Avis 20232789 - Séance du 22/06/2023

Avis 20232789 - Séance du 22/06/2023

Conseil départemental de l'Orne

Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 9 mai 2023, à la suite du refus opposé par le président du conseil départemental de l'Orne à sa demande de communication des documents suivants concernant son refus administratif de prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) en tant que mineur isolé :
1) son entier dossier détenu par l'ASE ;
2) son rapport d'évaluation établi par Monsieur X, responsable de la protection de l'enfance.

1. Sur la recevabilité de la demande :

La commission constate que Monsieur X est mineur et que le différend qui l’oppose au président du conseil départemental de l’Orne est relatif à sa prise en charge par ce département, au titre de l’aide sociale à l’enfance en tant que mineur étranger isolé.

La commission rappelle qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne confère à un mineur la capacité à agir devant la juridiction administrative sans représentant légal ou mandataire spécialement habilité. Il en résulte qu'un mineur non émancipé ne dispose pas, en principe, de la capacité pour agir en justice et qu’une demande qui n’est pas introduite par une personne habilitée à le représenter est, par suite, irrecevable. Dans son avis de partie II, n° 20200613 du 16 juillet 2020, la commission a estimé que ce principe est applicable au contentieux de l'accès aux documents administratifs et, par suite, à la saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs qui constitue un recours administratif préalable obligatoire.

S’inspirant de la solution dégagée par le juge des référés du Conseil d’Etat dans son ordonnance n° 375956, du 12 mars 2014, la commission estime toutefois que les circonstances particulières de l’espèce justifient qu’il soit dérogé à ce principe.

Elle relève en effet que le demandeur a fait l’objet d’un arrêté de refus administratif de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, le 13 décembre 2022, au motif qu’il est connu et a déjà été évalué par un autre département, dont dépend de ce fait sa prise en charge. Monsieur X conteste toutefois la matérialité de ces faits, raison pour laquelle il souhaite accéder aux pièces de son dossier. Il est par ailleurs constant que l’intéressé ne dispose pas d’un représentant légal en France et qu’aucune mesure n’a été prise pour désigner un tuteur, un administrateur ou un délégataire de l’autorité parentale.

La commission estime que la demande d’avis qui lui a été adressée par Monsieur X doit être regardée comme étant recevable en l’espèce, s’agissant d’un mineur ne disposant pas de représentant légal en France, ayant fait l’objet d’un refus administratif de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance et souhaitant accéder à son dossier afin de faire valoir ses droits.

2. Sur les principes de communication des documents sollicités :

2.1. En ce qui concerne les dispositions applicables en matière de prise en charge des mineurs isolés :

La commission rappelle qu’aux termes de l’article L222-5 du code l’action sociale et des familles (CASF) : « sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (…) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil, des articles 375-5, 377, 377-1, 380, 411 du même code ou de l'article L323-1 du code de la justice pénale des mineurs ; / (…) ». Aux termes de l’article R221-11 du même code : « I.-Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L223-2. / II.-Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (…) Le président du conseil départemental peut demander au préfet de département et, à Paris, au préfet de police de l'assister dans les investigations mentionnées au premier alinéa du présent II, pour contribuer à l'évaluation de la situation de la personne au regard de son isolement et de sa minorité.. (…) / IV.-Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L222-5 et R223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin. »

La commission souligne également qu’en vertu du deuxième alinéa de l’article 375-5 du code civil, en cas d’urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé peut soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4, à charge de saisir dans les huit jours le juge des enfants, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. Elle précise, enfin, que le placement judiciaire d’un mineur relève en principe du juge des enfants, qui prend les mesures nécessaires à leur protection (art. 375-3 du code civil).

La commission relève qu’il résulte de ces dispositions que le président du conseil départemental, chargé du service de l’aide sociale à l’enfance, procède, au cours de la période d’accueil provisoire d’urgence, aux investigations nécessaires en vue d’évaluer la situation d’une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. Au terme de cette évaluation, il saisit le procureur de la République en vue de l’orientation du mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, en application du quatrième alinéa de l’article L223-2 du code de l’action sociale et des familles et de l’article 375-5 du code civil, auquel il renvoie. Si au terme de l’évaluation, le président du conseil départemental estime que la situation de la personne en cause ne justifie pas la saisine de l’autorité judiciaire, il lui notifie une décision de refus de prise en charge.

2.2. En ce qui concerne les principes de communication des documents produits ou reçus par les services d’aide sociale à l’enfance, se rapportant à une personne se déclarant mineure isolée en France :

La commission rappelle en premier lieu que le caractère communicable des pièces qui composent le dossier d’aide sociale à l’enfance dépend de l’état de la procédure et de l’objet en vue duquel elles ont été élaborées.

En deuxième lieu, elle considère que l’ensemble des pièces qui composent le dossier d’aide sociale à l’enfance avant que le juge des enfants soit saisi ou que le procureur de la République soit avisé, revêtent un caractère administratif. Il en va ainsi, en particulier, des documents relatifs au placement administratif du mineur.

