Avis 20248341 - Séance du 17/04/2025

Avis 20248341 - Séance du 17/04/2025

Direction générale des patrimoines et de l'architecture

Monsieur X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 10 décembre 2024, à la suite du refus opposé par le directeur général des patrimoines et de l'architecture à sa demande de communication, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, des copies numériques conservées par les Archives nationales des documents produits dans le cadre du Grand débat national relatifs aux communes de Viry-Chatillon, Jusivy-sur-Orge, Savigny-sur-Orge, Athis-Mons, Paray-Vieille-Poste, Grigny, Saint-Germain-lès-Arpajon.

La commission rappelle, en premier lieu, qu'à l’initiative du Président de la République, le Gouvernement a engagé, du 15 janvier au 15 mars 2019, un grand débat national portant sur la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de l’État et des services publics, la transition écologique, la démocratie et la citoyenneté, afin de nourrir les réflexions sur l’action du Gouvernement et du Parlement, ainsi que les positions de la France au niveau européen et international.

A cette occasion, les maires ont ouvert des « cahiers citoyens » ou « cahiers de doléances » que toute personne se présentant en mairie avait la possibilité de renseigner. Des contributions volontaires leur ont en outre été spontanément adressées, sous forme de courriers papier et électroniques.

Dans son conseil de partie II n° 20190906 du 18 avril 2019, émis alors que le grand débat venait de se terminer, la commission a estimé que les cahiers citoyens revêtaient le caractère de documents administratifs librement communicables, y compris la mention des nom, prénom et coordonnées personnelles des contributeurs, en tant qu’ils contiennent des observations résultant d’interventions volontaires formulées dans le cadre d’un débat public par des personnes ayant de ce fait renoncé à ce qu’elles soient couvertes par le secret de la vie privée. Elle a considéré, par ailleurs, que les contributions émises sous la forme de courriers adressés directement aux maires étaient en revanche couvertes par le secret de la vie privée, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

La commission relève, en deuxième lieu, que les cahiers citoyens, remis aux archives départementales et dont une copie numérique a été transmise aux Archives nationales, constituent un document d’archives publiques au sens de l’article L211-4 du code du patrimoine. Elle rappelle qu’en application du 3° du I de l’article L213-2 de ce code, les documents dont la communication porte atteinte au secret de la vie privée, ainsi que ceux qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou qui font apparaître le comportement d’une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice, ne deviennent librement communicables qu’à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier.

La commission précise, en troisième lieu, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut cependant être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, en l’espèce, la Secrétaire générale du Gouvernement, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.

La commission comprend des éléments d’information portés à sa connaissance que l’identification des différentes catégories de documents produits dans le cadre du grand débat national est, dans la pratique, difficile voire impossible à réaliser. Elle observe en effet que certaines contributions libres adressées notamment aux maires ont été annexées aux cahiers citoyens, sans qu’aucun élément ne permette de distinguer les cahiers proprement dit de ces contributions, tandis que d’autres courriers et courriels, adressés à différentes autorités administratives, n’ont pas été annexés aux cahiers. Ces documents comportent des mentions protégées au titre du 3° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine, ce qui rend la copie numérique de l’ensemble de ces documents librement communicable après 2069. Dans ces conditions, la commission relève que, pour consulter les documents issus du grand débat national, l’instruction d’une demande de consultation par anticipation aux délais prévus par l’article L213-2 du code du patrimoine, fondée sur l’article L213-3, s’impose.

Pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, la commission s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.

Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II n° 20050939 du 31 mars 2005), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.

Dans un avis de partie II n° 20215602 du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.

En l’espèce, la commission observe que le refus opposé par le directeur général des patrimoines et de l’architecture à la demande d’accès anticipé de Monsieur X est motivé par l’avis défavorable de la secrétaire générale du Gouvernement, qui a estimé que la consultation anticipée des documents demandés porterait une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi et que le demandeur ne justifiait pas d’un « intérêt légitime particulier » pour les consulter.

Il est vrai que la consultation de ces documents est susceptible de révéler certaines informations sensibles figurant dans les contributions libres adressées par les citoyens, qui sont protégées par le 3° du I de l’article L213-2 du code du patrimoine et dont l’échéance de libre communicabilité est encore lointaine. La commission observe ensuite que l’administration est dans l’incapacité matérielle d’identifier et de disjoindre ces éléments protégés des cahiers citoyens eux-mêmes, qui sont librement communicables.

La commission relève toutefois que le Gouvernement s’était initialement engagé à rendre publiques l’ensemble des contributions issues du grand débat national, dans une version anonymisée. Elle observe que le grand débat national a permis aux contributeurs de s’exprimer librement par écrit sur quatre grands sujets fixés par le président de la République ainsi que sur tous les sujets de leur choix, à l’occasion d’un processus de démocratie participative unique sous la Vème République.

La commission constate également que les députés ont adopté, le 11 mars 2025, une résolution à l’unanimité appelant le Gouvernement à faciliter la diffusion des cahiers citoyens, que ce dernier a accueilli favorablement en s’engageant, par la procédure dite de « dérogation générale », à ouvrir de manière anticipée à toute personne qui en fait la demande l’accès aux cahiers citoyens numérisés conservés aux Archives nationales, en application du II de l’article L213-3 du code du patrimoine.

La commission note par ailleurs que les documents issus du grand débat national ont déjà fait l’objet de plusieurs demandes d’accès anticipé par dérogation aux délais prévus par l’article L213-3 du code du patrimoine ayant reçu une suite favorable. Elle rappelle que, dans un avis de partie II n° 20215856 du 13 janvier 2022, elle a émis un avis favorable à la demande d’un journaliste de communication, par anticipation, d’une reproduction des fichiers numériques de l’ensemble des archives numérisées de ce grand débat.

La commission constate également que Monsieur X a la qualité d’élu de la commune de Viry-Châtillon, qu’il demande la consultation des documents issus du grand débat relatifs à cette commune et aux communes alentour afin de mener une analyse politique de ce territoire et que la consultation de ces documents est de nature à contribuer à l’enrichissement du débat public et à nourrir son action d’élu local.

Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime eu égard, d’une part, à l’objet et à la nature des documents demandés, à l’intérêt intrinsèque des informations contenues dans ces cahiers, ces derniers étant initialement supposés être rendus publics et traduisant les préoccupations et inquiétudes des contributeurs sur l’ensemble du territoire, et au contexte dans lequel ces éléments ont été recueillis, c’est-à-dire à l’occasion d’un débat public national, d’autre part, à la qualité du demandeur, à l’intérêt de sa démarche et à l’engagement qu’il a pris de ne pas porter atteinte à des droits et intérêts protégés par la loi tels que le secret de la vie privée, que l’intérêt légitime de Monsieur X est de nature à justifier la consultation des documents demandés, sans que soit portée une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger.

La commission émet, dès lors, un avis favorable à la demande de Monsieur X.

La commission précise enfin que Monsieur X, s’il entend réutiliser les informations contenues dans les documents consultés, devra se conformer aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD). Il devra notamment s'assurer que l'usage qu'il entend faire de ces informations respecte les principes relatifs au traitement des données à caractère personnel, les conditions de licéité d'un tel traitement et les droits des personnes concernées, définis respectivement aux articles 5, 6, 7 et au chapitre III du RGPD. La commission insiste sur la nécessité de prendre l’ensemble des mesures appropriées pour protéger les droits et libertés ainsi que les intérêts légitimes des personnes concernées.