Avis 20231706 - Séance du 06/07/2023

Avis 20231706 - Séance du 06/07/2023

Ministère de la Justice

Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 28 mars 2023, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice à sa demande de communication sous forme électronique par communication ou lien de téléchargement envoyé à son adresse électronique des documents suivants :
1) les rapports annuels sur l'état et les délais de l'exécution des peines au titre de l'article 709‐2 du code de procédure pénale établis par les procureurs de la République auprès des tribunaux judiciaires d'Avignon et Carpentras en 2020, 2021 et 2022, y compris l'ensemble de leurs annexes éventuelles ;
2) les rapports, y compris l'ensemble de leurs annexes, prévus par le deuxième alinéa de l'article 39‐1 du code de procédure pénale établis par les procureurs de la République d'Avignon et de Carpentras et transmis au procureur général près la Cour d'appel de Nîmes en 2020, 2021 et 2022 :
a) les rapports annuels de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales ;
b) les rapports annuels sur l'activité et la gestion de leurs parquets ;
3) les rapports, y compris l'ensemble de leurs annexes, prévus par le troisième alinéa de l'article 35 du code de procédure pénale établis par le procureur général près la Cour d'appel de Nîmes et transmis au garde des sceaux en 2020, 2021 et 2022 :
a) les rapports annuels de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales,
b) le rapport annuel sur l'activité et la gestion des parquets de son ressort.

1. Sur la compétence de la CADA :

Après avoir pris connaissance des observations du ministre de la justice, la commission rappelle, à titre liminaire, que les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale, ne présentent pas un caractère administratif et n'entrent donc pas dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en va ainsi, notamment, des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, des décisions du parquet, des dossiers d'instruction, des procès-verbaux d'audition, des rapports d'expertise ou des mémoires et observations des parties – c'est-à-dire de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites – mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 28 avril 1993, n° 117480). Ainsi, les documents, quelle que soit leur nature, qui sont détenus par les juridictions et qui se rattachent à la fonction de juger dont elles sont investies tels par exemple des tableaux de roulement déterminant la composition d’une formation de jugement, n’ont, par suite, pas le caractère de document administratif au sens du livre III du code des relations entre le public et l'administration (CE, 7 mai 2010, n° 303168).

Pour ce qui concerne, en premier lieu, les rapports mentionnés au point 1) de la demande, la commission relève qu’aux termes de l'article 709-2 du code de procédure pénale : « Le procureur de la République établit un rapport annuel sur l'état et les délais de l'exécution des peines qui comprend, notamment, un rapport établi par le directeur départemental des finances publiques relatif au recouvrement des amendes dans le ressort du tribunal. Le directeur départemental des finances publiques communique son rapport au procureur de la République au plus tard le premier jour ouvrable du mois de mars. Le rapport du procureur de la République est rendu public avant le dernier jour ouvrable du mois de juin selon des modalités fixées par un arrêté du ministre de la justice ». Ce rapport peut, en application de l'article A 38-2 de ce même code, « être librement consulté par toute personne qui en fait la demande. Avant le dernier jour ouvrable du mois de juin, une affiche est apposée dans une salle ouverte au public du tribunal de grande instance afin d'indiquer les modalités pratiques de cette consultation ».

La commission considère que ce rapport, qui est détachable des fonctions juridictionnelles du procureur de la République, constitue un document administratif au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle estime par ailleurs que les dispositions de l’article A 38-2 du code de procédure pénale ne font pas obstacle à l’application du droit d’accès aux documents administratifs organisé par le livre III de ce code.

Pour ce qui concerne, en second lieu, les rapports mentionnés aux points 2) et 3) de la demande, la commission relève que l’article 35 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n°2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, prévoit que le procureur de la République adresse au procureur général « un rapport annuel de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales ainsi qu'un rapport annuel sur l'activité et la gestion de son parquet ». L’article D15-2-1 du même code précise que ces deux rapports, qui peuvent être regroupés dans un document unique, comportent en annexe ou intègrent le rapport prévu par le troisième alinéa de l'article 41 concernant les mesures de garde à vue et les locaux de garde à vue, qui est élaboré par le procureur de la République au vu, notamment, des informations et des statistiques qui lui sont adressées à cette fin par les services et unités de police judiciaire de son ressort, ainsi que le rapport sur l'état et les délais de l'exécution des peines prévu par l'article 709-2.

L’article 35 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 25 juillet 2013, dispose également que le procureur général adresse au ministre de la justice « un rapport annuel de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales ainsi qu'un rapport annuel sur l'activité et la gestion des parquets de son ressort ». L’article D15-2 du même code précise que les informations figurant dans ces deux rapports peuvent être regroupées dans un rapport unique et comportent une synthèse des rapports qui ont été transmis par les procureurs de la République du ressort en application de l’article 39-1.

La commission note enfin que la circulaire du 31 janvier 2014 de présentation et d’application de la loi du 25 juillet 2013 déjà citée énonce que « la responsabilité du ministre de la justice dans l’élaboration de la loi pénale, la détermination et l’évaluation de la politique pénale, et son obligation d’en rendre compte devant la représentation nationale impliquent une obligation d’information par les magistrats du parquet qui est clairement affirmée par les nouvelles dispositions ». Cette circulaire indique également que les procureurs généraux doivent être en mesure de rendre compte auprès du garde des sceaux des priorités de politique pénale définies localement, des moyens mis en œuvre ainsi que des résultats obtenus, qu’ils doivent s’attacher à un travail d’évaluation tant sur la structure des réponses pénales que sur des thématiques sectorielles pertinentes au regard des particularités locales et qu’ils doivent veiller à utiliser les outils de pilotage et de mesure nécessaires à la mise en œuvre des objectifs définis, en vue notamment de permettre que soient fixés des objets quantitatifs et qualitatifs partagés avec les parquets de première instance. La circulaire précise que le rapport de politique pénale demeure à cet égard le premier vecteur d’information.

La commission déduit de ces dispositions du code de procédure pénale et des termes de cette circulaire que les rapports annuels que doivent établir respectivement les procureurs généraux et les procureurs de la République ont pour objet de rendre compte de la politique pénale et de l’activité générale du ministère public. Elle considère par suite que ces rapports sont détachables des fonctions juridictionnelles assurées par les magistrats du parquet et qu’ils constituent, dès lors, des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.

La commission se déclare, dans ces conditions, compétente pour se prononcer sur l’ensemble de la demande.

2. Sur les principes de communicabilité :

La commission rappelle qu’en application des dispositions de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, les documents administratifs sont en principe librement communicables, sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6 du même code.

L’article L311-5 prévoit, notamment, que ne sont pas communicables les documents dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente, ou à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d'infractions de toute nature.

L’article L311-6 s’oppose, notamment, à la communication à des tiers des documents dont la communication porterait atteinte au secret de la vie privée, des documents portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou des documents faisant apparaître le comportement d'une personne, physique ou morale, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.

La commission précise, enfin, qu’aux termes de l'article L311-7 de ce code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L311-5 et L311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ». L’administration est en revanche fondée à refuser la communication du document dans son entier lorsque l’occultation partielle priverait ce document de son intelligibilité (CE, 25 mai 1990, n°86546) ou de son sens (CE, 4 janvier 1995, n° 117750), ou la communication de tout intérêt (CE, 26 mai 2014, n° 342339).

En l’espèce, la commission, qui n’a pas pu prendre connaissance des rapports sollicités, considère qu’ils sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sous réserve de l’occultation préalable, le cas échéant, des éventuelles mentions qui relèveraient d’un des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

Elle émet dès lors un avis favorable, sous cette réserve.