Avis 20231646 - Séance du 20/04/2023

Avis 20231646 - Séance du 20/04/2023

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Monsieur X, pour l’association « Notre Affaire À Tous », Madame X, pour l’association « Oxfam France » et Monsieur X, pour l’association « Greenpeace France », ont saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 17 mars 2023, à la suite du refus opposé par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires à leur demande de communication, quel que soit le support, de l’ensemble des informations relatives aux mesures prises pour assurer l’exécution du jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 14 octobre 2021, et particulièrement :
1) les mesures sectorielles adoptées, postérieurement à cette date, pour assurer la réparation du préjudice écologique lié au surplus d’émissions de gaz à effet de serre (GES) résultant du non-respect du premier budget carbone et prévenir l’aggravation des dommages résultant de la persistance des GES dans l’atmosphère ;
2) l’impact de ces mesures sur la réparation du préjudice écologique et la prévention de l’aggravation des dommages ;
3) les mesures adoptées, postérieurement au 14 octobre 2021, de nature à réduire les émissions de GES produites sur le territoire national ;
4) l’évaluation, en MtCO2eq, de l’impact de ces mesures sur les niveaux d’émissions de GES ;
5) la date à laquelle la réparation du préjudice écologique sera effective, ainsi que la date à laquelle les mesures adoptées ont produit, ou produiront, leurs effets en matière de diminution des émissions de GES ;
6) les mesures adoptées postérieurement au 14 octobre 2021, de nature à augmenter les émissions de GES produites sur le territoire national s’agissant, par exemple :
a) du projet d’installation d’un terminal méthanier flottant dans le port du Havre ;
b) ou de la réouverture des centrales à charbon ;
7) l’évaluation de l’impact de ces mesures en MtCO2eq ;
8) et, le cas échéant, les modalités de compensation de ces émissions supplémentaires ;
9) l’impact des mesures adoptées, postérieurement au 14 octobre 2021, sur le respect des futurs budgets carbone et de l’objectif de réduction des émissions de GES de 40 % d’ici 2030, fixé par l’article L100-4 du code de l’énergie.

Après avoir pris connaissance de la réponse du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la commission observe que la présente demande fait suite à deux jugements du tribunal administratif de Paris, le premier rendu le 9 février 2021, qui a retenu la responsabilité de l’État à raison de sa carence fautive à respecter les engagements pris dans le cadre du premier budget carbone (2015-2018) et le second, rendu le 14 octobre 2021, qui a enjoint au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique né du dépassement du premier budget carbone et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone et ce, à la date du 31 décembre 2022 au plus tard.

La commission rappelle, à titre liminaire, qu’aux termes de l’article L124-2 du code de l’environnement : « Est considérée comme information relative à l'environnement au sens du présent chapitre toute information disponible, quel qu'en soit le support, concernant : (…) 2° Les décisions, les activités et les facteurs, notamment les substances, l'énergie, le bruit, les rayonnements, les déchets, les émissions, les déversements et autres rejets, susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1°, ainsi que les décisions et les activités destinées à protéger ces éléments ; (…) ». Au nombre des informations relatives à l’environnement figurent, conformément à ces dispositions, celles qui se rapportent aux émissions de gaz à effet de serre.

La commission rappelle, ensuite, que, selon les articles L124-1 et L124-3 du code de l’environnement, le droit de toute personne d'accéder à des informations relatives à l’environnement lorsqu'elles sont détenues, reçues ou établies par les autorités publiques ou pour leur compte, s'exerce dans les conditions définies par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des dispositions du chapitre IV du titre II du livre I du code de l'environnement.

Elle précise également qu'en vertu des dispositions du II de l'article L124-5 du code, l'autorité publique ne peut rejeter une demande portant sur une information relative à des « émissions de substances dans l'environnement », comme celles se rapportant aux émissions de gaz à effet de serre, que dans le cas où sa communication porterait atteinte : « 1°A la conduite de la politique extérieure de la France, à la sécurité publique ou à la défense nationale ; 2° Au déroulement des procédures juridictionnelles, à la recherche d'infractions pouvant donner lieu à des sanctions pénales ; 3°A des droits de propriété intellectuelle ».

En premier lieu, la commission relève que le dernier alinéa de l’article L124-3 du code de l’environnement dispose que les organismes ou institutions agissant dans l'exercice de pouvoirs juridictionnels ou législatifs ne sont pas soumis aux dispositions relatives à l’accès à l’information environnementale.

