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Avis 20244021 - Séance du 18/07/2024
Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 5 juin 2024, à la suite du refus opposé par le président du conseil départemental du Pas-de-Calais à sa demande de communication d'une copie des informations préoccupantes (novembre-décembre 2023) concernant son fils, X X X, né le X.
Après avoir pris connaissance de la réponse du président du conseil départemental, la commission rappelle que la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, établie en application de l'article L226-3 du code de l'action sociale et des familles, a pour objet de recueillir, traiter et évaluer ces informations, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine. Elle rappelle que revêtent un caractère administratif, les documents détenus par l’administration et qui, par leur nature, leur objet ou leur utilisation, se rattachent à l’exécution d’une activité de service public. Elle en déduit que les fiches de recueil d'informations préoccupantes établies au sein de cette cellule constituent bien des documents administratifs. La commission note à cet égard que l'article L226-9 prévoit qu'un service d'accueil téléphonique gratuit concourt, à l'échelon national, à la mission de protection des mineurs en danger. Ce service répond, à tout moment, aux demandes d'information ou de conseil concernant les situations de mineurs en danger ou présumés l'être. Il transmet immédiatement au président du conseil départemental, selon le dispositif mis en place en application de l'article L226-3, les informations qu'il recueille et les appréciations qu'il formule à propos de ces mineurs.
La commission rappelle, ensuite, que les documents élaborés par les services de l'aide sociale à l'enfance avant l'ouverture éventuelle d'une procédure judiciaire ou juridictionnelle, et sans être établis en vue de celle-ci, qu'ils aient ou non été ensuite transmis à l'autorité judiciaire, constituent des documents administratifs, communicables dans les conditions et sous les réserves prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en va ainsi des correspondances entre les services intéressés, des rapports et notes établis pour les besoins de l’administration, des pièces retraçant les échanges entre le président du conseil départemental et les parents du mineur ou les accueillants familiaux (avis n° 20152463 du 10 septembre 2015).
Elle précise que revêtent également un caractère administratif, les rapports d'évaluation sociale établis par les services de l'aide sociale à l'enfance en dehors de toute sollicitation de l'autorité judiciaire, y compris lorsque les services préconisent, en application des dispositions de l'article L226-4 du code de l'action sociale et des familles (CASF), la transmission du dossier au procureur de la République en vue de la saisine du juge des enfants. La commission estime, en effet, que ces rapports ont été élaborés par l'administration dans le cadre de ses missions de service public définies par le code de l'action sociale et des familles et qu'ils n'ont pas été élaborés, à la différence du courrier de transmission lui-même, en vue de la saisine de l'autorité judiciaire, cette transmission résultant d'une obligation légale prévue par l'article L226-4 du CASF lorsque certaines circonstances sont réunies, lesquelles sont révélées par la mission administrative d'évaluation confiée au service de l'aide sociale à l'enfance.
La commission en déduit que lorsque ces documents administratifs ont été transmis au procureur de la République, il appartient à l'autorité administrative saisie d'une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l'être, afin de déterminer, à moins que l'autorité judiciaire compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d'opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité (CE, 21 octobre 2016, n° 380504 ; 30 décembre 2015, n° 372230).
Revêtent, en revanche, un caractère judiciaire, les documents élaborés par les services de l'aide sociale à l'enfance à la demande de l'autorité judiciaire, procureur de la République ou juge des enfants, qu'une procédure judiciaire ait ou non été ouverte, par exemple dans le cadre d'un soit transmis ou du suivi d'une mesure de protection judiciaire. La commission demeure donc incompétente pour en connaître et il appartient au demandeur de s'adresser directement à l'autorité judiciaire.
La commission rappelle ensuite qu'en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, les documents administratifs comportant des informations couvertes par le secret de la vie privée, qui porteraient un jugement de valeur sur un tiers, personne physique nommément désignée ou facilement identifiable, ou feraient apparaître le comportement d'un tiers, autre qu'une personne chargée d'une mission de service public, dès lors que sa révélation serait susceptible de lui porter préjudice (plaintes, dénonciations, etc.), ne peuvent être communiqués qu'à la personne intéressée et, lorsque celle-ci est mineure, à ses parents ou à la personne qui exerce l'autorité parentale.
La commission considère, sur ce fondement, que les signalements, les lettres de plainte ou de dénonciation ainsi que les témoignages adressés à une administration ne sont pas communicables à des tiers, y compris lorsque ceux-ci sont visés par le document en question, dès lors que leur auteur est identifiable. L’identification de l’auteur de ces documents fait en effet apparaître de sa part, lorsqu’il ne s’agit pas d’un agent d’une autorité administrative agissant dans l’exercice de sa compétence, un comportement dont la divulgation pourrait lui porter préjudice. La communication d’un signalement à l’un des parents de l’enfant n’est donc permise par le code des relations entre le public et l’administration que dans le cas où aucune des mentions qu’il comporte n’est susceptible de permettre d’en identifier l’auteur, s’il ne s’agit pas d’un agent d’une autorité administrative agissant dans le cadre de sa mission de service public, et ne met pas en cause la vie privée ou le comportement d’un tiers, y compris l’autre parent.
En outre, les documents qui concernent directement, à un titre ou un autre, un enfant mineur ne sont pas communicables à une autre personne, même si celle-ci en assure la représentation légale, lorsque s’y oppose l’intérêt supérieur de l’enfant, protégé par l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant (cf avis CADA n° 20152463 du 10 septembre 2015). C’est au vu des circonstances propres à chaque situation qu’il convient d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant. Il s’oppose le plus souvent à la communication à ses parents des documents faisant apparaître que l'enfant les met gravement en cause.
En l'espèce, la commission observe que l'information préoccupante en date du 11 décembre 2023 n'a pas été adressée au conseil départemental par une autorité administrative agissant dans l'exercice de sa compétence. Elle constate que des occultations ne permettraient pas, en l'espèce, de rendre impossible l'identification de son auteur, de sorte que sa communication révélerait le comportement de ce dernier, au sens du 3° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. En application des principes qui viennent d'être exposés, la commission considère par suite que ce document n'est pas communicable à Madame X.
Elle observe ensuite que l'information préoccupante en date du 21 décembre 2023 émane en revanche d'une autorité administrative agissant dans l'exercice de sa compétence. La commission estime que ce document est communicable à Madame X après occultation, en application des articles L311-6 et L311-7 du code des relations entre le public et l'administration, de l'adresse du père de l'enfant et de l'ensemble des mentions décrivant son comportement.
La commission émet un avis favorable à la communication de la première information préoccupante, sous les réserves énoncées, et un avis défavorable à la communication de la seconde.