Avis 20233551 - Séance du 14/12/2023

Avis 20233551 - Séance du 14/12/2023

Ministère des armées

Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 13 juin 2023, à la suite du refus opposé par le ministre des armées à sa demande de communication, sur le fondement du code du patrimoine, dans le cadre de la rédaction de son mémoire de recherche sur la guerre chimique en Algérie, des documents suivants conservés par le service du SHD‐Châtellerault :
1) concernant le carton n° X :
a) le dossier « X » ;
b) le dossier « X » ;
2) concernant le carton n° X :
a) le dossier « X » ;
b) le dossier « X » ;
3) concernant le carton n° X ;
4) concernant le carton n° X.

A titre liminaire, la commission rappelle que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 du même code.

Monsieur X a saisi la commission du refus qui lui a été opposé par le ministre des armées à sa demande d’autorisation de consultation de quatre cartons d’archives conservés au centre des archives de l’armement et du personnel civil de Châtellerault, au motif que ces cotes contiennent des documents dont la communication est susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue et qui sont dès lors, par application du II de l’article L213-2 du code du patrimoine, non communicables.

Le demandeur ayant depuis lors précisé les dossiers qu’il souhaite consulter au sein de ces cotes, le ministre des armées a indiqué à la commission, en dernier lieu, que les dossiers mentionnés aux points 1) b) et 4) ainsi qu’un document appartenant au dossier mentionné au point 2) sont, après réexamen, librement communicables. La commission émet par conséquent un avis favorable à la demande dans cette mesure.

Le ministre a en revanche maintenu son refus pour ce qui concerne les autres documents, indiquant en outre que le secret de la défense nationale fait obstacle à ce que la commission puisse en prendre connaissance.

1. Sur le cadre juridique et la portée du secret de la défense nationale :

La commission relève, en premier lieu, qu’en vertu du 3° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021, les documents dont la communication porterait atteinte au secret de la défense nationale, et qui ont pour ce motif fait l'objet d'une mesure de classification mentionnée à l'article 413-9 du code pénal, deviennent librement communicables à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier. La commission précise que ne relèvent du secret de la défense nationale que les seuls documents ayant fait l’objet d’une mesure de classification à ce titre par l’autorité compétente (avis de partie I n° 20215751 du 16 décembre 2021 ; avis de partie II n° 20217244 du 17 février 2022).

La loi du 30 juillet 2021 a par ailleurs inséré au même article L213-2 du code du patrimoine un III selon lequel « toute mesure de classification mentionnée à l'article 413-9 du code pénal prend automatiquement fin à la date à laquelle le document qui en a fait l'objet devient communicable de plein droit en application du présent chapitre. »

La commission relève, en deuxième lieu, que le II de l’article L213-2 du code du patrimoine, issu de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008, dispose toutefois que : « Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue ».

La commission estime qu’en consacrant en 2021 la déclassification de plein droit de documents à l’échéance du délai de libre communicabilité qui leur est applicable, le législateur n’a pas entendu remettre en cause la protection particulière qui doit s’attacher à ceux qui comportent des informations à caractère proliférant. Par conséquent, elle considère que les dispositions du II et du III de l’article L213-2 du code du patrimoine doivent être lues, pour cette catégorie de documents bénéficiant d’une protection toute particulière, comme prolongeant les effets de la classification au titre de la protection du secret de la défense nationale jusqu’à l’intervention d’une décision contraire de l’autorité compétente.

La commission précise, en dernier lieu, qu’il résulte des articles L2312-1 et suivants du code de la défense que seule la Commission du secret de la défense nationale est autorisée à prendre connaissance d’informations classifiées en vue d’émettre un avis sur leur déclassification et leur communication. Cette commission doit être saisie par l’autorité administrative en charge de la classification sur la demande du président de certaines commissions permanentes du Parlement ou sur celle d’une juridiction française dans le cadre d'une procédure engagée devant elle. La CADA n’a en revanche pas le pouvoir d’initier la saisine de la Commission du secret de la défense nationale.

En l’espèce, les cotes que Monsieur X souhaite consulter contiennent des documents qui ont fait l’objet de mesures de classification au titre de la protection du secret de la défense nationale. La commission observe que compte tenu des dates extrêmes de ces cotes, le délai de cinquante ans mentionné au I de l’article L213-2 du code du patrimoine est échu.

Toutefois, dans la mesure où le ministre des armées a indiqué que sont en cause des informations à caractère proliférant, la commission estime, en application des principes rappelés ci-dessus, que les effets attachés aux mesures de classification demeurent et que le secret de la défense nationale fait par suite obstacle à ce qu’elle puisse prendre connaissance des documents sollicités.

2. Sur l’office de la CADA :

La commission rappelle cependant, qu’aux termes de l’article L340-1 du code des relations entre le public et l’administration, elle est « chargée de veiller au respect de la liberté d'accès aux documents administratifs et aux archives publiques ». Elle est ainsi compétente pour rendre un avis, sur le fondement du livre III de ce code, sur la communication de documents administratifs couverts par le secret de la défense nationale (CE, 20 février 2012, Min. de la défense, n°350382). L'article R343-2 du même code prévoit par ailleurs que « l'administration mise en cause est tenue, dans le délai prescrit par le président de la commission, de communiquer à celle-ci tous documents et informations utiles et de lui apporter les concours nécessaires. (...) ».

Ainsi qu’elle l’a fait en dernier lieu dans son avis de partie II du 17 février 2022 n° 20217244, la commission considère qu’il lui appartient de vérifier qu'avant que ne soit refusée la communication d’un document relevant du secret de la défense nationale et faisant l’objet d’une mesure de classification à ce titre, qui ne serait possible qu'après déclassification par l'autorité compétente, que celle-ci s'est assurée que le maintien de la classification est justifié et en particulier qu’une déclassification partielle du document ne peut être réalisée. La commission en déduit également qu’elle se prononce alors au vu, notamment, de tout élément d'information que l'administration destinataire de la demande lui communique dans des formes préservant le secret de la défense nationale, de façon à lui permettre d'émettre son avis en connaissance de cause sans porter directement ou indirectement atteinte à ce secret. Dans le cas où, estimant qu’une classification ne se justifierait plus et que la communication d'un document classifié ne porterait donc pas atteinte au secret de la défense nationale, ni par ailleurs à un autre intérêt protégé par le code du patrimoine, la commission émettrait un avis favorable à la demande, il appartiendrait à cette administration d’engager les procédures nécessaires en vue de la déclassification, totale ou partielle, de ce document par l'autorité compétente.

3. Sur la communication des dossiers d’archives publiques en cause :

La commission rappelle que dans son avis du 16 décembre 2021 n° 20215751 précité, elle a estimé qu’une restriction au principe de libre communicabilité des archives publiques telle que prévue par le II de l’article L213-2 du code du patrimoine, sans limite temporelle et non assortie d’une possibilité de délivrance d’autorisation de consultation à titre dérogatoire, ne peut que faire l’objet d’une interprétation stricte et ne saurait donc viser que les documents pour lesquels le risque que l’ennemi s’empare d’éléments d’information relatifs à de telles armes présente toujours une actualité.

En l’espèce, la commission considère qu’en dépit des échanges menés pour l’instruction de la saisine, elle ne dispose pas d’éléments établissant que la consultation des dossiers d’archives en cause serait susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes chimiques, qui présenteraient un tel risque.

Dans ces conditions et en l’état des informations dont elle dispose, la commission émet en conséquence un avis favorable à la demande et invite le ministre des armées à procéder à un nouvel examen des dossiers sollicités en vue de leur déclassification, le cas échéant partielle.