Avis 20246476 - Séance du 13/02/2025
Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 20 septembre 2024, à la suite du refus opposé par le secrétaire perpétuel de l'Académie française à sa demande de communication, par voie électronique, de la base de données du dictionnaire, afin de mener, dans le cadre d’un mémoire de master 2 en humanités numériques et lettres modernes, l’analyse des différents niveaux de langue entre les différentes éditions du dictionnaire de l’Académie française.
Après avoir pris connaissance de la réponse du secrétaire perpétuel de l'Académie française, la commission rappelle, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du livre III de ce code, « quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission ». Selon l’article L311-1 du même code : « Sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6, les autorités mentionnées à l'article L300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande (...) ».
La commission relève qu’aux termes des articles 35 et 36 de la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche, l'Académie française est une personne morale de droit public à statut particulier placée sous la protection du Président de la République, qui s’administre librement et bénéficie de l'autonomie financière sous le seul contrôle de la Cour des comptes. Ces articles disposent que l’Institut de France et les académies qui le composent, dont l’Académie française, « ont pour mission de contribuer à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des lettres, des sciences et des arts ». Les statuts de l’Académie française prévoient également que sa principale fonction est « de travailler avec tout le soin et toute la diligence possible à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences » et que pour mener à bien sa mission, l’Académie française doit composer un dictionnaire.
La commission a déduit de ces dispositions que le dictionnaire élaboré par l’Académie française, personne publique, dans le cadre et pour les besoins de sa mission de service public, constitue un document administratif dont le régime de communication est défini par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration (avis de partie II n°20185632 18 juillet 2019).
Elle observe ensuite que l’Académie française met en ligne, sur son site www.dictionnaire-academie.fr, un portail numérique qui permet de consulter la définition d’un mot dans les neuf éditions achevées du dictionnaire et d’interroger ce corpus par différents critères de recherche. La commission comprend que ces fonctionnalités reposent sur une base de données rassemblant le contenu des éditions successives du dictionnaire depuis 1694 et que certaines de ces données sont encodées ou balisées pour permettre les recherches.
La commission estime que cette base de données est également détenue par l’Académie française dans le cadre et pour les besoins de sa mission de service public et qu’elle présente dès lors le caractère d’un document administratif au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.
En deuxième lieu, la commission précise qu’en application du quatrième alinéa de l'article L311-2 de ce même code, le droit à communication des documents administratifs ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique. Elle souligne que seule une mise en ligne, par l'administration ou sous son contrôle, et dans des conditions permettant d'en garantir la pérennité, d'un document administratif dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé dès lors qu'elle en dispose déjà ou qu'elle est susceptible d'en disposer à l'issue d'une opération de transfert, de conversion ou de reproduction courante, peut être regardée comme une diffusion publique au sens du quatrième alinéa de l'article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration (avis n° 20191393 du 17 octobre 2019 ; CE, 27 septembre 2022, n° 450739).
La commission constate que le contenu des différentes éditions du dictionnaire de l’Académie française n’est accessible sur le site www.dictionnaire-academie.fr que par le biais d’un moteur de recherche, qui permet à l’internaute d’interroger la base de données à partir de certains critères de recherche et d’obtenir un nombre de résultats limité par le site. Elle rappelle par ailleurs que, dans son avis du 18 juillet 2019 déjà cité, elle a considéré que ni la publication papier de la huitième édition du dictionnaire ni la possibilité d’accès par ce moteur de recherche ne permettent de considérer que cet ouvrage fait l’objet d’une diffusion publique au sens de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration. Elle observe en outre que si les huit premières éditions du dictionnaire sont accessibles sur le portail Gallica de la Bibliothèque nationale de France, cette mise à disposition, sous la forme d’un fichier-image numérisé, ne constitue pas une mise en ligne, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, du contenu de ces ouvrages. La commission constate ainsi que le contenu des éditions successives du dictionnaire ne fait pas lui-même déjà l’objet d’une diffusion publique au sens de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration. Tel n’est pas davantage le cas de la base de données élaborée par l’Académie française rassemblant et organisant ce contenu et y associant des informations d’encodage ou de balisage. La demande tendant à la communication de cette base de données est ainsi recevable.
