Avis 20231329 - Séance du 20/04/2023

Avis 20231329 - Séance du 20/04/2023

Centre hospitalier François Quesnay de Mantes-la-Jolie

Le bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau de Versailles a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 8 mars 2023, à la suite du refus opposé par la directrice générale du centre hospitalier François Quesnay à sa demande de communication des documents suivants :
1) les rapports annuels établis depuis 2017 concernant le recours aux mesures d'isolement et de contention en application de l'article L3222-5-1 du code de la santé publique concernant les personnes faisant l'objet de soins psychiatriques sans consentement ;
2) le registre prévu par le texte susvisé dès lors qu'il comporte un identifiant anonymisé des personnes hospitalisées.

1. Sur la recevabilité de la demande :

En l'absence de réponse de la directrice générale du centre hospitalier François Quesnay à la date de la séance, la commission rappelle qu’aux termes de l’article 1er de la loi n° 2016 1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique : « Sous réserve des articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration (…) les administrations mentionnées au premier alinéa de l'article L300-2 dudit code sont tenues de communiquer, (…) les documents administratifs qu'elles détiennent aux autres administrations mentionnées au même premier alinéa de l'article L300-2 qui en font la demande pour l'accomplissement de leurs missions de service public ».

La commission relève, d’une part, qu’aux termes de l’article 15 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : « Les avocats font partie de barreaux qui sont établis auprès des tribunaux judiciaires (…). Chaque barreau est administré par un conseil de l'ordre (…) présidé par un bâtonnier (…) ».

Elle rappelle, d’autre part, que les instances professionnelles représentant la profession d’avocats, qui sont des auxiliaires de justice, participent au service public de la justice. Aux termes de l’article 17 de la loi précitée, le conseil de l’ordre des avocats, organisme de droit privé, a pour attribution notamment « de traiter toute question intéressant l'exercice de la profession, la défense des droits des avocats et la stricte observation de leurs devoirs ; (…) », aux nombres desquelles figurent les obligations de l’avocat en matière d’aide juridique, qui comprend l'aide juridictionnelle, l'aide à l'accès au droit et l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles. La commission précise aussi que le conseil de l’ordre, dans le cadre de la mission qui est attribuée aux organismes professionnels organisant la profession d’avocat par la loi n° 91 647 du 10 juillet 1991, participe à la mission de service public de l’aide juridictionnelle.

En l’espèce, le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Versailles fait valoir que les documents sollicités entrent dans le périmètre de ses missions de service public au motif que les mesures d’isolement et de contention dépassant un certain délai sont désormais soumises au contrôle systématique du juge des libertés et de la détention, à l’occasion duquel les avocats sont appelés à intervenir.

La commission relève que l’article 17 de la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 a introduit un contrôle obligatoire du juge des libertés et de la détention, condition du renouvellement des mesures d'isolement et de contention au-delà d'une certaine durée, conformément aux exigences du Conseil constitutionnel (décisions QPC n°s 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021). Dans le cadre de cette procédure, le patient concerné peut être assisté ou représenté par un avocat choisi ou désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office.

La commission constate que les documents sollicités, s’ils n’ont pas été élaborés à l’occasion de cette réforme, sont en revanche utiles au conseil de l’ordre des avocats de Versailles afin de lui permettre de prévoir et d’organiser l’intervention des avocats de son ressort dans le cadre de la procédure ci-dessus décrite. Elle relève également que ces documents se rattachent à la mission de service public d'aide juridictionnelle poursuivie par l'ordre, dans la mesure où les avocats sont susceptibles d’être désignés au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle estime, par suite, que la demande de communication des documents sollicités doit être regardée comme présentée pour l’accomplissement de la mission de service public du conseil de l’ordre des avocats.

2. Sur la communicabilité des documents :

La commission rappelle d'abord qu'aux termes de l'article L3222-5-1 du code de la santé publique : « I.-L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d'un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte, somatique et psychiatrique, confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical. (…) III.-Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d'hospitalisation, la date et l'heure de début de la mesure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. L'établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l'article L1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l'article L6143-1. »

La commission estime, comme elle l'a fait dans son avis de partie II n° 20200002, du 4 juin 2020, que le registre des mesures d'isolement et de contention ainsi que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques sont produits et détenus par les établissements de santé dans le cadre de leur mission de service public et constituent donc des documents administratifs, au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, soumis au droit d'accès prévu par le livre III de ce code.

La commission rappelle, à cet égard, qu’aux termes de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration : « Sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6, les administrations mentionnées à l'article L300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». Aux termes de l’article L311-6 du même code : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (...) ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ». Enfin, aux termes de l’article L311-7 de ce code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L311-5 et L311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».

2.1. S’agissant du rapport annuel rendant compte des pratiques d’isolement et de contention :

La commission relève que dans une série de décisions du 16 mars 2023 (n° 460617 et suivants), le Conseil d’État a jugé d’une part, que les données présentes dans le rapport annuel ne font pas apparaître le comportement d’une personne et, d’autre part, que leur communication ne peut être regardée comme portant atteinte à la protection de la vie privée de personnes physiques. Il en a déduit qu’eu égard à son contenu, ce document est communicable dans son intégralité. La commission, revenant sur la solution qu’elle a dégagée dans son avis n° 20200002 précité, estime, dès lors, que ce document est librement communicable à toute personne qui en fait la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration. Elle émet donc un avis favorable sur ce point.

2.2. S’agissant des registres de contention et d’isolement :

La commission estime, comme elle l’a fait dans son avis n° 20200002 précité, que ce document est communicable à toute personne qui en fait la demande, après occultation des mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée de personnes physiques ou qui feraient apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.

Elle précise à cet égard, d’une part, ainsi que l'a jugé le Conseil d’État (CE, 18 novembre 2021, n° 442348), que les informations permettant d’identifier les patients doivent être occultées préalablement à la communication du registre de contention et d’isolement à un tiers pour préserver la vie privée et le secret médical des personnes intéressées, au titre de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Compte tenu de la nature des informations en cause, qui touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l’objet d’une mesure de contention et d’isolement facilitant ainsi leur identification, l’identifiant patient dit « anonymisé » figurant dans ces registres est au nombre des mentions devant être occultées en application de ces dispositions (CE, 8 février 2023, n° 455887). Les dates, les heures et la durée de chaque mesure de contention forcée ou d’isolement sont, en revanche, librement communicables.

Elle relève, d’autre part, qu’il résulte de la décision du Conseil d’État du 18 novembre 2021, n° 442348, que les mentions permettant d’identifier les soignants doivent également, en application des articles L311-6 et L311-7 du code des relations entre le public et l’administration, être occultées préalablement à la communication du registre de contention et d’isolement, afin d’éviter que la divulgation d’informations les concernant puisse leur porter préjudice.

La commission émet donc un avis favorable à la communication des registres de contention et d’isolement prévus par l'article L3222-5-1 précité, sous les réserves qui viennent d'être rappelées.