Avis 20247793 - Séance du 09/01/2025

Avis 20247793 - Séance du 09/01/2025

Chambre régionale des commissaires de justice de la Cour d’Appel de Paris

Maître X, conseil de X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 8 novembre 2024, à la suite du refus opposé par le président de la chambre régionale des commissaires de justice de la cour d’appel de Paris à sa demande de communication, par courrier électronique ou le cas échéant par courrier postal, des documents suivants :
1) la proposition rectifiée de composition du service d’enquête émanant de la chambre régionale des commissaires de justice de la cour d’appel de Paris en date du 13 janvier 2023 telle que visée dans la décision du procureur général près la cour d’appel de Paris en date du 20 janvier 2023 portant agrément des membres du service d’enquête placé auprès de la chambre de discipline des commissaires de justice de Paris, et telle que prévue à l’article 15 du décret n°2022-900 du 17 juin 2022 ;
2) la proposition initiale de composition du service d’enquête émanant de la chambre régionale des commissaires de justice de la cour d’appel de Paris, antérieure à celle du 13 janvier 2023 ;
3) tout document et échange en lien avec l’une ou l’autre des propositions susvisées de composition du service d’enquête.

En l’absence de réponse du président de la chambre régionale des commissaires de justice de la cour d’appel de Paris à la date de sa séance, la commission rappelle, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission (...) ». Selon l’article L311-1 du même code : « Sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6, les autorités mentionnées à l'article L300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande (...) ».

La commission relève que l’article 14 de l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice dispose que les chambres régionales ou interrégionales des commissaires de justice sont des établissements d’utilité publique. En vertu de l’article 15 de la même ordonnance, ces chambres ont notamment pour attribution de représenter l’ensemble des commissaires de justice de leur ressort en ce qui concerne leurs droits et intérêts communs, de veiller au respect des lois et règlements par les commissaires de justice, de prévenir, concilier et arbitrer les différends d'ordre professionnel entre les commissaires de justice et de trancher ces litiges en cas de non-conciliation, de vérifier la tenue de la comptabilité ainsi que le fonctionnement et l'organisation des études, d’examiner toutes réclamations contre les commissaires de justice à l'occasion de l'exercice de leur profession, notamment en ce qui concerne la taxe des frais, et de saisir, d'office ou sur plainte de tiers, la chambre de discipline.

La commission considère que les chambres régionales ou interrégionales des commissaires de justice sont ainsi chargées de missions de service public. Les documents qu'elles détiennent ou élaborent dans le cadre de ces missions revêtent donc le caractère de documents administratifs, au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, et sont à ce titre soumis au droit d'accès institué par ce même code.

Cependant, la commission précise que les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle ne présentent pas un caractère administratif et n'entrent donc pas dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l’administration. Il en va ainsi, notamment des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, des décisions du parquet, des dossiers d'instruction, des procès-verbaux d'audition, des rapports d'expertise ou des mémoires et observations des parties - c'est à dire de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites - mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 28 avril 1993, n° 117480). Ainsi, les documents, quelle que soit leur nature, qui sont détenus par les juridictions et qui se rattachent à la fonction de juger dont elles sont investies, n’ont pas le caractère de document administratif au sens du livre III du code des relations entre le public et l'administration (CE, 7 mai 2010, n° 303168).

A cet égard, la commission souligne que dans une décision n° 474435 du 19 novembre 2024, le Conseil d’État a jugé que les documents qui conduisent à la saisine des instances disciplinaires des avocats, qui constituent des organes juridictionnels, et ceux qui sont établis au cours de la procédure disciplinaire proprement dite, se rattachent à la fonction juridictionnelle et n’ont, dès lors, pas le caractère de documents administratifs, sans qu’ait d’incidence à cet égard le fait que le bâtonnier décide ou non de saisir l’instance disciplinaire.

Pour ce qui concerne la discipline des commissaires de justice, la commission constate que les articles 7 et suivants de l'ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels ont institué une procédure particulière, confiée, en application de l'article 11, à des chambres de discipline, instituées auprès des instances professionnelles régionales ou interrégionales et, en appel, à une cour nationale de discipline, dont les arrêts peuvent eux-mêmes faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation.

