Avis 20245710 - Séance du 31/10/2024

Avis 20245710 - Séance du 31/10/2024

Ministère de l'intérieur

Monsieur X, journaliste, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 20 août 2024, à la suite du refus opposé par le ministre de l'intérieur à sa demande de publication en ligne et mise à jour régulière de la base de données « Traitement relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA) » et « EVENGRAVE » pour l'ensemble des usages des armes des policiers et gendarmes enregistrés.

A titre liminaire, la commission relève que les bases de données « Traitement relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA) » et « EVENGRAVE » permettent, à la police nationale pour l’une et à la gendarmerie nationale pour l’autre, de collecter et d’analyser des informations relatives aux conditions et au contexte de l’usage de tous les types d’armes par un agent des forces de l’ordre. Ces informations sont rassemblées de manière systématique, à chaque fois qu’une arme est utilisée, dans TSUA alors qu’elles ne sont collectées que lorsque l’utilisation de l’arme génère le décès ou la blessure d’un tiers ou d’un agent de la gendarmerie pour EVENGRAVE.

La commission rappelle qu’elle s’est prononcée sur une précédente demande de Monsieur X portant sur la publication en ligne des données relatives aux pistolets à impulsion électrique contenues dans les bases de données TSUA et EVENGRAVE dans un avis n° 20223593 du 21 juillet 2022. La commission analyse, dans ces conditions, la présente demande de Monsieur X comme portant sur les données relatives à l’ensemble des armes contenues dans les deux fichiers TSUA et EVENGRAVE, à l’exception de celles relatives aux pistolets à impulsion électrique.

En premier lieu, aux termes de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, les administrations sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le livre III de ce code. Ce droit doit toutefois s’exercer dans le respect des intérêts protégés par les articles L311-5 et L311-6 du même code.

La commission rappelle que ne sont pas communicables en application des dispositions du d) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration, les mentions ou documents dont la communication porterait atteinte à la sûreté de l’État, la sécurité publique ou la sécurité des personnes.

L’article L311-6 dispose par ailleurs que ne sont communicables qu'à la personne intéressée, c'est-à-dire la personne que le document concerne directement, les documents : « 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical ; (…) ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. »

La commission rappelle enfin que les informations médicales, si elles mentionnent le nom du patient ou permettent d'identifier celui-ci, ne sont communicables qu’aux médecins chargés du patient, à l’intéressé ou à la personne qu’il a dûment mandatée.

En application de ces principes, la commission a relevé dans son avis n° 20223593 du 21 juillet 2022 que la seule occultation de l’identité des agents de police ne constitue pas une garantie suffisante de la protection des secrets protégés. En effet, le détail des données n’exclut pas, par un recoupement d’informations, de les ré-identifier et ne garantit donc pas leur anonymat. Une vigilance particulière s’impose également en vue de garantir l’anonymat parfait des personnes blessées.

La commission a dès lors considéré que les données suivantes ne pouvaient faire l’objet d’une communication par publication en ligne :
- les données relatives à l'agent utilisateur et, le cas échéant, à celui qui déclare un ou plusieurs usages d'arme pour son compte ;
- les données concernant l'autorité hiérarchique habilitée à viser la déclaration enregistrée dans le traitement et, le cas échéant, à la supprimer ;
- les données concernant les éventuelles suites apparentes de l'usage de l'arme ;
- les données concernant les suites possibles de l'usage de l'arme.

Elle a, en revanche, estimé, d’une part, que la divulgation des données relatives au niveau de formation de l'agent à l'usage de l'arme n’est pas de nature à porter atteinte à la vie privée des agents intéressés.

Elle a considéré, d’autre part, que les données concernant l'arme ou les armes utilisées et leurs munitions n’entrent pas dans le champ des mentions précises dont la communication porterait atteinte à la sûreté de l’État, la sécurité publique ou la sécurité des personnes en application des dispositions du d) du 2° de l’article L311-5 de ce code, en étant de nature à compromettre l'ordre public, par exemple en obérant l'efficacité de la mise en œuvre, sur le terrain, des dispositions légales permettant l'emploi de la force.

Elle a précisé qu’il en allait de même, parmi les données relatives aux conditions et au contexte de l'usage de l'arme, du mode d’intervention ainsi que, le cas échéant, de certains éléments contextuels, à condition que la précision de ces variables (périmètre géographique et temporel) ne constitue pas un risque de rupture de l’anonymat des personnes intéressées.

La commission a ainsi émis un avis favorable à la publication en ligne de ces données, sous réserve du respect des conditions posées à l’article L312-1-2 du même code.

En l’espèce, la commission estime que les données relatives à l’usage de l’ensemble des armes issues des traitements TSUA et EVENGRAVE sont communicables à toute personne en faisant la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, et publiables en ligne dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles relatives à l’usage des seuls pistolets à impulsion électrique. Elle considère toutefois qu’il y a lieu, eu égard au volume de la présente demande, d’occulter les champs relatifs aux conditions et au contexte de l’usage de l’arme, qui sont susceptibles de contenir des mentions non communicables.

En second lieu, en réponse à la demande qui leur a été adressée, le directeur général de la police nationale et le directeur général de la gendarmerie nationale ont toutefois indiqué que l’administration ne disposait d’aucun traitement d’usage courant permettant d’extraire les données sollicitées communicables, et que, dans ces conditions, la satisfaction de la demande de Monsieur X ferait peser sur elle une charge de travail déraisonnable.

A cet égard, la commission rappelle, que le livre III du code des relations entre le public et l'administration ne fait pas obligation aux autorités administratives de répondre aux demandes de renseignements qui leur sont adressées, ni d'élaborer un document nouveau en vue de procurer les renseignements ou l'information souhaités (CE, 30 janvier 1995, n° 128797 ; CE, 22 mai 1995, n° 152393).

En revanche, la commission considère de manière constante que sont des documents administratifs existants au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, ceux qui sont susceptibles d'être obtenus par un traitement automatisé d'usage courant. Il résulte en effet de la jurisprudence du Conseil d'État que constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions les documents qui peuvent être établis par simple extraction des bases de données dont l'administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable, laquelle doit être appréciée de façon objective, notamment en l’obligeant soit à modifier l’organisation d’une base de données, soit à développer des outils de recherche ou à modifier ceux actuellement à sa disposition (CE, 13 novembre 2020, n° 432832, en B ; CE 17 juin 2024, n°470620), en B.)

Or, la commission constate que, dans un jugement n° 2222854 du 12 juillet 2024 le tribunal administratif de Paris s’est prononcé sur le refus, par le ministre de l’intérieur, de communiquer à Monsieur X les données relatives à l’utilisation des pistolets à impulsion électrique, après avoir ordonné, dans un jugement avant dire droit du 30 juin 2023, un supplément d’instruction destiné à comprendre la manière dont les données sont stockées dans les deux fichiers TSUA et EVENGRAVE. Le tribunal a jugé que l’administration était en mesure de procéder à l’extraction des données communicables par un traitement automatisé d’usage courant excluant globalement les champs susceptibles de contenir des informations non communicables, à savoir, pour le TSUA, les matricule et identité du tireur, adresse de l’évènement, contenu du rapport en texte libre et matricule des utilisateurs ayant réalisé les actions de validation et de visa hiérarchique des comptes rendus d’utilisation et, pour EVENGRAVE, les lieu des faits à l’exclusion du département, exposé des faits en texte libre, matricule et nom des personnels de la gendarmerie impliqués, nom et adresse des tiers impliqués et nom des rédacteurs et valideurs de la fiche d’information. Cette extraction ne faisant pas peser sur les services une charge de travail déraisonnable, le tribunal a ainsi enjoint au ministre de communiquer à Monsieur X les données sollicitées, dans cette mesure et selon ces modalités.

Prenant acte du jugement du tribunal administratif de Paris, la commission considère que le ministre de l’intérieur est en mesure d’extraire des deux fichiers TSUA et EVENGRAVE, par un traitement automatisé d’usage courant, les données sollicitées par Monsieur X relatives à l’usage de l’ensemble des autres armes. Elle relève également que les modalités retenues par le jugement permettent d’exclure que la demande fasse peser une charge de travail déraisonnable sur les services du ministre de l’intérieur (CE, 27 septembre 2022, n° 452614). Elle émet ainsi un avis favorable à la demande sur ce point.

En revanche, la commission rappelle que le livre III du code des relations entre le public et l’administration garantit un droit d’accès aux documents existants ou susceptibles d’être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant mais ne permet pas aux demandeurs d’exiger pour l’avenir qu’ils soient rendus systématiquement destinataires de documents au fur et à mesure de leur élaboration. Elle déclare donc irrecevable la demande en tant qu'elle porte sur la mise à jour de l’extraction sollicitée.

En définitive, la commission estime que sont communicables au demandeur les données relatives à l’usage de l’ensemble des armes issues des traitements TSUA et EVENGRAVE, sous les réserves précédemment mentionnées. Elle émet donc un avis favorable à la demande dans cette mesure.