Avis 20232210 - Séance du 01/06/2023

Avis 20232210 - Séance du 01/06/2023

Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Monsieur X a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs, par un courrier enregistré à son secrétariat le 6 février 2023, à la suite du refus opposé par le président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à sa demande de communication des documents suivants afférents à la valorisation du brevet FR1051190 « procédé cryptographique de communication d’une information confidentielle » et à ses dérivés internationaux EP2537284, US9094189 et WO2011101598 :
1) le ou les accord(s) conclu(s) avec le NIST (National Institute for Standards and Technology) et le Department of Commerce des États-Unis, dans le cadre du processus de standardisation de la cryptographie post-quantique mené par le NIST (National Institute for Standards and Technology) depuis 2016 ;
2) les comptes rendus des réunions (conseils d’administration, conseil de direction, réunions du service valorisation, réunions du service juridique, etc) qui ont eu pour objet la valorisation dudit brevet, dans le contexte exposé ci-dessus ;
3) les expertises techniques, scientifiques et juridiques portant sur la légitimité de valoriser ledit brevet ;
4) le ou les accord(s) conclus entre le CNRS et l’université de Limoges et d’autres parties éventuelles pour la valorisation (montants, opportunités, cadre juridique) dudit brevet dans le contexte exposé ci-dessus.

La commission précise, à titre liminaire, que la présente demande est liée à cinq autres saisines adressées à la présidente de l’université de Limoges, au directeur général de CNRS Innovation, au directeur général de France Brevets, à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et à la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, examinées à la même séance. Ayant pris connaissance des réponses apportées par ces autorités, à l’exception du directeur général de France Brevets qui n’a pas présenté d’observations, la commission relève que ces demandes portent sur des documents relatifs à une invention brevetée qui est issue des travaux du laboratoire XLIM, unité mixte de recherche relevant de l’université de Limoges et du CNRS, et qui a été en cause dans un appel à projet international lancé par le gouvernement des États-Unis relatif à la standardisation de procédés de cryptographie post-quantique, destinés à sécuriser les échanges électroniques à l’égard d’attaques qui émaneraient d’ordinateurs quantiques.

La commission considère que les documents produits ou reçus par le CNRS et l’université de Limoges dans ce cadre se rattachent à la mise en œuvre de l’objectif de valorisation des résultats de la recherche, défini à l’article L112-1 du code de la recherche. Ils revêtent, à ce titre, le caractère de documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.

En l’espèce, les établissements concernés ont toutefois maintenu leur refus de communication en faisant valoir que les documents sollicités étaient couverts par le secret des affaires.

1. Présentation de la doctrine de la CADA s’agissant de la portée du secret des affaires :

La commission rappelle qu’il résulte des dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration que le secret des affaires comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles. Il s’apprécie en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public est soumise à la concurrence, et eu égard à la définition donnée à l’article L151-1 du code de commerce. Aux termes de cet article est protégée par le secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : « (…) 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».

Dans son avis de partie II n° 20224385 du 13 octobre 2022, la commission a estimé que les articles L311-6 du code des relations entre le public et l’administration et L151-1 du code du commerce ne sauraient faire l’objet d’une lecture « combinée » mais cumulative. Ainsi, une information ne relève du secret des affaires qu’à la condition de répondre à la définition prévue à l’article L311-6 et de satisfaire les conditions posées à l’article L151-1.

La commission réaffirme, en premier lieu, sa doctrine traditionnelle selon laquelle si le secret des affaires bénéficie, en principe, à toute personne dès lors que celle-ci déploie son activité, en tout ou partie, en milieu concurrentiel, celui-ci est nécessairement interprété de manière plus large s'agissant des organismes qui exercent exclusivement une activité concurrentielle. Elle estime ainsi de manière constante que les documents relatifs aux conditions d’exercice des missions de service public des personnes publiques sont intégralement communicables, sans que puisse être opposé ce secret et nonobstant le fait que leur activité s’inscrive dans un environnement concurrentiel.

Ainsi, les documents administratifs comportant des données économiques ou financières en lien avec l’activité d’une personne chargée d’une mission de service public dont l’objet principal n’est ni industriel ni commercial, ont pour vocation première de retracer les conditions dans lesquelles cette personne exerce sa mission de service public. Quand bien même ces documents refléteraient des orientations stratégiques d’une activité exercée dans un contexte concurrentiel, ils sont dès lors regardés comme étant intégralement communicables à toute personne qui en fait la demande, sans que puisse être opposé le secret des affaires.

La commission estime, en second lieu, que le caractère communicable de l’offre présentée par une personne publique à un contrat de la commande publique doit toutefois donner lieu à une analyse particulière.

Il résulte en effet de la jurisprudence administrative qu’aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce qu’une personne publique se porte candidate à l’attribution d’un contrat de la commande publique (CE, 16 octobre 2000, Compagnie méditerranéenne d'exploitation des services d'eau, n° 212054 ; CE, avis, 8 novembre 2000, Société X, n° 222208 ; CE, Assemblée, 30 décembre 2014, Société Armor SNC, n° 355563 ; CE, 14 juin 2019, Société Vinci construction maritime et fluvial, n° 411444).

