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Avis 20250569 - Séance du 06/03/2025
Maître X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par un courriel du 17 janvier 2025, à la suite du refus opposé par le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord à sa demande de communication, par courrier électronique, des documents suivants relatifs au naufrage survenu dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021 au large des côtes françaises :
1) l’ensemble des enregistrements des communications entre le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Gris-Nez et les migrants ayant fait naufrage le 24 novembre 2021, notamment les appels de détresse ;
2) les discussions entre le CROSS Gris-Nez et les migrants s’étant également déroulées par l’intermédiaire de la messagerie WhatsApp, la retranscription des discussions intervenues ;
3) l’ensemble des échanges intervenus entre le CROSS Gris-Nez et le tanker Concerto le 24 novembre 2021 s’agissant du naufrage précité, en ce compris le cas échéant les enregistrements des communications ;
4) les mains courantes tenues par le CROSS Gris-Nez s’agissant de ce naufrage ;
5) tout rapport de l’opération menée par le CROSS Gris-Nez s’agissant de ce naufrage ;
6) l’ensemble des ordres de service émis par le CROSS Gris-Nez, la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord ou s’imposant à ces derniers en matière de sauvetage en mer de personnes migrantes dans la Manche.
En l’absence d’observations du préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, la commission rappelle qu'aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, (…), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission ». Elle considère que tout ensemble cohérent d’informations, quels que soient sa forme et son support, répond à la définition d’un document administratif au sens de ces dispositions. Il peut ainsi s’agir, notamment, d'enregistrements, de communications audio et de messages électroniques.
Selon l’article L311-1 du même code : « Sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6, les autorités mentionnées à l'article L300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande (...) ». La commission rappelle en particulier que les dispositions du f) du 2° de l'article L311-5 font obstacle à la communication de documents dans l'hypothèse où celle-ci est de nature à porter atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ».
Elle souligne à cet égard que la seule circonstance qu'un document administratif se rapporte à une procédure en cours devant une juridiction de l'ordre judiciaire ou administratif ne saurait par elle-même faire obstacle à sa communication sur le fondement du droit d'accès aux documents administratifs, et ce même s’il a été transmis à l’autorité judiciaire et coté au dossier d’instruction (CE, 5 mai 2008, n° 309518) et même si la communication du document serait de nature à affecter les intérêts d'une partie à la procédure (CE, 16 avril 2012, n° 320571), qu'il s'agisse d'une personne publique ou de toute autre personne. Ce n’est, en effet, que dans l’hypothèse où cette communication risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives de la juridiction que la communication d'un document administratif peut être refusée en application du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Tel peut être le cas lorsque la communication est de nature à porter atteinte au déroulement de l’instruction, entrave ou complique l'office du juge ou encore retarde le jugement d'une affaire (conseil n° 20092608 du 18 juillet 2009).
Lorsqu’un document administratif a été transmis à une juridiction, il appartient à l’autorité saisie d’une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l’être, afin de déterminer, à moins que la juridiction compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d’opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité (CE, 30 décembre 2015, n° 372230 et CE, 21 octobre 2016, n° 380504).
En l'espèce, la commission relève que les documents mentionnés aux points 1) à 5) concernent le naufrage dans la Manche de vingt-sept personnes migrantes dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021. Elle observe qu’une information judiciaire a été ouverte sur réquisitoire du parquet et placée sous l’autorité de trois juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris pour déterminer d’éventuelles responsabilités dans ce drame. Les demandeurs, qui sont des membres de famille des personnes décédées ainsi qu’un rescapé, ont le statut de partie civile dans cette instruction judiciaire, au cours de laquelle plusieurs personnes ont été mises en examen dont des agents du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Gris-Nez.
La commission constate que l’avocat des demandeurs a sollicité du procureur de la République, sur le fondement de l’article R170 du code de procédure pénale, l’autorisation d’utiliser certaines pièces de la procédure d’instruction en cours, dans le cadre d’une action en responsabilité de l’État devant le juge administratif. Cette autorisation lui a été refusée le 17 juillet 2023 par le parquet du tribunal judiciaire de Paris et ce refus a été confirmé par une ordonnance du 3 octobre 2023 du président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. La commission remarque que cette ordonnance se fonde sur trois motifs : l’absence de motif légitime dès lors que la réalité de la saisine du juge administratif n’est pas établie, l’atteinte à la présomption d’innocence et l’atteinte à l’efficacité de l’enquête en cours.
Dans ces circonstances très particulières, la commission estime que la communication de documents qui ont été versés au dossier de l’instruction est, en l’espèce, de nature à porter atteinte, à ce stade, au déroulement de la procédure pénale en cours, ainsi que l’a fait valoir la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à cette communication.
En ce qui concerne les documents sollicités au point 6), la commission comprend qu’ils concernent des instructions générales données ou émises par le CROSS ou la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord, en matière de sauvetage en mer de personnes migrantes. Elle considère que ces documents sont sans lien avec la procédure pénale en cours et qu’ils sont communicables en principe à toute personne qui en fait la demande s’ils existent. Elle émet donc un avis favorable à ce point de la demande.