Avis 20231796 - Séance du 01/06/2023

Avis 20231796 - Séance du 01/06/2023

Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA)

Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 28 mars 2023, à la suite du refus opposé par le président-directeur général de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique à sa demande de communication, à la suite de sa candidature pour la prime individuelle au titre de 2022, des rapports d'évaluation, volant C3 du RIPEC, établis par la commission d'évaluation de l'établissement.

1. Présentation du cadre juridique :

La commission relève qu’aux termes de l’article 2 du décret n° 2021-1895 du 29 décembre 2021 portant création du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (RIPEC), le régime indemnitaire prévu par ce décret comprend trois composantes : deux indemnités et une prime individuelle, dite prime C3. L’attribution de cette prime n’est pas automatique et dépend de la qualité des activités et de l'engagement professionnel de ces personnels au titre de l’ensemble de leurs missions statutaires.
Cette prime leur est versée sur leur demande selon des modalités précisées à l'article 4 dudit décret. La procédure débute par le dépôt d’un dossier de candidature, accompagné d’un rapport d’activité portant sur les quatre années précédentes. La phase d’examen comporte la désignation, pour chaque candidat, à deux reprises, de deux rapporteurs, chargés de produire un rapport remis à deux instances collégiales : d’une part, le conseil académique siégeant en formation restreinte ou l'organe compétent pour examiner les questions individuelles relatives au recrutement, à l’affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs, d’autre part, la section compétente du Conseil national des universités. Ces instances délibèrent et émettent chacune un avis, qui est ensuite adressé au président ou au directeur de l'établissement d’affectation de l’agent, compétent pour prendre les décisions d’attribution individuelle de la prime dans la limite d’une dotation attribuée à cet effet par le ministre chargé de l’enseignement supérieur.

2. Principe de communication des documents administratifs afférents à la rémunération des agents publics :

La commission rappelle qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. (...) ». Aux termes de l’article L311-6 de ce code : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (…) ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) ».

La commission rappelle, ensuite, que la vie privée des fonctionnaires et agents publics doit bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens. Elle admet toutefois que les fonctions et le statut de ces personnels justifient que certaines informations les concernant puissent être communiquées sur le fondement du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en est ainsi, notamment, de la qualité d'agent public, de l'adresse administrative, des arrêtés de nomination et, s'agissant de la rémunération, des composantes fixes de celle-ci : grade et échelon, indice de traitement, nouvelle bonification indiciaire (NBI), indemnités de sujétion.

Elle estime cependant que si les administrés doivent pouvoir accéder à certains renseignements concernant la qualité de leur interlocuteur, la protection, par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, impose que ces aménagements soient limités à ce qui est strictement nécessaire à leur information légitime. Ainsi, les mentions intéressant la vie privée des agents (date de naissance, adresse personnelle, adresse électronique professionnelle, situation familiale, numéro de sécurité sociale, dates de congés, etc.) ou révélant une appréciation portée sur eux (éléments de rémunération qui sont fonction de la situation personnelle ou familiale ou de l'appréciation portée sur la façon de servir) ne sont pas communicables à des tiers en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

En application de ces principes, sont communicables à toute personne qui en fait la demande les éléments de rémunération qui résultent de l'application des règles régissant l'emploi concerné. En revanche, la commission émet des avis défavorables à la communication des éléments qui sont arrêtés d’un commun accord entre les parties sans référence à des règles la déterminant, ainsi que des informations liées soit à la situation familiale et personnelle de l’agent en cause (supplément familial) soit à sa manière de servir (primes de rendement), qui révèlent nécessairement une appréciation et un jugement de valeur portés sur cette personne.

3. Application au cas d’espèce :

La commission relève que le président-directeur général de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique a transmis au demandeur les documents suivants : l’avis du délégué scientifique du centre Inria Nancy – Grand Est sur les candidatures à la prime C3, groupe senior, l’avis de la commission d’évaluation sur l’attribution de la prime C3 « seniors CR » au titre de l’année 2022 après occultation de l’identité des autres candidats à l’attribution de la prime individuelle et des appréciations portées sur eux. Ont également été transmis les deux rapports des rapporteurs présentés devant la commission d’évaluation sur la candidature de Monsieur X, dans une version occultée de l’identité des rapporteurs. Elle relève que ce dernier conteste les occultations ainsi opérées pour ce qui concerne l’identité des autres candidats et des rapporteurs.

