Avis 20232809 - Séance du 06/07/2023

Avis 20232809 - Séance du 06/07/2023

Premier ministre

Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 10 mai 2023, à la suite du refus opposé par la Première ministre à sa demande de communication, par courrier électronique ou publication sur le site web « service public » du ministère de la justice ou des cours d'appels, des documents suivants :
1) les rapports annuels remis au Parlement (article 30 du code de procédure pénale) sous les deux quinquennats de Monsieur Emmanuel MACRON, Président de la République ;
2) les rapports et informations (article 35 du code de procédure pénale) sous les deux quinquennats de Monsieur Emmanuel MACRON, Président de la République, à savoir :
a) les rapports particuliers ;
b) le rapport annuel de politique générale ;
c) le rapport annuel sur l’activité des parquets ;
d) les informations à l’assemblée des magistrats.

1. Pour ce qui concerne les rapports mentionnés au point 1) de la demande :

La commission rappelle qu’en application de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, les actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires sont régis par l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. En outre, l’article L342-1 du même code dispose que « la Commission d'accès aux documents administratifs émet des avis lorsqu'elle est saisie par une personne à qui est opposé un refus de communication ou un refus de publication d'un document administratif en application du titre Ier, un refus de consultation ou de communication des documents d'archives publiques, à l'exception (…) des actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires ».

La commission déduit de ces dispositions que les documents produits ou reçus par une assemblée parlementaire sont exclus du champ d’application du code des relations entre le public et l’administration et qu’elle est, par suite, incompétente pour se prononcer sur leur caractère communicable.

Elle précise cependant, s’agissant des documents reçus, que seuls ceux qui ont été produits en vue de leur transmission à une assemblée parlementaire ou à la demande de cette dernière sont exclus du champ d’application du code des relations entre le public et l’administration et, partant, du champ de sa compétence (avis de partie II du 31 mars 2022 n°20221614).

En l’espèce, le dernier alinéa de l’article 30 du code de procédure pénale prévoit que le ministre de la justice publie chaque année un rapport sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, rapport qui est transmis au Parlement et qui peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Dès lors qu’ils sont produits en vue de leur transmission aux assemblées parlementaires et pour permettre un débat parlementaire, la commission en déduit que les rapports annuels du ministre de la justice sollicités constituent des documents reçus par les assemblées parlementaires, au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.

La commission se déclare, par conséquent, incompétente pour se prononcer sur le point 1) de la demande.

2. Pour ce qui concerne les documents mentionnés au point 2) de la demande :

La commission rappelle, à titre liminaire, que les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale, ne présentent pas un caractère administratif et n'entrent donc pas dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en va ainsi, notamment, des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, des décisions du parquet, des dossiers d'instruction, des procès-verbaux d'audition, des rapports d'expertise ou des mémoires et observations des parties – c'est-à-dire de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites – mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 28 avril 1993, n° 117480). Ainsi, les documents, quelle que soit leur nature, qui sont détenus par les juridictions et qui se rattachent à la fonction de juger dont elles sont investies, tels par exemple des tableaux de roulement déterminant la composition d’une formation de jugement, n’ont pas le caractère de document administratif au sens du livre III du code des relations entre le public et l'administration (CE, 7 mai 2010, n° 303168).

En l’espèce, l’article 35 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n°2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, dispose que : « Outre les rapports particuliers qu'il établit soit d'initiative, soit sur demande du ministre de la justice, le procureur général adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l'application de la loi et des instructions générales ainsi qu'un rapport annuel sur l'activité et la gestion des parquets de son ressort. /Il informe, au moins une fois par an, l'assemblée des magistrats du siège et du parquet des conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la justice en application du deuxième alinéa de l'article 30 ».

L’article D15-2 du même code précise que : « (…) Les informations figurant dans ces deux rapports peuvent être regroupées dans un rapport unique. / Elles comportent une synthèse des rapports qui lui ont été transmis par les procureurs de la République de son ressort en application de l'article 39-1. / Le procureur général communique son ou ses rapports au premier président de la cour d'appel, pour diffusion aux magistrats du siège avant la prochaine assemblée générale des magistrats du siège et du parquet au cours de laquelle il informe cette assemblée des conditions de mise en œuvre, dans le ressort de la cour, de la politique pénale et des instructions générales qui lui ont été adressées à cette fin par le ministre de la justice ».

S’agissant des rapports particuliers mentionnés au point 2) a) :

La commission rappelle que les rapports particuliers ont pour objet l’information du ministre de la justice par les procureurs généraux au sujet des procédures les plus significatives en cours dans le ressort de leur cour d’appel. Dans une décision du 31 mars 2017 n°408348 et 408354, le Conseil d’État a relevé que les procureurs généraux y précisent s’ils partagent l’analyse et les orientations du procureur de la République et prennent position sur la conduite des dossiers en indiquant, le cas échéant, les instructions, générales ou individuelles, qu’ils ont été amenés à adresser sur le fondement des articles 35 et 36 du code de procédure pénale.

Dans ces conditions, alors même qu’ils ont pour vocation d’être transmis au ministre de la justice, ces rapports ne revêtent pas le caractère de documents administratifs pour l’application du droit de communication des documents mentionnés à l’article L300-2 précité. La commission souligne à cet égard que la circonstance que le ministre de la justice ne soit plus, en vertu de l’article 30 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 25 juillet 2013 déjà citée, susceptible d’adresser en retour des instructions individuelles aux procureurs généraux dans les affaires qui sont portées à sa connaissance, n’est pas de nature à remettre en cause le caractère juridictionnel des rapports particuliers qui lui sont adressés dès lors que ces rapports sont produits à l’occasion et pour les besoins de procédures juridictionnelles précises.