En troisième lieu, la commission rappelle qu’en vertu de l'article L311-4 du code des relations entre le public et l'administration : « Les documents administratifs sont communiqués ou publiés sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ». Dans sa décision du 8 novembre 2017 n° 375704, le Conseil d’État a jugé que cette disposition implique, avant de procéder à la communication de documents administratifs grevés de droits d’auteur n'ayant pas déjà fait l'objet d'une divulgation au sens de l'article L121-2 du code de la propriété intellectuelle, de recueillir l'accord de leur auteur. Il en résulte que lorsqu’un tiers détient des droits de propriété intellectuelle sur un document administratif en possession de l'administration, cette dernière doit solliciter son autorisation avant de procéder à la communication du document (conseil de partie II n° 20180226 du 17 mai 2018).
D’une part, dans son avis du 18 juillet 2019 déjà cité, la commission a constaté que le dictionnaire de l’Académie française constitue une œuvre de l’esprit au sens de l'article L112-1 du code de la propriété intellectuelle, plus précisément une œuvre collective dont le régime, au regard de la protection des droits d’auteur, est défini par les articles L113-2 et L113-5 de ce code. La commission relève qu’aux termes de ce dernier article, l’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée et qui est investie des droits de l’auteur. Elle en déduit que seule l’Académie française est investie des droits de propriété intellectuelle sur cette œuvre. Elle ajoute que les huit premières éditions sont par ailleurs aujourd’hui libres de droits et que toutes ont fait l’objet d’une divulgation au sens de l’article L121-2 du code de la propriété intellectuelle.
D’autre part, à supposer que la base de données objet de la demande soit elle-même protégée par des droits d’auteur ou des droits des producteurs de bases de données au sens des articles L341-1 et suivants du même code, la commission comprend que l’Académie française serait également la personne investie de ces droits.
Par conséquent, en l’état des informations portées à sa connaissance, la commission considère qu’aucun droit d’auteur ni de producteur de base de données détenu par un tiers ne fait obstacle à la communication de la base de données sollicitée.
Pour ce qui concerne par ailleurs les modalités de communication, la commission rappelle qu'en vertu de l'article L311-9 de ce code, l'accès aux documents administratifs s'exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l'administration, soit par consultation gratuite sur place, soit par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique, soit, sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d'une copie sur un support identique à celui utilisé par l'administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction et de l’envoi du document, soit par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu'à l'intéressé en application de l'article L311-6 du même code.
En l'espèce, la commission comprend que Monsieur X, afin d’être en mesure de procéder aux recherches nécessaires à son travail universitaire, souhaite accéder à une version électronique de la base de données détenue par l’Académie française.
Au bénéfice de ces développements, la commission considère que cette base de données constitue un document administratif communicable à toute personne en faisant la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration. Sauf à ce que les parties conviennent d’autres modalités d’accès, telles que, par exemple, l’accès à la version informatique de la base de données via un mot de passe temporaire, la commission émet par conséquent un avis favorable à la communication, dans un format électronique, de ce document à Monsieur X.
A toutes fins utiles, la commission précise enfin que cette base de données doit également être regardée comme comprenant des informations publiques, au sens des articles L321-1 et L321-2 du code des relations entre le public et l'administration, susceptibles d’être réutilisées à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus par toute personne qui le souhaite. La commission indique que l’Académie française serait fondée à rappeler au demandeur que, s’il souhaite réutiliser les informations publiques figurant dans cette base de données, il devra se conformer aux règles générales fixées par les articles L322-1 et L322-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il serait également loisible à l’Académie française de soumettre la réutilisation à l’établissement d’une licence, dans les conditions prévues par les articles L323-1 et suivants du même code.