La procédure ainsi organisée étant de nature juridictionnelle, la commission en déduit que les documents produits ou reçus par l’autorité disciplinaire au cours de cette procédure, quelle qu’en soit sa phase, se rattachent à la fonction juridictionnelle et n’ont pas le caractère de documents administratifs (rappr., pour ce qui concerne la discipline des notaires, avis n° 20247168 du 12 décembre 2024). Elle souligne qu’il en est de même pour les documents produits ou reçus dans le cadre de la phase préliminaire à la procédure disciplinaire proprement dite, quand bien même cette dernière ne serait pas diligentée in fine.

En deuxième lieu, la commission relève qu’en vertu de l’article 10 de l’ordonnance du 13 avril 2022 déjà citée, est institué auprès de chaque juridiction disciplinaire de premier ressort un service chargé de réaliser les enquêtes sur les agissements susceptibles de constituer un manquement disciplinaire. Ce service peut être saisi par le président de la chambre régionale ou interrégionale, le président de la Chambre nationale (II et III de l’article 24 de la même ordonnance), le procureur de la République ou la chambre de discipline.

En vertu des articles 19 à 26 du décret n° 2022-900 du 17 juin 2022 relatif à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels, ce service peut procéder à toute mesure d’instruction nécessaire pour son enquête, qui se déroule sur pièces et sur place dans les locaux professionnels de la personne visée. A l'issue de son enquête, le service d'enquête remet à l'autorité qui l'a saisi un rapport comportant un exposé objectif des faits, des pièces du dossier et des actes d'instruction accomplis et dont les conclusions mettent en évidence, le cas échéant, les faits susceptibles d'être qualifiés disciplinairement.

L’article 15 du même décret prévoit que les enquêteurs de ce service, membres de la profession et, le cas échéant, experts-comptables et commissaires aux comptes, sont agréés par le procureur général du siège de la juridiction, sur proposition de la chambre régionale ou interrégionale des commissaires de justice.

Pour l’application des principes qui ont été rappelés plus haut, la commission observe d’abord que les membres du service d’enquête, qui ne peuvent pas siéger au sein des juridictions disciplinaires ainsi qu’en dispose l’article 10 de l’ordonnance du 13 avril 2022, ne prennent pas part au jugement des affaires. Elle relève ensuite que ce service est constitué de manière pérenne pour l’accomplissement des missions définies par cette ordonnance et le décret du 17 juin 2002, non pour les besoins d’une procédure disciplinaire déterminée.

Elle en déduit que les documents relatifs à la désignation et l’agrément des membres de ce service, qui ne sont pas élaborés dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, présentent le caractère de documents administratifs soumis au droit d’accès organisé par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.

En troisième lieu, la commission constate qu’en l’espèce, le procureur de la République a prononcé l’agrément des membres du service d’enquête placé auprès de chambre de discipline des commissaires de justice de Paris par une décision du 20 janvier 2023, de sorte que les documents préalables à cet agrément ont perdu tout caractère préparatoire.

Dès lors, ces documents sont en principe communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration.
La commission précise toutefois qu’aux termes de l'article L311-6 de ce code : « Ne sont communicables qu’à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (…) ; 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable (…) ».

La commission indique à cet égard que les coordonnées téléphoniques et adresses de messagerie de personnes physiques sont couvertes par la protection due à la vie privée et ne sont en conséquence pas communicables à un tiers. Elle estime également que la communication à un tiers de documents concernant des personnes non retenues à un processus de sélection administrative révélerait une appréciation ou un jugement de valeur sur des personnes physiques nommément désignées et porterait atteinte à la protection de la vie privée des intéressés. Ces documents ne sont donc communicables, sur le fondement du droit d’accès aux documents administratifs, qu'à chaque personne intéressée, pour ce qui la concerne.

La commission ajoute qu’en vertu de l’article L311-7 du code des relations entre le public et l'administration, lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L311-5 et L311-6 du même code mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. L’administration n’est fondée à refuser la communication d'un document dans son entier que lorsque l’occultation partielle priverait ce document de son intelligibilité (CE, 25 mai 1990, n°86546) ou de son sens (CE, 4 janvier 1995, n° 117750), ou la communication de tout intérêt (CE, 26 mai 2014, n° 342339).

Par conséquent, la commission considère que les documents sollicités, dont elle n’a pas pu prendre connaissance, sont communicables à toute personne en faisant la demande sous réserve de l’occultation préalable, le cas échéant, des mentions protégées au titre de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

Elle émet, sous cette réserve, un avis favorable à la demande.