Avis 20237246 - Séance du 11/01/2024

Avis 20237246 - Séance du 11/01/2024

Centre sécurité Requin

Monsieur X, pour X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 27 novembre 2023, à la suite du refus opposé par le directeur du Centre Sécurité requin (CSR) à sa demande de communication des documents suivants, relatifs aux données de pêche du centre, en format Excel directement exploitable avec la signification des codes/abréviations éventuels, pour les années 2018 à 2023 inclus :
1) pour les captures de requins ciblés, les données relatives aux requins bouledogues et tigres entre 2018 (début des activités du CSR) et 2023 inclus (les dernières disponibles), à savoir :
a) l'espèce, la date de capture, la zone de capture, le sexe, la taille, le devenir (vivant prélevé, mort prélevé, échappé, autre,...) ;
b) les nombres de jour de pêche par zone de pêche et par mois ;
c) le nombre d’heures de pêche par zone et par mois ;
d) le nombre de palangres verticales avec alerte de capture (PAVAC) posées et de palangres horizontales de fond (PHF) posées par zone et par mois ;
e) le nombre d’hameçons utilisés par zone et par mois, les variations du nombre d’hameçons ; f) le mode de capture : PHF ou PAVAC, pour chaque spécimen capturé ;
2) pour les captures accessoires, les données relatives aux espèces autres que les requins ciblés entre 2018 (début des activités du CSR) et 2023 inclus (les dernières disponibles), à savoir : l'espèce, la date ou la période de capture, la zone de capture, le sexe, la taille, le devenir (mort prélevé, relâché vivant, relâché fatigué, échappé, autre…) ;
3) tout document ou information permettant d’établir :
a) le point zéro et l’état des lieux actuel des populations de requins concernées et des espèces accessoires présentes dans les eaux réunionnaises ;
b) l’impact depuis 2014 des pressions de pêche et des prélèvements non discriminés sur l’état des populations de requins ciblés et sur celui des espèces accessoires.

La commission précise, à titre liminaire, que la présente demande est liée à une autre saisine adressée au comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de la Réunion, enregistrée sous le numéro 20237295 et examinée à la même séance. Elle relève que ces demandes portent sur des documents relatifs au programme de pêche préventive de requins potentiellement dangereux, qui a été mis en œuvre de 2014 à 2017 par ce comité et qui est piloté depuis 2018 par le Centre Sécurité Requin.

En premier lieu, la commission rappelle qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, (…) les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission (…) ». En vertu de l’article L311-1 du même code : « Sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6, les administrations mentionnées à l'article L300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ».

La commission estime qu'un groupement d'intérêt public, personne morale de droit public instituée pour assurer une mission d'intérêt général, est chargé d'une mission de service public et que les documents que ce groupement produit ou reçoit dans le cadre de cette mission ont le caractère de documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.

En l’espèce, la commission observe que le Centre Sécurité Requin a été constitué entre l’État, le conseil régional, le conseil départemental, cinq communes, trois communautés d’agglomération de La Réunion et l’université de La Réunion, sous la forme d’un groupement d’intérêt public dont la convention a été approuvée par arrêté préfectoral du 17 juin 2020. Il a pour objet de conduire ou accompagner toutes actions tendant à la réduction du risque requin et a, pour ce faire, notamment pour mission d’apporter une assistance à ses membres dans le domaine de la réduction du risque requin (appui administratif, conseil juridique, appui technique et scientifique, communication), de concevoir et mettre en œuvre les mesures opérationnelles contribuant à réduire l'exposition au risque requin des usagers du littoral de La Réunion dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie réunionnaise de réduction du risque évaluée et réorientée en continu, d’assurer la maîtrise d'ouvrage des projets développés (et notamment les mesures opérationnelles contribuant à réduire l'exposition au risque requin des usagers du littoral) et vérifier la qualité des ouvrages attendus ainsi que le respect des calendriers et budgets prévus, de porter le programme réunionnais de pêche de prévention conciliant les objectifs de réduction du risque requin et de préservation de la biodiversité ainsi que d’évaluer en continu la faisabilité et l'efficacité des mesures entreprises pour réduire le risque requin.

La commission déduit de ce qui précède que le Centre Sécurité Requin est ainsi chargé d’une mission de service public pour ce qui concerne notamment le programme de pêche préventive de requins et que les documents sollicités, qui se rapportent directement à cette mission, constituent des documents administratifs, soumis au droit d’accès garanti par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.

Ensuite, si le directeur du Centre Sécurité Requin a indiqué que certaines des informations sollicitées seraient disponibles en ligne sur Internet, la commission constate que le site milieumarin.france.fr auquel il a été renvoyé ne comporte pas de données portant sur le programme de pêche préventive mis en œuvre et que les publications effectuées par le centre lui-même ne répondent pas à la demande dans son ensemble. Elle en conclut que cette demande ne porte pas sur des documents ayant fait l’objet d’une diffusion publique au sens de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration.

