Avis 20231397 - Séance du 11/05/2023

Avis 20231397 - Séance du 11/05/2023

Ministère de la santé et de la prévention

Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 13 mars 2023, à la suite du refus opposé par le ministre de la santé et de la prévention à sa demande de communication des documents suivants concernant la mise en œuvre de l’obligation vaccinale :
1) sous un standard ouvert tel que CSV, XML ou SQL, l'extraction de la base de données de suivi de l'obligation vaccinale contre la Covid-19 chez les personnels salariés des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux ;
2) ou à défaut, l’ensemble des réponses reçues à la suite de l'enquête adressée par formulaire aux ARS concernant le suivi de l’obligation vaccinale.

A titre liminaire, la commission relève que la demande porte sur des données résultant de l’enquête prévue par l'instruction n° DGOS/RH3/2021/193 du 9 septembre 2021, portant sur les conditions de mise en œuvre de l'obligation vaccinale dans les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux pour les professionnels salariés instaurée par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

Cette enquête vise à faire remonter aux agences régionales de santé ainsi qu'à l'administration centrale des informations chiffrées sur l’estimation de la couverture vaccinale, partielle et complète, des professionnels de santé salariés selon les justificatifs reçus par les directions d’établissement (justificatif attestant d’une vaccination partielle, justificatif attestant d’une vaccination complète, certificat de contre-indication ou certificat de rétablissement), les effectifs salariés des catégories de professionnels retenues, le nombre de professionnels salariés suspendus pour non-respect de l’obligation vaccinale et le nombre de démissions déclarées par les personnels comme liées à l’obligation vaccinale.

S’agissant de l’extraction mentionnée au point 1) de la demande, la commission rappelle tout d’abord que les données statistiques détenues par une autorité administrative dans le cadre de ses missions de service public, comme en l’espèce, constituent des documents administratifs existants au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, si elles existent en l’état ou sont susceptibles d’être obtenues par un traitement automatisé d’usage courant. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 13 novembre 2020, n° 432832, que constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions, les documents qui peuvent être établis par extraction des bases de données dont l’administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable laquelle doit être appréciée de façon objective. Ces données sont en principe librement communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L311-1 du même code, sous réserve toutefois des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 de ce code.

En réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministère de la santé et de la prévention a maintenu son refus de communication de l’extraction sollicitée, en faisant valoir que dès lors que les résultats de l’enquête sont fréquemment inférieurs aux seuils de diffusion recommandés par l’INSEE, notamment dans son guide du secret statistique, leur communication présenterait un risque de réidentification des personnes et par conséquent de révélation d’informations relevant des secrets protégés par l’article L311-6. Le ministre estime que sont seules communicables les données agrégées au niveau régional, après occultation des mentions marginales relevant des secrets précédemment évoqués, et à l’exception des données relatives aux régions d’outre-mer, faute d’effectifs suffisants pour se prémunir de toute identification des personnes physiques et morales concernées.

En premier lieu, comme elle l'a précisé dans un avis de partie II n° 20226631 du 12 janvier 2023, la commission rappelle que si le secret en matière statistique relève des « autres secrets protégés par la loi » visés au h) du 2° de l'article L311-5, ce secret ne concerne, en application des dispositions de l’article 6 de la loi n° 51-711 du 17 juin 1951 que les enquêtes statistiques des services publics ayant obtenu le visa ministériel prévu à l’article 2 de cette loi. Il est en l’espèce constant que tel n’est pas le cas de l’enquête prévue par l’instruction du 9 septembre 2021, de sorte que le secret statistique n'est pas, en lui-même, opposable à la communication des résultats de cette enquête.

En deuxième lieu, l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (…) ; 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ».

Le ministre soutient que la communication des données sollicitées ferait apparaître le comportement des établissements ayant répondu à l'enquête alors que la divulgation de ce comportement pourrait leur porter préjudice, au sens du 3° de l’article L311-6, en ce qu’elle révélerait la méconnaissance par certains employeurs de l’obligation de contrôler le respect de l'obligation vaccinale par leurs personnels.