En troisième lieu, elle souligne que lorsque le juge des enfants a été saisi ou que le procureur de la République a été avisé en application des articles L226-4 du code de l’action sociale et des familles, relatif au mineur en danger au sens de l’article 375 du code civil, et de l’article 375-5 de ce code, les documents élaborés dans le cadre de la procédure ainsi ouverte, y compris le courrier de saisine ou d’information et la décision du juge des enfants ou du procureur de la République, constituent des documents judiciaires exclus du champ d’application du livre III du code des relations entre le public et l’administration, à l’égard desquels elle n’est pas compétente pour se prononcer.

La commission en a déduit que les documents élaborés par les services de l'aide sociale à l'enfance avant l'ouverture éventuelle d'une procédure judiciaire ou juridictionnelle, et sans être établis en vue de celle-ci, qu'ils aient ou non été ensuite transmis à l'autorité judiciaire, constituent des documents administratifs, communicables dans les conditions et sous les réserves prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en va ainsi des correspondances entre les services intéressés, des rapports et notes établis pour les besoins de l’administration, des pièces retraçant les échanges entre le président du conseil général et les parents du mineur ou les accueillants familiaux (avis n° 20152463 du 10 septembre 2015).

Elle a estimé, dans son avis de partie II n° 20201272 du 14 mai 2020 que revêtent également un caractère administratif, les rapports d'évaluation sociale établis par les services de l'aide sociale à l'enfance en dehors de toute sollicitation de l'autorité judiciaire, y compris lorsque les services préconisent, en application des dispositions de l'article L226-4 du CASF, la transmission du dossier au procureur de la République en vue de la saisine du juge des enfants. La commission estime, en effet, que ces rapports ont été élaborés par l'administration dans le cadre de ses missions de service public définies par le code de l'action sociale et des familles et qu'ils n'ont pas été élaborés, à la différence du courrier de transmission lui-même, en vue de la saisine de l'autorité judiciaire, cette transmission résultant d'une obligation légale prévue par l'article L226-4 du CASF lorsque certaines circonstances sont réunies, lesquelles sont révélées par la mission administrative d'évaluation confiée au service de l'aide sociale à l'enfance.

La commission estime qu'il en est de même du rapport d’évaluation réalisé en application de l’article R221-11 du code de l’action sociale et des familles qui a pour objet d’évaluer la minorité de la personne concernée, en vue d’une éventuelle prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance au titre des articles L223-2 de ce code et 375-5 du code civil.
La commission en déduit que lorsque ces documents administratifs ont été transmis au procureur de la République, il appartient à l'autorité administrative saisie d'une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l'être, afin de déterminer, à moins que l'autorité judiciaire compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d'opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité (CE, 21 octobre 2016, CHSCT de l'établissement d'Amiens Nord de la société Goodyear Dunlop Tyres France, n° 380504, mentionné aux tables du Recueil ; 30 décembre 2015, Société Les Laboratoires Servier, n° 372230, Rec. p. 493).

Revêtent, en revanche, un caractère judiciaire, les documents élaborés par les services de l'aide sociale à l'enfance à la demande de l'autorité judiciaire, procureur de la République ou juge des enfants, qu'une procédure judiciaire ait ou non été ouverte, par exemple dans le cadre d'un soit-transmis ou du suivi d'une mesure de protection judiciaire. La commission demeure donc incompétente pour en connaître et il appartient au demandeur de s'adresser directement à l'autorité judiciaire.

La commission précise, enfin, qu’en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, les documents comportant des informations couvertes par le secret de la vie privée, qui porteraient un jugement de valeur sur un tiers, personne physique nommément désignée ou facilement identifiable, ou feraient apparaître le comportement d'un tiers, autre qu'une personne chargée d'une mission de service public, dès lors que sa révélation serait susceptible de lui porter préjudice (plaintes, dénonciations…), sont communicables à la personne intéressée.

2.3. Application au cas d’espèce :

La commission relève qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le juge des enfants aurait été saisi de la situation de Monsieur X à la suite du refus administratif de sa prise en charge par le président du département de l’Orne. Elle estime, dès lors, que les documents composant son dossier d’aide sociale à l’enfance sont des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration.

La commission précise ensuite que la seule circonstance que le procureur de la République a été avisé de sa situation ne permet pas de regarder la communication de ces documents comme étant susceptible d'empiéter sur les prérogatives de l'autorité judiciaire.

La commission estime, en conséquence, que l’ensemble des documents composant son dossier d’aide sociale à l’enfance, y compris le rapport d’appui à l’évaluation de la minorité produit par les services de la préfecture de l’Orne, constituent des documents administratifs communicables à l'intéressé en application de l'article L311-6 du code précité.

Elle émet, dès lors, un avis favorable à la demande.