Avis 20243195 - Séance du 04/07/2024

Avis 20243195 - Séance du 04/07/2024

Premier ministre

Monsieur X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 2 mai 2024, à la suite du refus opposé par le Premier ministre à sa demande de communication, en sa qualité de journaliste, par courrier électronique, des documents suivants :
1) l’inventaire des projets d’investissement prévu par l’article 4 du décret n° 2013-1211 du 23 décembre 2013 relatif à la procédure d'évaluation des investissements publics, dans sa version intégrale (nom du projet, description et/ou l’ensemble des éléments d’informations disponibles sur le projet, liste des financeurs publics et privés et montants des financements, adresse du projet...) ;
2) l’ensemble des évaluations triennales réalisées depuis 2013 au titre de l’article 5 du même décret.

A titre liminaire, la commission précise qu’en vertu de l’article 17 de la loi n°2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 et de l’article 1er du décret n°2013-1211 du 23 décembre 2013 relatif à la procédure d'évaluation des investissements publics, tout projet d’investissement civil financé par l’État, ses établissements publics, les établissements publics de santé et les structures de coopération sanitaire doit faire l’objet d’une évaluation socio-économique préalable.

Il résulte de l’article 2 du décret du 23 décembre 2013 que les projets d'investissement dont le financement atteint 20 millions d’euros doivent être déclarés pour être inscrits à un inventaire réalisé par le secrétaire général pour l'investissement, qui peut demander la transmission du dossier complet d’évaluation socio-économique correspondant.

La transmission de ce dossier est obligatoire pour les projets dont le financement public atteint 100 millions d’euros, qui doivent en outre faire l’objet d’une contre-expertise indépendante organisée par le secrétaire général pour l’investissement.

L’article 4 de ce décret précise par ailleurs que le secrétaire général pour l'investissement prépare annuellement un rapport public relatif aux projets d'investissements, comportant une synthèse de l’inventaire et indiquant les contre-expertises réalisées.

Enfin, en application de l’article 5 de ce texte, la procédure établie par le décret du 23 décembre 2013 doit faire l’objet d'une évaluation triennale remise au Premier ministre et transmise au Parlement.

1. En ce qui concerne le point 1) de la demande :

En premier lieu, la commission analyse ce point de la demande comme tendant à la communication des versions annuelles de l’inventaire réalisées par le secrétaire général pour l’investissement en vue de la remise du rapport prévu à l’article 4 du décret du 23 décembre 2013.

En second lieu, en réponse à la demande qui lui a été adressée, le Premier ministre a indiqué à la commission que la déclaration à l’inventaire intervient alors que les projets ne sont pas arrêtés et peuvent encore faire l’objet d’arbitrages et de modifications par l’autorité décisionnaire, notamment au vu de la contre-expertise réalisée. Il estime par conséquent que l’inventaire revêt un caractère préparatoire.

La commission rappelle qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration ». Sont regardés comme préparatoires au sens de ces dispositions, les documents qui concourent à l'élaboration d'une décision administrative et sont inséparables de ce processus. Ainsi que l’a précisé le Conseil d'État dans sa décision du 24 février 2022, n° 459086, cette réserve temporaire, justifiée par un motif d’intérêt général, vise « à assurer la sérénité du processus d’élaboration des décisions au sein de l’administration et donc à garantir le bon fonctionnement de cette dernière ».

Les documents préparatoires à une décision administrative sont ainsi en principe exclus provisoirement du droit à la communication aussi longtemps que cette décision n’est pas intervenue ou que l'administration n'y a pas manifestement renoncé, à l'expiration d'un délai raisonnable. La commission souligne que lorsqu’un projet comporte des phases distinctes donnant lieu à l'édiction de plusieurs décisions successives, il importe d’identifier la nature des pièces dont le caractère préparatoire est levé par l’intervention de chacune de ces décisions.

En l’espèce, la commission observe que la déclaration d’un projet à l’inventaire rendue obligatoire par le décret du 23 décembre 2013 permet au secrétaire général pour l’investissement de s’assurer de la réalisation effective d’une évaluation socio-économique, qui a pour objectif de déterminer les coûts et bénéfices attendus du projet d’investissement envisagé, et d’en demander, le cas échéant, la production pour les projets dont le financement public n’atteint pas le seuil de 100 millions d’euros.

