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Conseil 20241664 - Séance du 28/03/2024
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné lors de sa séance du 28 mars 2024 votre demande de conseil relative au caractère communicable, par publication, de la décision du comité de règlement des différends commerciaux agricoles relative à l’exécution de contrats-cadres conclus entre l’association X et la société X.
1. Présentation du cadre juridique :
A titre liminaire, la commission relève que le II de l’article L631-24 du code rural et de la pêche maritime prévoit que la conclusion d’un contrat de vente relatif à la cession à leur premier acheteur de produits agricoles, destinés à la revente ou à la transformation en vue de la revente, doit être précédée d’une proposition du producteur agricole. Lorsque celui-ci a donné mandat à une organisation de producteurs reconnue ou une association d’organisations de producteurs reconnue pour négocier la commercialisation de ses produits sans qu’il y ait transfert de leur propriété, la conclusion d’un contrat entre le producteur et l’acheteur doit être précédée de la conclusion et est subordonnée au respect des stipulations de l'accord-cadre écrit avec cet acheteur par l'organisation de producteurs ou l'association d'organisations de producteurs. Il appartient à cette organisation de producteurs ou association d'organisations de producteurs de proposer à l'acheteur un accord-cadre, socle unique de la négociation au sens de l'article L441-1 du code de commerce.
Le III et le IV de l’article L631-24 déterminent en outre des clauses que doivent comporter le contrat ou l’accord-cadre, relatives notamment au prix ou aux modalités de détermination de prix, à la durée du contrat ou de l’accord-cadre et au délai de préavis.
En vertu de l’article L631-28 du même code, tout litige entre professionnels relatif à la conclusion ou à l'exécution d'un tel contrat ou accord-cadre doit, préalablement à toute saisine du juge, faire l'objet d'une procédure de médiation par le médiateur des relations commerciales agricoles et, en cas d'échec de la médiation, d'une saisine du comité de règlement des différends commerciaux agricoles. Ce dernier est chargé, outre de connaître de ces litiges, d’établir des lignes directrices qui précisent les modalités d’application des articles L631-24 et L631-24-2 du code rural et de la pêche maritime.
2. Notion de document administratif :
En premier lieu, la commission constate que le comité de règlement des différends commerciaux agricoles est ainsi chargé de missions de service public pour la mise en œuvre du régime contractuel agricole issu des lois dites Egalim (n°2018-938 du 30 octobre 2018, n°2021-1357 du 18 octobre 2021 et n°2023-221 du 30 mars 2023). En outre, il résulte de sa composition et des modalités de son fonctionnement que ce comité doit être regardé comme une autorité administrative au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration. La commission considère dès lors que les documents que ce comité reçoit ou produit dans le cadre de ses attributions constituent des documents administratifs soumis au droit d’accès organisé par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.
En l’espèce, la commission constate que la décision du 19 février 2024 sur laquelle porte la demande de conseil a été prise par le comité de de règlement des différends commerciaux agricoles dans le cadre d’un litige opposant une association d’organisations de producteurs à un acheteur. Elle observe que le comité a agi dans le cadre de ses missions de service public en qualité d’autorité administrative. Dès lors, la décision du 19 février 2024 constitue un document administratif communicable dans les conditions et sous les réserves prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.
3. Caractère communicable du document sollicité :
La commission relève que vous vous interrogez sur le point de savoir si la décision précitée du 19 février 2024 est, en tout ou partie, couverte par les réserves tenant à la divulgation du comportement d’une personne et à l’atteinte au secret des affaires, prévues par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
En premier lieu, la commission rappelle qu’aux termes du 3° de cet article L311-6 , les documents administratifs faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, ne sont communicables qu’à l’intéressée, entendue au premier chef comme la personne directement concernée.
En l’espèce, la commission constate que la décision du 19 février 2024 ne révèle en elle-même aucun manquement en tant que tel des opérateurs économiques concernés, ni ne fait apparaître de leur part un comportement dont la divulgation à des tiers pourrait leur porter préjudice. Elle se borne à rechercher une solution d’équilibre face à une situation de blocage entre ces opérateurs aux intérêts économiques divergents, au regard d’une législation nouvelle et complexe à appréhender. La commission estime, dès lors, que cette décision ne comporte pas de mention protégée au titre du 3° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
En second lieu, la commission vous rappelle qu’en vertu du 1° de cet article L311-6, ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs dont la communication porterait atteinte au secret des affaires. Sont notamment visées par cette réserve les mentions relatives au secret des procédés, à celui des informations économiques et financières ainsi qu’à celui des stratégies commerciales ou industrielles. La commission rappelle que le secret des affaires est apprécié en tenant compte du caractère concurrentiel ou potentiellement concurrentiel de l’activité exercée et eu égard à la définition donnée à l’article L151-1 du code de commerce. Aux termes de cet article est protégée par le secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : « (…) 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».
En l’espèce, la commission note que le comité était saisi d’un litige opposant une association d’organisations de producteurs à un acheteur quant à la prolongation des délais de préavis de résiliation d’accords-cadres conclus antérieurement et quant à la détermination du prix. La commission observe que la décision du 19 février 2024 sur laquelle vous l’interrogez comprend d’abord certaines mentions relatives aux volumes de collecte et de production des parties, comme aux prix unitaires proposés. Par ailleurs, après avoir rappelé l’historique des relations commerciales entre cet acheteur, les organisations de producteurs et l’association d’organisations de producteurs, la décision détaille les négociations entre les parties pour tenter d’arriver à la conclusion d’un accord-cadre, les procédures de médiation suivies, ainsi que les positions respectives de chaque acteur sur les points de désaccord. La décision décrit enfin le contenu de certaines des clauses des contrats liant les parties, quant à la durée des contrats, aux délais de préavis, à la détermination du prix et à la possibilité de contracter avec des tiers.
La commission constate que la décision du 19 février 2024 comporte ainsi de très nombreuses mentions reflétant les stratégies commerciales mises en place par les parties et relevant, à ce titre, du secret des affaires. Elle estime que l’occultation de ces mentions, qui forment un tout non divisible au regard de l’objet du litige sur lequel le comité de règlement des différends commerciaux agricoles s’est prononcé, seraient, au cas d’espèce, d’une ampleur telle qu’elle priverait la décision de son intelligibilité et de son sens et, partant, la communication de tout intérêt.
La commission en conclut que la décision en cause n’est communicable qu’aux parties au litige, en vertu du 1° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Elle vous recommande par suite de ne pas faire droit à une demande d’un tiers tendant à sa communication, en dépit de l’intérêt s’attachant, pour les acteurs économiques du secteur, à la connaissance des positions prises par le comité.
Elle vous suggère d’envisager d’autres voies pour faire connaître l’interprétation faite par le comité de règlement des différends commerciaux agricoles des dispositions du code rural et de la pêche maritime.