La commission rappelle, en deuxième lieu, que l'article L124-2 du code de l'environnement qualifie d'informations relatives à l'environnement toutes les informations disponibles, quel qu'en soit le support, qui concernent notamment : « 1° L'état des éléments de l'environnement, notamment (…) les zones côtières ou marines et la diversité biologique, ainsi que les interactions entre ces éléments ; / 2° Les décisions, les activités et les facteurs (…) susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1°, ainsi que les décisions et les activités destinées à protéger ces éléments (…) ». Elle souligne que compte tenu de leur objet, les documents sollicités comportent des informations relatives à l’environnement au sens de ces dispositions.

Selon les articles L124-1 et L124-3 du code de l’environnement, le droit de toute personne d'accéder à des informations relatives à l’environnement lorsqu'elles sont détenues, reçues ou établies par les autorités publiques ou pour leur compte, s'exerce dans les conditions définies par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des dispositions du chapitre IV du titre II du livre I du code de l'environnement. La commission précise que le régime particulier prévu par le chapitre IV du titre II du livre Ier du code de l’environnement porte, à la différence du régime général d'accès aux documents administratifs, sur les informations et non uniquement sur les documents relatifs à l’environnement. Elle en déduit que dès lors que l’administration détient de telles informations, figurant ou non sur un document existant, elles sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L124-3 de ce code, ce dernier n’imposant aucune exigence de formalisation préalable de l'information demandée, et qu’il appartient alors à l’administration, saisie d’une demande en ce sens, d’élaborer un document comportant les informations sollicitées.

La commission relève en l’espèce que les documents sollicités ne comportent pas de mentions protégées par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, auxquels le code de l’environnement renvoie.

Toutefois, la commission constate que le directeur du Centre Sécurité Requin a maintenu son refus de communiquer ces documents en indiquant que les informations demandées étaient actuellement utilisées par ses services comme métadonnées et qu’elles ne pouvaient ainsi faire l’objet d’une communication avant la parution programmée de deux publications scientifiques. Il estime qu’elles doivent par suite être protégées au titre des droits du producteur d’une base de données, conformément à l’article L341-1 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondant à la production d’une telle base bénéficie d'une protection de son contenu lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel.

La commission précise ainsi, en troisième lieu, qu’en vertu de l'article L311-4 du code des relations entre le public et l'administration : « Les documents administratifs sont communiqués ou publiés sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ». Dans sa décision du 8 novembre 2017 n° 375704, le Conseil d’État a jugé que cette disposition implique, avant de procéder à la communication de documents administratifs grevés de droits d’auteur n'ayant pas déjà fait l'objet d'une divulgation au sens de l'article L121-2 du code de la propriété intellectuelle, de recueillir l'accord de leur auteur.

Il en résulte que lorsqu’un tiers détient des droits de propriété intellectuelle sur un document administratif en possession de l'administration, cette dernière doit solliciter son autorisation avant de procéder à la communication du document (conseil de partie II n° 20180226 du 17 mai 2018). La commission souligne que pour être protégées par des droits de propriété intellectuelle, la jurisprudence exige que les œuvres de l’esprit se caractérisent par une certaine originalité, en ce qu’elles font apparaître l’empreinte, le style ou encore la personnalité de leur auteur, ou encore l’apport ou l’effort intellectuel de ce dernier. Elle en déduit que si l’autorité saisie l’informe qu’un tiers détenant des droits de propriété intellectuelle sur un document administratif en sa possession n’a pas donné son accord à la communication, il lui incombe de démontrer que le document sollicité constitue effectivement une œuvre de l’esprit, en fournissant des éléments circonstanciés justifiant son apport créatif (avis de partie I n° 20221454 du 23 juin 2022 et 8 septembre 2022 n°20224541).

En l’espèce, le directeur du Centre Sécurité Requin a précisé détenir une base de données brutes, qui rassemble les informations fournies par les pêcheurs mettant en œuvre les opérations de pêche préventive et qui est destinée à évaluer l’efficacité de ce programme, à déterminer son impact sur la biodiversité et à mieux évaluer le risque requin en améliorant les connaissances sur les deux espèces ciblées (requins tigre et bouledogue). Il ne ressort pas des informations fournies au cours de l’instruction que cette base présenterait les caractéristiques d’une œuvre de l’esprit au sens de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, ni qu’un ou des tiers détiendraient sur elle des droits d’auteur ou des droits des producteurs de bases de données au sens des articles L341-1 et suivants de ce même code. La commission estime par ailleurs que le Centre Sécurité Requin ne peut utilement se prévaloir des droits que lui-même détiendrait sur ces données, recueillies dans le cadre et pour les besoins de sa mission de service public administratif, ni d'une priorité qu'il entendrait donner à ses propres publications, pour en refuser la communication (rappr., pour ce qui concerne la réutilisation de bases de données élaborées par un service départemental d’archives : Conseil d’Etat, 8 février 2017, n°389806).

Dans ces conditions, la commission émet un avis favorable à la communication des documents sollicités, par voie électronique et dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, conformément aux dispositions combinées des articles L300-4 et L311-9 du code des relations entre le public et l’administration, pour ceux dont le Centre Sécurité Requin dispose déjà sous cette forme.

Elle indique enfin à Monsieur X que s’il souhaite réutiliser les informations publiques figurant dans ces documents, il devra se conformer aux règles de réutilisation prévues au titre II du livre III du code des relations entre le public et l'administration. La commission rappelle en particulier qu’en vertu de l’article L322-1 de ce code, sauf accord de l’administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées.