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Avis 20243538 - Séance du 19/09/2024
Madame XX, pour le Centre de recherche en psychologie et neurosciences, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 30 avril 2024, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines et de l’architecture à sa demande de consultation et de reproduction, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, des registres des naissances établis pour la période 2016 et à venir, ainsi que des fichiers numériques des actes de naissance, afin d'informer les parents de l'existence et de la possibilité de venir participer aux travaux du laboratoire de recherche dédié à l'étude du développement des bébés et des enfants.
1. Présentation du cadre juridique
En premier lieu, la commission précise que si les actes d’état civil ne revêtent pas le caractère de documents administratifs et ne relèvent pas du droit d’accès organisé par le livre III du code des relations entre le public et l'administration, ils constituent des documents d’archives publiques, au sens de l’article L211-4 du code du patrimoine.
La commission rappelle, en deuxième lieu, que les documents d’archives publiques sont en principe communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation à cet article, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions fixés par l'article L213-2 de ce même code.
La commission indique, en troisième lieu, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
Pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, la commission s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte, d'une part, de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II n° 20050939, du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Dans un avis de partie II n° 20215602 du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n° 422327 et 431026, du 12 juin 2020 précitée, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
2. Application au cas d’espèce
2.1 En ce qui concerne la nécessité d’une autorisation d’accès par dérogation :
Pour ce qui concerne, en premier lieu, la demande portant sur les registres, la commission précise qu’en application du e) du 4° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, les registres de naissance et de mariage de l'état civil ne deviennent librement communicables qu’à l'expiration d'un délai de soixante-quinze ans à compter de leur clôture. Elle rappelle par ailleurs que conformément aux dispositions du code civil et du décret n°2017-890 du 6 mai 2017 relatif à l’état civil, les actes de l’état civil sont établis par les officiers d’état civil sous le contrôle du procureur de la République et que, sauf dispense, les registres dans lesquels ces actes sont tenus doivent être établis en double exemplaire, dont l’un est versé au greffe du tribunal judiciaire.
Ainsi, la consultation et la reproduction sollicitées en l’espèce des registres d’actes de naissance de la ville de Marseille depuis 2016 nécessitent une autorisation d’accès par dérogation sur le fondement de l’article L213-3 du code du patrimoine, auquel renvoie d’ailleurs l’article 26 du décret du 6 mai 2017 précité. Le directeur général des patrimoines et de l’architecture, dont un représentant a été auditionné par la commission, a indiqué que son refus était justifié par le fait que le vice-procureur de la République du tribunal judiciaire de Marseille, dont l’avis est requis par les dispositions de l'article L213-3 du code du patrimoine, s’est prononcé défavorablement sur la demande.
Pour ce qui concerne, en deuxième lieu, la demande portant sur les fichiers numériques, la commission précise que l’article 40 du code civil prévoit la possibilité pour les communes de mettre en œuvre des traitements automatisés de données de l’état civil. Elle comprend que les fichiers numériques élaborés par la ville de Marseille, dans la mesure où ils sont destinés à permettre l’établissement des actes de naissance par les officiers d’état civil, comportent les mêmes mentions que celles présentes sur les registres de naissance. A cet égard, la commission rappelle qu’en vertu de l’article 57 du code civil, l’acte de naissance énonce le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant, les prénoms qui lui sont donnés, le nom de famille, suivi le cas échéant de la mention de la déclaration conjointe de ses parents quant au choix effectué, ainsi que les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant.
La commission relève toutefois que ces fichiers numériques ne sont pas revêtus de la signature de l’officier d’état civil et n’ont pas la force probante d’un acte d’état civil. La commission en déduit que ces documents, outils de travail des services de la mairie de Marseille, ne doivent pas être regardés comme des registres de naissance pour l’application de l’article L213-2 du code du patrimoine. Elle considère qu’ils sont au nombre des documents d’archives publiques dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée énumérés au 3° du I de cet article, qui ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de cinquante ans suivant la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier.
Ainsi, la consultation et la reproduction sollicitées en l’espèce des fichiers élaborés depuis 2016 nécessitent une autorisation par dérogation. Le directeur général des patrimoines et de l’architecture a indiqué que son refus était justifié par le fait que le maire de Marseille, qui est l’autorité dont émanent les documents dont l’avis est requis par les dispositions de l'article L213-3 du code du patrimoine, a opposé un refus implicite à la demande.
2.2 En ce qui concerne la balance des intérêts en présence :
La commission relève que la demande de Madame X s’effectue au nom du centre de recherche en psychologie et neurosciences, unité mixte de recherche associant l’université d’Aix-Marseille et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dans le cadre d’un projet d’études sur le développement des bébés et des jeunes enfants. Afin que le « babylab » puisse disposer de sujets d’études, le centre de recherche souhaite pouvoir accéder aux informations lui permettant de contacter les parents de jeunes enfants, à savoir la date de naissance des enfants, leur nom et prénom ainsi que ceux des parents et l’adresse postale de ces derniers, afin de leur présenter ses travaux et les inviter à y participer.
La commission observe que les études ainsi réalisées, sur la base du volontariat des parents, permettent de mieux connaître le développement cognitif des bébés et des jeunes enfants, recherches dont la finalité scientifique est indéniable et qui bénéficient du soutien financier d’institutions publiques reconnues. Elle note également que ces études sont soumises à l'approbation préalable du comité pour la protection des personnes et sont encadrées par la direction de protection des données du CNRS.
La commission considère, dans ces conditions, que l’intérêt légitime du centre de recherche en psychologie et en neuroscience à consulter et à reproduire les documents sollicités est établi.
Elle constate ensuite que la demande porte sur des documents dont l’échéance de libre communicabilité est lointaine et qui comportent des mentions relevant de la vie privée d’un nombre conséquent de personnes physiques.
Elle observe cependant que le centre de recherche en psychologie et neurosciences a reçu en 2021 l’autorisation de consulter, sans les reproduire, les registres de naissance pour une durée de deux ans, afin de pouvoir mener à bien son projet d’études. Elle relève ensuite que le centre s’est engagé à détruire les fichiers après utilisation et à ne pas relancer les parents, au-delà de la première sollicitation.
Le directeur général des patrimoines et de l’architecture a en outre précisé que d’autres « babylabs » en France bénéficient d’une autorisation de consultation des registres d’état civil pour mener à bien leurs travaux. Il a enfin informé la commission qu’il estimait que le renouvellement de l’autorisation de consultation, sans reproduction, des registres de naissance, d’une part, et l’autorisation de consultation et de reproduction des fichiers numériques comportant le seul nom de l’enfant et l’adresse postale des parents, d’autre part, ne porteraient pas d’atteinte excessive à la protection due à la vie privée des personnes concernées.
Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, compte tenu des motivations de la demande du centre de recherche et de la prise en compte par ce dernier de la sensibilité des informations sollicitées, la commission estime que l’intérêt légitime du demandeur est, en l’espèce, de nature à justifier la consultation et la reproduction des fichiers numériques pour les seules informations nécessaires à la sollicitation des nouveaux parents telles que proposées par les services des archives, sans qu’il soit porté une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi.
Elle considère que cet intérêt légitime est également de nature à justifier, en l’espèce, la consultation des registres d’état civil mais non leur reproduction.
La commission émet, dans cette mesure, un avis favorable à la demande.
À toutes fins utiles, elle rappelle que le centre de recherche en psychologie et neurosciences, en qualité de réutilisateur des données communiquées, devra se conformer à la loi du 6 janvier 1978 et au RGPD dès lors qu'il sera alors regardé comme un responsable de traitement de données à caractère personnel. Il devra notamment s'assurer que l'usage qu'il entend en faire respecte les principes relatifs au traitement de telles données définis par les dispositions de cette loi, les conditions de licéité d'un tel traitement et les droits des personnes concernées, définis respectivement aux articles 5, 6, 7 et au chapitre III du RGPD. La commission prend note avec satisfaction des assurances données à cet égard par le centre de recherche.