Avis 20230184 - Séance du 16/02/2023

Avis 20230184 - Séance du 16/02/2023

Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Monsieur X, journaliste pour X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 9 janvier 2023, à la suite du refus opposé par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à sa demande de communication, dans un format numérique, ouvert et réutilisable, en indiquant leur adresse de téléchargement ou en pièces jointes d'un courriel, de l'ensemble des avis émis par le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) sur le Covid-19.

La commission relève que selon le communiqué du ministère de la santé du 24 mars 2020, l’installation à cette date du CARE avait pour objectifs « d’éclairer les pouvoirs publics dans des délais très courts sur les suites à donner aux propositions d’approche innovantes scientifiques, technologiques et thérapeutiques formulées par la communauté scientifique française et étrangère pour répondre à la crise sanitaire du Covid-19 et vérifier que les conditions de déploiement et de portage sont réunies ; de solliciter la communauté scientifique pour faire des propositions sur des thématiques identifiées par le ministère des solidarités et de la santé ou le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. (…). »
Ce « comité d’expertise rapide » était composé de douze médecins et chercheurs, sous la présidence de Madame X.

En réponse à la demande qui lui a été adressée, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a précisé à la commission que le CARE avait élaboré deux catégories de documents : des avis sur des projets scientifiques de recherche soumis par des entreprises ou des universités, qui ont constitué l’essentiel de son activité, et des notes de conseil au Gouvernement.

La commission considère que l’ensemble des documents ainsi produits par le CARE constituent des documents administratifs soumis au droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration et qu’ils sont en principe communicables à toute personne qui en fait la demande sous réserve, d’une part, qu'ils ne revêtent pas ou plus un caractère préparatoire et, d'autre part, de l'occultation préalable des mentions relevant des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 de ce code.

Pour ce qui concerne en premier lieu les avis sur des projets scientifiques, la ministre a indiqué à la commission qu’elle estimait que ces documents comportaient de nombreuses mentions relevant du secret des affaires et que leur occultation priverait la communication de son intérêt.

Dans les exemples dont elle a pu prendre connaissance, la commission observe que les documents sollicités comportent la présentation par des chercheurs, des médecins ou des entreprises de propositions de protocole thérapeutique ou de dépistage puis l’évaluation par le CARE de la pertinence de ces propositions et de la possibilité de les mettre en œuvre à court terme.

La commission rappelle, d’une part, que l’article L311-6 s’oppose à ce que soient divulgués à des tiers les documents dont la « communication porterait atteinte (…) au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L300-2 est soumise à la concurrence ».

Elle précise qu’aux termes de l’article L151-1 du code de commerce, est protégée par le secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : « (…) 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».

La commission rappelle, d’autre part, que les documents administratifs et financiers relatifs aux conditions d’exercice des missions des personnes morales de droit public chargées d'une mission de service public dont l'objet principal n'est ni industriel, ni commercial sont intégralement communicables à toute personne, sans que puisse être opposé le secret des affaires et nonobstant le fait que leur activité s’inscrive dans un environnement concurrentiel (avis n° 20210291 du 4 mars 2021 ; n° 20216119 du 16 décembre 2021).

En application des principes qui viennent d’être rappelés, la commission estime que lorsque les propositions ont été soumises au CARE par des personnes morales de droit privé et par des personnes morales de droit public dont l’objet est industriel ou commercial, la description des techniques, pistes de recherche et moyens humains ou matériels envisagés est couverte par le secret des affaires et n’est par conséquent pas communicable au demandeur.

La commission constate par ailleurs que l’ampleur des occultations qui seraient à opérer à ce titre est telle qu’elle priverait d’intérêt la communication des avis sollicités.

La commission émet par conséquent un avis défavorable sur ce point de la demande.

En revanche, elle émet un avis favorable à la communication des avis sollicités lorsqu’ils portent sur des propositions soumises par des personnes morales de droit public dont l’objet n’est ni industriel ni commercial, sous réserve de l’occultation des mentions dont la communication porterait atteinte à la vie privée, en particulier, les adresses électroniques des auteurs des propositions.