La commission se déclare, dès lors, incompétente pour connaître de la demande mentionnée au point 2) a).

S’agissant des informations mentionnées au point 2) d) :

Le ministre de la justice a précisé à la commission que les informations à l’assemblée des magistrats du siège et du parquet, prévues à l’avant-dernier alinéa de l’article 35 du code de procédure pénale, n’étaient matérialisées que par le procès-verbal de cette assemblée.

La commission constate qu’en vertu des articles R312-49 et R312-50 du code de l’organisation judiciaire, l’assemblée des magistrats du siège et du parquet de la cour d’appel est notamment compétente pour émettre un avis sur le nombre, le jour et la nature des audiences, pour habiliter les enquêteurs de personnalité et les contrôleurs judiciaires et pour émettre un avis sur les projets d’habilitation des médiateurs et des délégués du procureur de la République, conformément aux dispositions du code de procédure pénale. Dans ces conditions, la commission estime que les procès-verbaux des séances de cette assemblée se rattachent à la fonction de juger de la cour d’appel et ne présentent pas le caractère de documents administratifs (rappr., s’agissant des procès-verbaux des séances de l’assemblée des magistrats du siège de la cour d’appel, avis du 18 février 2016 n°20156212).

La commission se déclare, dès lors, incompétente pour connaître de la demande mentionnée au point 2) d).

S’agissant des rapports annuels mentionnés aux points 2) b) et c) :

En premier lieu, la commission note que la circulaire du 31 janvier 2014 de présentation et d’application de la loi du 25 juillet 2013 déjà citée énonce que « la responsabilité du ministre de la justice dans l’élaboration de la loi pénale, la détermination et l’évaluation de la politique pénale, et son obligation d’en rendre compte devant la représentation nationale impliquent une obligation d’information par les magistrats du parquet qui est clairement affirmée par les nouvelles dispositions ». Cette circulaire indique également que les procureurs généraux doivent être en mesure de rendre compte auprès du garde des sceaux des priorités de politique pénale définies localement, des moyens mis en œuvre ainsi que des résultats obtenus, qu’ils doivent s’attacher à un travail d’évaluation tant sur la structure des réponses pénales que sur des thématiques sectorielles pertinentes au regard des particularités locales et qu’ils doivent veiller à utiliser les outils de pilotage et de mesure nécessaires à la mise en œuvre des objectifs définis, en vue notamment de permettre que soient fixés des objets quantitatifs et qualitatifs partagés avec les parquets de première instance. La circulaire précise que le rapport de politique pénale demeure à cet égard le premier vecteur d’information.

La commission déduit des dispositions précitées du code de procédure pénale et des termes de cette circulaire que les rapports de politique générale sur l’application de la loi et des instructions et ceux sur l’activité et la gestion des parquets ont pour objet de rendre compte de la politique pénale et de l’activité générale du ministère public. Elle considère par suite que ces rapports sont détachables des fonctions juridictionnelles assurées par les magistrats du parquet et qu’ils constituent, dès lors, des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.

En deuxième lieu, la commission rappelle qu’en application des dispositions de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, les documents administratifs sont en principe librement communicables, sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6 du même code.

L’article L311-5 prévoit, notamment, que ne sont pas communicables les documents dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ou à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d'infractions de toute nature.

L’article L311-6 s’oppose, notamment, à la communication à des tiers des documents dont la communication porterait atteinte au secret de la vie privée, des documents portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou des documents faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.

La commission précise, enfin, qu’aux termes de l'article L311-7 de ce code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L311-5 et L311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ». L’administration est en revanche fondée à refuser la communication du document dans son entier lorsque l’occultation partielle priverait ce document de son intelligibilité (CE, 25 mai 1990, n°86546) ou de son sens (CE, 4 janvier 1995, n° 117750), ou la communication de tout intérêt (CE, 26 mai 2014, n° 342339).

En l’espèce, la commission, qui n’a pas pu prendre connaissance des rapports sollicités, considère qu’ils sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sous réserve de l’occultation préalable, le cas échéant, des éventuelles mentions qui relèveraient d’un des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

En dernier lieu, la commission prend note que le ministre de la justice l’a informée qu’il considérait la demande comme abusive, dans la mesure où elle porte sur l’ensemble des rapports établis par les procureurs généraux sur une période de six années.

La commission souligne cependant que toute demande portant sur une quantité importante de documents ou le fait pour une même personne d’adresser soit plusieurs demandes à une même autorité soit des demandes multiples formulées à l’identique à plusieurs autorités, ne sont pas nécessairement assimilables à des demandes abusives.

Une demande ne peut en effet être regardée comme abusive que lorsqu'elle a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou lorsqu'elle aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose (CE, 14 novembre 2018, n° 420055, 422500).

La commission précise que c’est un faisceau d’indices qui permet de qualifier une demande d’abusive. Parmi les critères pouvant la conduire à considérer qu’une demande a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration, figurent notamment le nombre de demandes adressées par le demandeur à la même administration et leur fréquence, les termes employés dans la demande de communication ou encore la détention, par le demandeur, des documents demandés ou la connaissance qu'il a de leur inexistence. La commission fonde également son appréciation sur les éléments portés à sa connaissance par le demandeur et l'administration quant au contexte dans lequel s'inscrit la demande.

En l’espèce, compte de la nature des documents demandés, précisément identifiés, du destinataire de la demande et des éléments portés à sa connaissance, il n’est pas apparu à la commission que cette demande présenterait un caractère abusif au sens des principes qui viennent d’être rappelés.

La commission émet, dès lors, un avis favorable à la demande de communication des rapports annuels mentionnés aux points 2) b) et 2) c), sous les réserves qui ont été précisées.