La commission en a déduit que, dans une telle hypothèse, les principes de communication posés en matière de commande publique s’appliquent indépendamment de la nature - privée ou publique - de la personne candidate ou attributaire (conseil n° 20065044 du 21 décembre 2006). Le régime juridique, administratif ou à l'inverse industriel et commercial, selon lequel s'accomplit la mission de service public dont est chargée la personne publique en cause est également indifférent (avis n° 20141005 du 13 mai 2014). Les documents relatifs à une offre présentée par une personne publique sont ainsi communicables aux tiers sous réserve du secret des affaires, qui doit entraîner l’occultation ou la disjonction de mentions relatives à la décomposition des prix détaillés (conseil n° 20130485 du 4 juillet 2013) ou de mentions dévoilant des procédés, des savoir-faire, des techniques de fabrication ou des travaux de recherche (avis n° 20141005 du 13 mai 2014).

2. Application au cas d’espèce :

2.1. En ce qui concerne les points 1) et 4) :

Dans le cas d’espèce, la commission constate que le CNRS et l’université de Limoges, au travers du laboratoire XLIM, ont répondu à l’appel à projet international lancé par le gouvernement des États-Unis, en proposant un procédé de cryptographie de nature à répondre aux besoins définis par le « National Institute for Standards and Technology » (NIST), reposant notamment sur l’invention brevetée de ce laboratoire. Conformément aux règles de cet appel à projet, le CNRS et l’université de Limoges ont ainsi présenté à l’appui de leur offre un engagement de principe de mise à disposition d’une licence, dans l’hypothèse où le procédé proposé serait retenu.

La commission, qui a pu prendre connaissance des contrats sollicités, observe, d’une part, que c’est à l’occasion et dans la perspective de la présentation de cette offre que le CNRS et l'université de Limoges ont conclu un règlement de copropriété sur le brevet, qui fait en outre état des droits détenus par une entreprise dans le cadre de la préparation de cette offre. De même, le contrat conclu avec France Brevets a pour objet d’accorder à cet organisme une licence exclusive en vue de l’exploitation du brevet ainsi que de l’autoriser à mener les discussions avec le NIST à cette fin.

D’autre part, ce dernier contrat a été ensuite résilié afin de permettre au CNRS et à l’université de Limoges de conclure un accord avec le NIST, qui a pour objet d’accorder à cet organisme une licence avec droit de sous-licenciement, en vue du déploiement des solutions de cryptographie post-quantique, dépendant du brevet, qui seraient retenues à l’issue de l’appel à projet.

La commission constate enfin que ces documents contractuels constituent un ensemble juridique et financier conçu pour l’exploitation et la valorisation du brevet. De par leur objet, ils contiennent des clauses décrivant avec précision les modalités retenues tant pour l’utilisation et l’exploitation de l’invention, pour les redevances et rétributions financières dues aux cocontractants, que pour la défense des droits attachés au brevet. Elle estime enfin que leur communication serait susceptible de faire peser sur le CNRS et l’université de Limoges un désavantage significatif dans le cadre de la mission de valorisation de la recherche poursuivie, en l’espèce, dans un environnement hautement concurrentiel.

Dans ces conditions, compte tenu du contexte dans lequel ces contrats ont été conclus et de leur teneur, la commission considère, au cas particulier, que les contrats sollicités par Monsieur X sont entièrement couverts par le secret des affaires.

La commission relève que le demandeur n’est ni inventeur, ni titulaire d’aucun droit sur la famille de brevets objet de ces contrats, auxquels il n'est pas non plus partie à un autre titre, de sorte qu’il n’a pas à leur égard la qualité de personne intéressée, au sens de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

Elle émet par suite un avis défavorable à la communication des contrats et accords mentionnés aux points 1) et 4) de la demande.

2.2. En ce qui concerne les points 2) et 3) :

La commission souligne que les documents rendant compte des conditions d’exercice de la mission de service public que constitue la valorisation des résultats de la recherche sont intégralement communicables à toute personne qui en fait la demande, sans que puisse être opposé le secret des affaires.

Elle précise qu’en l’espèce, les comptes rendus et expertises sollicités ne seraient couverts par le secret des affaires que dans la seule mesure où ils comporteraient des mentions révélant la stratégie commerciale et industrielle du CNRS et de l’université de Limoges dans la présentation de leur offre auprès du NIST, dans leurs discussions avec leurs cocontractants, ou des mentions révélant des éléments relatifs au secret des procédés dans ce contexte. Le secret des affaires ne serait en revanche pas opposable au seul motif de mentions relatives à l’existence de cette offre et de ces accords.

La commission, qui n’a pas pu en prendre connaissance, émet par suite un avis favorable, sous cette réserve, à la communication des documents mentionnés aux points 2) et 3) de la demande.