La commission rappelle à cet égard sa doctrine constante selon laquelle revêtent un caractère juridictionnel et non administratif les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale. Il en va ainsi, notamment, des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, de toutes les pièces établies pour les besoins et au cours d'une procédure juridictionnelle, concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements, telles que les dossiers d'instruction, ou les procès-verbaux de constat ou d'audition.

La commission considère ainsi qu’un document comportant des informations environnementales qui aurait été produit, par l’une des autorités publiques mentionnées à l’article L124-3 du code de l’environnement, à la demande d’une juridiction ou spécifiquement pour les besoins d’une procédure juridictionnelle serait inséparable de cette dernière. Un tel document devrait alors être regardé comme ne relevant pas du régime d’accès à l’information environnementale organisé par le chapitre IV du titre II du livre I du code de l’environnement, pas davantage qu’il ne relèverait du droit d’accès aux documents administratifs organisé par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.

En l’espèce, la commission constate toutefois, d’une part, que la demande de communication formée par les trois associations ne porte pas sur le mémoire que le ministre indique avoir produit devant le tribunal administratif de Paris pour présenter les mesures prises pour l’exécution du jugement rendu le 14 octobre 2021.

Elle observe, d’autre part, que ces associations sollicitent la communication non seulement des informations relatives aux mesures prises par le Gouvernement pour assurer la réparation du préjudice écologique défini par les jugements du tribunal administratif de Paris mais également celles sur l’impact de ces mesures sur le respect des futurs budgets carbone et de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030.

La commission relève enfin que l’injonction prononcée le 14 octobre 2021 porte sur toutes mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et à en prévenir l’aggravation, les motifs du jugement énonçant que « les mesures concrètes de nature à permettre la réparation du préjudice peuvent revêtir diverses formes et expriment, par suite, des choix relevant de la libre appréciation du Gouvernement ». La commission souligne que les informations sollicitées portent ainsi sur un ensemble de mesures et de décisions relevant de la politique en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, laquelle ne peut être regardée comme procédant de la demande d’une juridiction ou comme ayant été élaborée spécifiquement pour les besoins d’une procédure juridictionnelle.

Par conséquent, la commission considère que les informations sollicitées ne sont pas inséparables de la procédure menée devant la juridiction administrative et qu’elles sont soumises aux dispositions des articles L124-1 et suivants du code de l’environnement.

En second lieu, la commission rappelle que la seule circonstance qu'un document administratif se rapporte à une procédure en cours devant une juridiction de l'ordre judiciaire ou administratif ne saurait par elle-même faire obstacle à sa communication sur le fondement du droit d'accès aux documents administratifs, et ce même s’il a été transmis à l’autorité judiciaire et coté au dossier d’instruction (CE, 5 mai 2008, n° 309518) et même si la communication du document serait de nature à affecter les intérêts d'une partie à la procédure (CE, 16 avril 2012, n° 320571), qu'il s'agisse d'une personne publique ou de toute autre personne. Ce n’est, en effet, que dans l’hypothèse où cette communication risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives de la juridiction que la communication d'un document administratif peut être refusée en application du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Tel peut être le cas lorsque la communication est de nature à porter atteinte au déroulement de l’instruction, entrave ou complique l'office du juge ou encore retarde le jugement d'une affaire (conseil n° 20092608 du 18 juillet 2009). Lorsqu’un document administratif a été transmis à une juridiction, il appartient à l’autorité saisie d’une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l’être, afin de déterminer, à moins que la juridiction compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d’opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité (CE, 30 décembre 2015, n° 372230 et CE, 21 octobre 2016, n° 380504).

En l’espèce, la commission considère que le fait que tout ou partie des informations environnementales demandées, qui, ainsi qu’il a été dit, se rapportent à la mise en œuvre de la politique publique de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, soient susceptibles d’être fournies à la juridiction administrative pour justifier de l’exécution du jugement du 14 octobre 2021 ne caractérise pas par lui-même un empiètement sur les prérogatives du juge administratif. Il n’apparaît pas davantage que la communication sollicitée serait de nature à entraver l’office du juge ou retarder le jugement d’une affaire, la commission relevant au surplus qu’il n’a pas été fait état devant elle de l’ouverture d’une procédure juridictionnelle d’exécution de ce jugement.

Elle estime par suite que la communication des informations demandées n’est pas de nature à porter atteinte au déroulement d’une procédure juridictionnelle, au sens du 2° du II de l’article L124-5 du code de l’environnement.

Dès lors, la commission considère que les documents sollicités sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application des articles L124-1 et suivants du code de l’environnement, dans les conditions qui ont été rappelées selon la catégorie à laquelle l'information environnementale se rattache.

La commission émet donc un avis favorable à la demande.