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Avis 20250653 - Séance du 27/03/2025
Maître X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 24 janvier 2025, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice à sa demande de communication, par courrier électronique, d'une copie numérique des images vidéo de la coursive devant la cellule de son client, incarcéré au sein de la maison centrale de Moulins Yzeure, le 16 décembre 2024 au moment de la remise du repas du soir.
La commission comprend que les images vidéo dont la communication est sollicitée concernent la distribution, par un agent de l’administration pénitentiaire, du repas du soir le 16 décembre 2024 au détenu dont le demandeur est l’avocat.
Elle rappelle sa doctrine selon laquelle les images vidéo enregistrées au sein des locaux et des établissements de l'administration pénitentiaire sont des documents administratifs communicables en application du code des relations entre le public et l'administration à l'intéressé ou à son conseil sous réserve, d’une part, en application de l'article L311-6 de ce code, qu'elles ne portent pas atteinte à la vie privée et qu’elles ne fassent pas apparaître de la part d'un tiers, autre qu'un agent agissant dans le cadre de ses missions de service public, un comportement dont la divulgation pourrait lui porter préjudice et, d’autre part, en application des dispositions du d) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration, que la communication de ces images ne porte pas atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le garde des sceaux, ministre de la justice a indiqué à la commission que la communication de telles images était de nature à porter atteinte, par principe, à la sécurité des personnes et à la sécurité publique ainsi qu’au droit à l’image.
En premier lieu, la commission souligne que l’atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes ne se présume pas et doit être établie au regard du contenu du document et des conséquences susceptibles de s'attacher à sa divulgation. Ce risque peut provenir de circonstances étrangères au document lui-même, comme le comportement agressif du demandeur (CE, 12 juillet 1995, n° 147200 ; CE, 23 décembre 1994, n° 123253 ; CE, 29 mars 1993, n° 105129) ou l’utilisation malveillante qui pourrait en être faite (avis n° 20072710 du 26 juillet 2007). Elle précise que les conséquences susceptibles de s'attacher à la divulgation d’un document doivent être suffisamment manifestes ou clairement établies pour qu’elles y fassent obstacle (comp. CE, 22 février 2013, n° 337987 et 337988).
La commission considère ainsi que la communication d’images vidéo qui permettraient de localiser des postes protégés de surveillants ou des accès de sécurité nécessaires en cas d’intervention au sein de l’établissement serait de nature à mettre en cause la sécurité publique et la sécurité des personnes. Elle ajoute qu’il en irait de même, compte tenu de la nature des missions des agents de l’administration pénitentiaire et du cadre très particulier dans lequel elles sont exercées, de la communication de documents contenant des éléments précis relatifs aux modalités et aux conditions d’intervention en cas d’incident ou de documents décrivant les procédures et dispositifs destinés à assurer la sécurité de l’établissement (rappr. pour les documents relatifs aux modalités et aux conditions d’intervention des forces de l’ordre : avis de partie II n° 20205308 du 21 janvier 2021). Elle en déduit que de tels documents ne sont pas communicables en application du d) du 2° de l’article L311-5 du code des relations entre le public et l’administration.
En l’espèce et en l’état des informations dont elle dispose, la commission considère que les images en cause, relatives à la distribution du repas du soir, ne sont pas susceptibles de révéler des éléments précis sur les modalités, procédures ou dispositifs destinés à assurer la sécurité au sein de l’établissement pénitentiaire concerné, dont la communication obérerait l’efficacité. Il n’apparaît pas davantage, en l’état des informations portées à la connaissance de la commission, que ces images soient de nature à permettre de localiser des postes protégés de surveillants ou des accès de sécurité, ni à révéler d’autres informations sensibles. Dès lors, il n’apparaît pas que leur communication porterait par elle-même atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes.
En deuxième lieu, la commission rappelle, comme elle l’a fait dans son avis de partie II n° 20203092 du 8 octobre 2020, que la vie privée des fonctionnaires et agents publics doit bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens. Elle admet toutefois que les fonctions et le statut de ces personnels justifient que certaines informations les concernant puissent être communiquées sur le fondement du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en est ainsi, notamment, de la qualité d'agent public, des arrêtés de nomination et des composantes fixes de la rémunération. La commission estime cependant que si les administrés doivent pouvoir accéder à certains renseignements concernant la qualité de leur interlocuteur, la protection, par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, de la vie privée impose que ces aménagements soient limités à ce qui est strictement nécessaire à leur information légitime.
La commission estime ainsi que ces agents bénéficient, comme toute autre personne, du respect de leur droit sur l'utilisation de leur image, composante de la personnalité qui n’est pas détachable de la protection de la vie privée.
Elle en a déduit que les enregistrements vidéos d’une instance ou d’un évènement, public ou non, dans lesquels apparaissent des personnes physiques, y compris des agents publics, ne peuvent être, en application des dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, communiqués à un tiers sur le fondement du code des relations entre le public et l'administration, si ces personnes n’ont pas été informées, d’une part, de l’enregistrement de la réunion à laquelle elles participaient, d’autre part, que cet enregistrement était susceptible d’être communiqué à un tiers afin de répondre à une demande de communication de document administratif et enfin, le cas échéant, pour les enregistrements portant sur des communications à distance par interface vidéo, des moyens techniques permettant de ne pas apparaître à l’image. Si ces conditions sont réunies, la commission estime, en effet, que les personnes qui apparaissent à l’image doivent être regardées comme ayant consenti à l’utilisation de leur image dans le cadre d’une demande de communication d’un document administratif. A défaut de consentement des personnes concernées, il appartient à l’administration de flouter des enregistrements de leur image préalablement à la communication de l’enregistrement.
En l’espèce, la commission relève que l’article 6 de l’arrêté du 13 mai 2013 portant autorisation unique de mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel relatifs à la vidéoprotection au sein des locaux et des établissements de l’administration pénitentiaire prévoit seulement que les personnes susceptibles d’être filmées soient informées de l’existence d’un système de vidéoprotection. La commission ne dispose d’aucun élément permettant d’établir que les personnes physiques concernées ont été informées que les images issues de la vidéoprotection étaient susceptibles d’être communiquées à des tiers. Dans ces conditions, elle estime que la communication d’images vidéo faisant apparaître des personnes autres que le demandeur porte atteinte à leur droit à l’image, composante de leur vie privée.
La commission déduit de ce qui précède que les images vidéo sollicitées sont communicables au demandeur, sous réserve, en application de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, qu'elles ne portent pas atteinte à la vie privée, et notamment qu’elles ne fassent pas apparaître le visage de personnes autres que le demandeur.
En dernier lieu, la commission prend note de la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, de permettre au demandeur de visionner sur place, à la maison centrale de Moulins Yzeure, les images vidéo sollicitées. Elle rappelle toutefois que, en application de l’article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration, les modalités d’accès aux documents administratifs s’exercent au choix du demandeur. Elle invite donc le garde des sceaux, ministre de la justice à transmettre au demandeur les images vidéo sollicitées dans les conditions précisées au précédent paragraphe, par le biais d’une copie numérique à ses frais.