La déclaration à l’inventaire permet également au secrétaire général pour l’investissement d’organiser une contre-expertise systématique pour les projets dont le financement public atteint ce seuil, destinée à valider et, le cas échéant, actualiser les hypothèses du dossier d'évaluation socio-économique, à s'assurer de la pertinence des méthodes utilisées et évaluer les résultats qui en découlent.

La commission relève ensuite qu’en vertu du IV de l’article 3 de ce décret, le dossier d'évaluation socio-économique préalable, le rapport de contre-expertise et l'avis du secrétaire général pour l’investissement correspondant sont transmis au Premier ministre, au ministre concerné et, le cas échéant, au représentant des personnes morales autres que l'État participant au financement du projet et relevant du champ d’application du dispositif. Le VI de ce même article dispose enfin que le ministre ou le représentant de ces personnes morales doit informer le secrétaire général pour l'investissement, dans un délai d'un mois à compter de sa réception, des suites qu'il entend donner à cet avis.

La commission considère qu’il résulte ainsi de l’économie du dispositif organisé par le décret du 23 décembre 2013 que la déclaration d’un projet à l’inventaire est inséparable de l’avis que doit émettre le secrétaire général pour l’investissement sur les projets faisant l’objet d’une contre-expertise ou, pour les autres projets, de sa décision de demander ou non la production de l’entier dossier d’évaluation socio-économique. Elle en déduit que les inventaires sollicités revêtent un caractère préparatoire tant que cet avis ou cette décision n’a pas été prise.

La commission rappelle enfin que les documents préparatoires à une décision administrative sont en principe exclus provisoirement du droit à la communication aussi longtemps que cette décision n’est pas intervenue ou que l'administration n'y a pas manifestement renoncé, à l'expiration d'un délai raisonnable. Compte tenu de la nature des projets visés par le décret du 23 décembre 2013, de leur caractère structurant et pour certains stratégique, la commission estime que leur déclaration à l’inventaire doit être regardée comme perdant son caractère préparatoire à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de leur inscription.

La commission estime par suite que les inventaires sollicités constituent des documents communicables à toute personne en faisant la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, une fois que les déclarations qui y figurent ont perdu leur caractère préparatoire, ce qui est le cas si la décision a été prise ou si l’inscription remonte à plus de cinq années. La commission relève que tel est le cas de la majorité des déclarations de projets figurant dans les inventaires établis depuis l’entrée en vigueur du décret du 23 décembre 2013, objet de la demande.

En troisième lieu, le Premier ministre a précisé à la commission que les inventaires réalisés par le secrétaire général pour l’investissement comprennent une description du projet, l’indication des personnes publiques participant au financement et peut également comporter le montant total du projet, ses valeurs actualisées socio-économiques ou encore les dates prévisionnelles des travaux et de mise en service. La commission estime que ces documents sont communicables après, le cas échéant, occultations relevant des intérêts et secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, en particulier le secret des affaires s’agissant de projets d’entreprises.

Il n’apparaît, en dernier lieu, pas à la commission que la demande de communication des inventaires réalisés par le secrétaire général pour l’investissement ferait peser sur l’autorité saisie une charge excessive, compte tenu du travail d’actualisation déjà mené chaque année pour la remise du rapport public prévu par l’article 4 du décret du 23 décembre 2013.

La commission émet dès lors un avis favorable sur le point 1) de la demande, dans les conditions et sous les réserves qui viennent d’être exposées.

2. En ce qui concerne le point 2) de la demande :

La commission rappelle que les rapports d’inspection, d'audit et autres diagnostics réalisés par ou à la demande de l’autorité responsable du service public revêtent le caractère de documents administratifs communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve, d’une part, qu’ils soient achevés, c'est-à-dire en l'espèce qu’ils aient été remis à leur commanditaire et, d’autre part, qu'ils soient dépourvus de caractère préparatoire.

En l’espèce, le Premier ministre a indiqué que depuis 2013, deux évaluations triennales telles que prévues par l’article 5 du décret du 23 décembre 2013 ont été réalisées par l’inspection générale des finances.

La première de ces évaluations, réalisée en 2016, est disponible à l'adresse https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed…. Cette évaluation ayant fait l’objet d’une diffusion publique au sens de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration, la commission déclare la demande tendant à sa communication irrecevable.

La seconde évaluation a été remise au Premier ministre en septembre 2023 mais n’a en revanche pas encore fait l’objet d’une publication.

La commission émet donc un avis favorable à sa communication de ce rapport et prend note de l'intention exprimée par le Premier ministre de procéder prochainement à sa publication.