A toutes fins utiles, la commission rappelle qu'aux termes de l’article L311-4 du code des relations entre le public et l’administration : « les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ». Dans sa décision du 8 novembre 2017, n° 375704, le Conseil d’État a précisé que la réserve des droits de propriété intellectuelle implique, avant de procéder à la communication d’un document n’ayant pas déjà fait l’objet d’une divulgation, au sens de l’article L121-2 du code de la propriété intellectuelle, de recueillir l’accord de son auteur. Dans un avis n° 20224541 du 8 septembre 2022, la commission a précisé que les agents publics qui entrent dans le champ d’application du dernier alinéa de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, à l’instar des personnels de recherche des établissements publics, détiennent des droits de propriété intellectuelle sur les œuvres de l’esprit qu’ils créent.

S’il ne lui est pas apparu que les propositions, telles qu’elles ont été soumises au CARE, puissent être qualifiées d’œuvre de l’esprit, la commission invite toutefois la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche à s’assurer que tel est toujours le cas, au regard des développements dont ont pu depuis lors faire l’objet ces propositions, et à recueillir, le cas échéant, l’accord de leurs auteurs avant de procéder à la communication des avis sollicités.

Pour ce qui concerne en second lieu les notes de conseil au Gouvernement, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a indiqué à la commission qu’elle considérait que compte tenu de leur finalité, ces documents étaient couverts par le secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif.

La commission observe que la note du 23 avril 2020 relative à un candidat vaccin contre le Covid-19, dont elle a pu prendre connaissance, décrit la structure de partenariat, le calendrier, les contrats et les capacités de production alors envisagés par les acteurs concernés et les points de vigilance que le CARE identifiait sur chacun de ces aspects. Dans la note du 27 mai 2020 également produite à la commission, le CARE a présenté les enseignements qu’il tirait de la gestion de la crise sanitaire, les faiblesses identifiées en situation d’urgence ainsi que les opportunités de renforcement, et a formulé des recommandations.

La commission rappelle qu’en application du a) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration et du a) du 1° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les documents dont la divulgation porterait atteinte au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ne sont pas communicables avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier.

Relèvent de cette catégorie les documents élaborés ou reçus par les formations collégiales du Gouvernement, en particulier les comptes rendus du conseil des ministres, des conseils ou comités interministériels et des réunions interministérielles (CE, 10 mai 1996, n° 163607), ainsi que les documents dont le Président de la République, le Premier ministre ou, le cas échéant, l'un de ses ministres ont demandé l'élaboration pour définir la politique du Gouvernement, et qui présentent une sensibilité particulière. (CE, 2 décembre 1987, n° 74637 et CE, 12 octobre 1992, n° 106817, Association SOS Défense). N’entrent en revanche pas dans ce champ, les documents, élaborés par une entité administrative agissant dans le cadre de ses missions, qui ne s’inscrivent pas dans le processus décisionnel du Gouvernement et ne procèdent pas d’une initiative politique de sa part.

En l’espèce, la commission estime d’abord qu’il ne résulte pas des attributions et de la composition du CARE, telles que décrites par le communiqué du 24 mars 2020, que ce comité aurait eu pour vocation de participer à la définition de la politique du Gouvernement. La commission relève ensuite que les exemples de notes dont elle a pu prendre connaissance, qui ne répondent pas à une demande du Président de la République, du Premier ministre ou d'un ministre pour préparer une future décision, ne font pas apparaître, par leur contenu, qu'elles s'inscriraient dans le processus décisionnel du Gouvernement ou procéderaient d'une initiative politique de sa part.

La commission en conclut que les notes de conseil au Gouvernement rédigées par le CARE ne relèvent pas du secret des délibérations du Gouvernement au sens du a) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration.

Elle émet par suite un avis favorable à leur communication.