 6 de la loi du 7 juin 1951.

La commission considère, par suite, que l’export numérique des résultats détaillés par établissement sollicité par Monsieur X est couvert par le secret des statistiques et ne lui est donc pas communicable en application du h) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration.

Elle émet, en conséquence, un avis défavorable à la demande.