3.1. S’agissant de l’identité des autres candidats :

La commission précise, à titre liminaire, que le Conseil d’État dans sa décision du 8 juin 2016, n°389756, a jugé que la liste des bénéficiaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche prévue par le décret n°2009-851 du 8 juillet 2009, lorsqu’elle est attribuée aux personnels dont l'activité scientifique est jugée d'un niveau élevé au regard, notamment, de la production scientifique, de l'encadrement doctoral et scientifique, de la diffusion de leurs travaux et des responsabilités scientifiques exercées, n'est pas communicable aux tiers au motif que l'attribution de cette prime révèle nécessairement une appréciation ou un jugement de valeur sur ces personnels, au sens des dispositions de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

La commission relève que l’attribution de la prime exceptionnelle dite C3, en application des dispositions du décret précité du 29 décembre 2021, n’est pas automatique mais est liée à la qualité des activités et à l’engagement professionnel des personnels intéressés au titre de l’ensemble de leurs activités, et repose sur des critères tenant à leur investissement pédagogique, à la qualité de leur activité scientifique et à leur investissement dans des tâches d'intérêt général. La commission déduit de l’économie de ce dispositif que l’attribution de cette prime traduit nécessairement une appréciation ou un jugement de valeur sur ces personnels, au sens du 2° de l’article L311-6. Elle estime, dès lors, que la liste nominative des bénéficiaires de la prime individuelle n’est communicable qu’aux seuls intéressés, chacun pour ce qui les concerne, en application de ces dispositions.

De la même manière, les pièces du dossier de candidature produites par les candidats à l’attribution de cette prime ne sont communicables qu’à chaque personne intéressée, pour ce qui la concerne, en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. La communication des documents produits par l’administration lors de la phase d’examen des candidatures est pareillement restreinte aux seules mentions ou documents concernant leur propre candidature.

Les appréciations portées sur la manière de servir des autres candidats, de même que leur identité, doivent en conséquence être préalablement occultées de l’ensemble de ces documents.

La commission relève en l’espèce que les documents adressés à Monsieur X ont été occultés conformément aux principes ci-dessus rappelés. Elle émet, dès lors, un avis défavorable sur ce premier point.

3.2. S’agissant de l’identité des rapporteurs :

La commission considère, selon une position constante, que les rapports destinés à éclairer une instance collégiale chargée de formuler des proposition d’attribution de prime, constituent des documents administratifs communicables à chaque personne intéressée sous réserve de l’occultation préalable d'éventuelles mentions portant une appréciation ou un jugement de valeur sur des personnes autres que le demandeur (s’agissant des rapports d’experts concernant la prime d’excellence scientifique, voir par exemple, avis n°20101430 du 8 avril 2010 ou avis n°20131380, du 11 avril 2013 ; s’agissant de la prime d’encadrement doctoral et de recherche, voir avis n°20080716, du 7 février 2008).

En l’espèce, le président-directeur général de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique a indiqué que l’identité des rapporteurs sur le dossier de candidature de Monsieur X a été occultée au motif que la divulgation de cette information pourrait leur porter préjudice et afin de garantir l’indépendance du jury.

La commission relève, à titre liminaire, que cette information ne relève pas, par elle-même, de la vie privée des agents intéressés.

La commission précise ensuite, s’agissant du premier motif de refus, qu’elle considère de manière constante que les documents émanant d’agents publics établis dans le cadre de leurs fonctions ne sont pas couverts par la réserve prévue au 3° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. La commission estime, en outre, que la transparence sur l’identité des rapporteurs participe de la confiance dans leur indépendance et leur impartialité. Elle constate enfin que les rapports sollicités ne deviennent en tout état de cause communicables que lorsqu’ils ont perdu leur caractère préparatoire, c’est-à-dire une fois les décisions d’attribution individuelle de la prime adoptées.

La commission relève au demeurant que le risque évoqué de pression auquel seraient exposés les rapporteurs n’est nullement établi dès lors que les rapports sollicités ne deviennent communicables que lorsqu'ils perdent leur caractère préparatoire, c'est-à-dire une fois les décisions d’attribution individuelle de la prime adoptées.

La commission indique enfin, s’agissant du second motif de refus, que, par une décision n° 371453 du 17 février 2016 « Centre national de la fonction publique territoriale », le Conseil d'État a jugé qu'en prévoyant la communication des documents administratifs dans les conditions prévues par les articles 1 et 2 de la loi du 17 janvier 1978, désormais reprise dans le code des relations entre le public et l'administration, le législateur n’a pas entendu porter atteinte au principe d’indépendance des jurys d’où découle le secret de leurs délibérations et, par suite, permettre la communication tant des documents de leurs délibérations que de ceux élaborés préalablement par les jurys en vue de leurs délibérés.

La commission rappelle, toutefois, que la notion de jury, au sens de cette jurisprudence, doit être entendue comme visant les organismes collégiaux disposant d’un pouvoir décisionnel et non ceux émettant, comme en l’espèce, des avis consultatifs que ne lient pas l’autorité investie du pouvoir décisionnel. Elle précise au surplus qu’elle interprète cette jurisprudence comme faisant obstacle à la communication des critères de l'appréciation par le jury de la performance individuelle des candidats et de l'établissement de la note qui leur est souverainement attribuée (avis n° 20160735, du 31 mars 2016) mais nullement de l’identité des membres du jury.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission estime que les rapports destinés à éclairer les instances collégiales chargées de formuler des propositions d’attribution de prime individuelle C3 sont intégralement communicables à chaque candidat intéressé, chacun pour ce qui le concerne, sans occultation du nom des rapporteurs.

En l’espèce, la commission émet donc un avis favorable à la communication des rapports, dans une version non occultée.