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Avis 20251183 - Séance du 27/03/2025
Maître X, conseil de l'X et de Monsieur X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 7 février 2025, à la suite du refus opposé par le préfet des Alpes-Maritimes à sa demande de communication des éléments relatifs à l'affaire dite du « X » suivants :
1) tous les constats établis par Maître X ;
2) tous les contrats signés par l’État jusqu'à présent ;
3) tous les diagnostics réalisés jusqu'à présent ;
4) tous les devis des entreprises missionnées à ce jour ;
5) le plan et le calendrier précis des travaux que l’État compte réaliser ;
6) les premières estimations financières de ces travaux ;
7) tous les courriers que les époux X ont envoyés à la préfecture depuis l'origine ;
8) toutes les réponses que les services de l’État ont apportées à ces courriers ;
9) existe-t-il des contentieux en cours entre les époux X et l’État portant, directement ou indirectement, sur le dossier et les constructions de son client ?
En premier lieu, la commission, qui a pris connaissance de la réponse du préfet des Alpes-Maritimes, rappelle que les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale, ne présentent pas un caractère administratif et n'entrent donc pas dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l’administration. Il en va ainsi, notamment, des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, des décisions du parquet, des dossiers d'instruction, des procès-verbaux d'audition, des rapports d'expertise ou des mémoires et observations des parties - c'est-à-dire de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites - mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 28 avril 1993, n° 117480). Ainsi, les documents, quelle que soit leur nature, qui sont détenus par les juridictions et qui se rattachent à la fonction de juger dont elles sont investies, n’ont pas le caractère de document administratif au sens du livre III du code des relations entre le public et l'administration (CE, 7 mai 2010, n° 303168, pour les tableaux de roulement déterminant la composition d’une formation de jugement).
La commission relève également qu’en application des articles L480-4 et L480-7 du code de l'urbanisme, le juge judiciaire est compétent pour prononcer une amende à l'encontre d'une personne ayant exécuté des travaux en méconnaissance des règles d'urbanisme, lui enjoindre de démolir les ouvrages, de les mettre en conformité ou de remettre les lieux en l’état et qu’il peut assortir cette injonction d'une astreinte, liquidée en application de l'article L480-8 au moins une fois par an et recouvrée par l'État à partir de l'état visé à l'article R480-5. Par ailleurs, à l’expiration du délai fixé par le jugement, le maire ou le fonctionnaire compétent peut, en application de l'article L480-9 du même code, faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol.
En l’espèce, la commission comprend que la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, dans un arrêt du 25 mars 2019 devenu définitif, ordonné la démolition des ouvrages construits illégalement sur le terrain dont le demandeur est propriétaire mais que ce dernier ne s’est pas conformé à cette obligation dans le délai de dix-huit mois fixé par le juge pénal. C’est dans ce contexte que le préfet des Alpes-Maritimes a, par suite, initié une procédure d’exécution d’office sur le fondement de l’article L480-9 du code de l’urbanisme, destinée à mettre en œuvre les travaux nécessaires à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. La commission relève que les documents sollicités aux points 1) à 6) se rapportent à cette procédure d'exécution d’office.
La commission observe que ces derniers sont détachables de la procédure juridictionnelle, laquelle a par ailleurs été menée à son terme. Ces documents, détenus par une autorité administrative, sont produits dans le cadre et pour les besoins d’une procédure administrative. La commission considère que, dans ces conditions, ils constituent des documents administratifs soumis au droit d’accès organisé par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.
La commission en déduit que les constats et diagnostics effectués par les services de l’État sollicités aux points 1) et 3), ainsi que le plan des travaux et leur première estimation financière sollicités aux points 5) et 6) sont communicables au demandeur sur le fondement de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
En ce qui concerne les contrats passés entre l’État et les entreprises titulaires du marché relatif aux procédures d’exécution d’office et les devis des entreprises sollicités aux points 2) et 4), la commission rappelle qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.
Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, n° 375529, que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.
Le Conseil d’État a précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont, en principe, communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…).
La commission relève qu’en revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, de la décomposition du prix global et forfaitaire ou du détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont pas communicables aux tiers. Il en va également ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, qui ne sont communicables aux tiers qu'après occultation des prix unitaires ou de la décomposition du prix forfaitaire, susceptibles, en soi, de refléter la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité déterminé (conseil n° 20221455 du 21 avril 2022).
En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres), les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.
En application de ces principes, la commission estime que les documents visés aux points 2) et 4) sont communicables sous la réserve tenant au secret des affaires. Elle émet donc un avis favorable sur ces points et dans cette mesure.
En deuxième lieu, la commission rappelle que le 3° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration fait obstacle à la communication à un tiers des documents révélant le comportement d'une personne et dont la divulgation pourrait lui porter préjudice. Ainsi, les lettres de plainte ou de dénonciation ainsi que les témoignages, dès lors que leur auteur est identifiable, adressés à une administration, ne sont pas communicables à des tiers, y compris lorsque ceux-ci sont visés par la plainte ou la dénonciation en question.
En l'espèce, la commission comprend qu'un litige oppose l'X et Monsieur X à ses voisins, Monsieur et Madame X, et que ces derniers ont entrepris de nombreuses démarches auprès du préfet des Alpes-Maritimes afin de dénoncer les travaux réalisés, qui se sont notamment matérialisées par les courriers sollicités. La commission estime que ces courriers ne sont, en application des règles qui viennent d'être rappelées, communicables qu'à leurs auteurs. Elle émet en conséquence un avis défavorable à la communication des documents visés au point 7).
En revanche, elle estime que les courriers qui émanent du préfet des Alpes-Maritimes ou de ses services, visés au point 8), sont des documents administratifs communicables au demandeur, le cas échéant après occultation préalable des mentions autres que celles le concernant, dont la communication porterait atteinte à la vie privée d'un tiers ou divulguerait de sa part un comportement susceptible de lui porter préjudice, en application des dispositions des articles L311-6 et L311-7 du code des relations entre le public et l'administration. Elle émet en conséquence un avis favorable à leur communication, sous ces réserves.
En dernier lieu, la commission rappelle que le livre III du code des relations entre le public et l'administration garantit à toute personne un droit d’accès aux documents administratifs existants ou susceptibles d’être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant, mais ne fait pas obligation aux autorités administratives de répondre aux demandes de renseignements qui leur sont adressées. Par suite, elle ne peut que se déclarer incompétente pour se prononcer sur le point 9) de la demande, qui porte en réalité sur des renseignements.