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Avis 20241180 - Séance du 28/03/2024
Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 15 février 2024, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines et de l’architecture à sa demande de communication, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre de son mémoire universitaire, des dossiers conservés aux Archives de Paris sous les cotes suivantes :
Hôpital psychiatrique Maison-Blanche
- 3619W 62 : dossiers médicaux des patientes sorties et transférées. Patronymes A-K. Année 1954.
- 3619W 214 : échantillon de dossiers médicaux des patientes sorties ou transférées. Années 1953-1954.
Hôpital psychiatrique Saint-Anne. Clinique des maladies mentales et de l'encéphale
- 3302W 39 : dossiers médicaux d'hospitalisation. 1949-1950. Rapports individuels d'observations 1940-1956.
1. Présentation du cadre juridique :
La commission relève, en premier lieu, qu'elle est compétente, en vertu des dispositions de l’article L342-1 du code des relations entre le public et l'administration, pour émettre un avis sur la communication au demandeur, en application des dispositions des articles L213-1 à L213-3 du code du patrimoine, par les services qui le conservent, des documents sollicités qui constituent des documents d’archives publiques au sens de l’article L211-1 de ce même code.
La commission rappelle, en deuxième lieu, que les documents d’archives publiques sont en principe communicables de plein droit en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation à cet article, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions fixés par l'article L213-2 de ce même code.
A cet égard, en vertu du 2° du I de cet article L213-2, par dérogation à l’article L213-1 du code du patrimoine, les documents d’archives publiques dont la communication porte atteinte au secret médical sont communicables vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l’intéressé, ou cent-vingt ans à compter de la date de naissance de cette personne quand sa date de décès n’est pas connue.
La commission précise, en troisième lieu, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné, dans le cas où il serait défavorable.
La commission rappelle que, pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II n° 20050939 du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Dans un avis de partie II n° 20215602 du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
2. Application au cas d’espèce :
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le directeur général des patrimoines et de l'architecture a informé la commission que son refus était justifié par le fait que le département d'informations médicales du Groupe hospitalier universitaire Psychiatrie et Neurosciences de Paris, dont l’avis est requis par les dispositions de l'article L213-3 du code du patrimoine, a émis un avis défavorable à la demande, considérant qu’elle porterait une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger et notamment au secret médical des personnes auxquelles se rapportent les dossiers médicaux demandés. Le directeur général des patrimoines et de l’architecture, tenu par les dispositions de ce même article L213-3 déjà cité, ne pouvait qu'opposer un refus à la demande.
En l’espèce, la commission relève que Monsieur X est étudiant en histoire à l’École normale supérieure Paris-Saclay et que sa demande est effectuée dans le cadre d’un mémoire de master 1 sur l’internement psychiatrique des immigrés algériens à Paris, au cours de la période comprise entre 1945 et 1962. Elle constate également que les documents sollicités sont en lien direct avec ses travaux. Elle souligne enfin que Monsieur X s’est engagé par écrit à respecter la confidentialité des informations qui seront portées à sa connaissance.
Elle en déduit que l’intérêt légitime de ce dernier à la consultation des dossiers sollicités est en l’espèce établi.
La commission constate toutefois que la demande porte sur des dossiers médicaux de prise en charge en soins psychiatriques de patients, dont le nombre a été estimé à environ cent-quinze par les archives de Paris. Elle souligne que ces fonds comportent ainsi des informations sensibles relevant du secret médical, concernant de nombreuses personnes nommément désignées.
La commission a également été informée que compte tenu du nombre de patients concernés, il n’était pas possible de vérifier un à un leur décès ou non et sa date. Il lui a aussi été précisé d’une part, que ces patients étaient majeurs à la date à laquelle leurs dossiers ont été établis et, d’autre part, que les dates mentionnées dans les intitulés des fonds correspondent à la date de leur admission à l’hôpital. Les fonds d’archives sollicités, dont l’un d’entre eux inclut des documents établis en 1956, contiennent ainsi des informations se rapportant à des patients nés, au plus tard, en 1935.
La commission en déduit que les documents sollicités se rapportent à des personnes potentiellement toujours en vie ou décédées depuis moins de vingt-cinq ans et sont ainsi couverts, selon les cas, par un délai de de cent-vingt ans à compter de la date de naissance des personnes intéressées ou par un délai de vingt-cinq ans suivant la date de leur décès lorsque celle-ci est connue, de sorte que l’échéance de libre communicabilité est encore lointaine.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime dès lors qu’en dépit du sérieux des travaux et de l’intérêt scientifique qui s’attache à la recherche menée par Monsieur X ainsi que de l’avis favorable émis par les archives de Paris, la consultation anticipée pour les besoins de la rédaction d’un mémoire de master des document sollicités serait, en l’espèce, de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, compte tenu du nombre de personnes concernées par ces dossiers médicaux et de la particulière sensibilité des informations que ces derniers comportent.
La commission émet, en conséquence, un avis défavorable à la demande.