Toutefois, d’une part, si la protection prévue au 3° de l'article L311-6 s’applique au comportement d’une personne physique comme à celui d’une personne morale (avis n° 20132830 du 24 octobre 2013 et CE, 21 octobre 2016, Union départementale CGT d'Ille-et-Vilaine, n° 392711), la commission considère de manière constante que la communication d'un document administratif ne saurait être refusée au seul motif qu'il ferait apparaître, de la part d'une personne publique ou d'une personne privée chargée d'une mission de service public, dans l'exercice de cette mission, un comportement dont la divulgation pourrait lui porter préjudice.

La commission constate, d’autre part, que les données sollicitées ont été recueillies entre le 10 septembre et le 20 octobre 2021, soit au début de l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire contre la covid-19 instaurée par la loi du 5 août 2021. Elle relève en outre que l’article 14 de cette loi n’imposait pas la suspension immédiate par l’employeur des personnels n’ayant pas justifié du respect de l’obligation vaccinale, permettant en particulier l’utilisation de jours de congés.

Dans ces conditions, elle estime que la communication des données sollicitées n’est pas, par elle-même, de nature à révéler de la part des établissements concernés un comportement dans des conditions susceptibles de leur porter préjudice.

En troisième lieu, la commission admet qu’en dépit du caractère seulement quantitatif de ces données, le degré de précision des catégories de personnels retenues par établissement n’est pas insusceptible de permettre la réidentification de certaines personnes intéressées par ces données et de porter ainsi atteinte aux secrets protégés par l’article L311-6, en particulier le secret de la vie privée et le secret médical. La commission estime toutefois qu’une distinction doit être faite selon la catégorie de données concernées.

Pour ce qui concerne les données relatives à l’estimation de la couverture vaccinale et aux effectifs, la commission considère que leur agrégation au niveau de l’établissement, s’agissant en outre de données déclaratives, recueillies seulement au moment spécifique de l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale et durant une période de temps très brève, est de nature à permettre d’écarter le risque de réidentification, qu’il s’agisse du risque d’individualisation, de corrélation ou encore d’inférence. La commission suggère que soit seulement réservée l’hypothèse où ces données demeureraient à un niveau inférieur au seuil de cinq unités recommandé par l’INSEE, en dépit de ce niveau d’agrégation.

Elle estime en revanche que l’hypothèse où les données représenteraient 95% ou plus d’une catégorie ne justifierait pas un refus de communication. En effet, si le ministre fait état d’un risque d’une réidentification par inférence, c’est-à-dire la possibilité de déduire, de façon quasi certaine, de nouvelles informations sur un individu à partir de données chiffrées, la commission observe que la loi du 5 août 2021 implique par elle-même que les personnels des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux aient satisfait à l’obligation vaccinale pour pouvoir continuer à y exercer, de sorte que la communication de ces données ne fournirait pas d’informations nouvelles sur ces personnels.

La commission émet par suite un avis favorable à la communication des données relatives à l’estimation de la couverture vaccinale et aux effectifs agrégées par établissement, sous la réserve précédemment mentionnée, données qui apparaissent pouvoir être extraites par un traitement automatisé d’usage courant sans faire peser sur le ministre de la santé et de la prévention une charge de travail déraisonnable.

Pour ce qui concerne en revanche les données relatives aux suspensions et aux démissions déclarées, la commission comprend, d’une part, des informations portées à sa connaissance que les données même agrégées par établissement sont généralement inférieures au seuil de cinq unités évoqué précédemment. Elle note, d’autre part que la situation des personnes intéressées est susceptible d’avoir donné lieu à une certaine publicité, rendant plus aisée leur réidentification. Elle estime en conséquence que la communication des données correspondantes porterait atteinte aux secrets protégés par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration et émet dès lors un avis défavorable sur ce point de la demande.

S'agissant enfin des réponses mentionnées au point 2), la commission estime qu'elles sont communicables sous les mêmes réserves. Elle relève toutefois, compte tenu de la formulation de la demande, que la communication de l'extraction de la base de données, sous les réserves formulées plus haut, rendra sans objet la demande sur ce point.