Avis 20252489 - Séance du 19/06/2025

Avis 20252489 - Séance du 19/06/2025

Conseil départemental de l'Isère (CD 38)

Madame XX a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 31 mars 2025, à la suite du refus opposé par le président du conseil départemental de l'Isère à sa demande de communication, en sa qualité de conseillère départementale, par courrier électronique, des documents relatifs à l'audition du département par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les manquements des politiques publiques de protection de l'enfance, suivants :
1) le premier courrier de sollicitation de 2023 du Défenseur des droits auprès du conseil départemental relatif au dispositif de prévention et de protection de l’enfance dans le département ;
2) la réponse du conseil départemental au premier courrier de sollicitation du Défenseur des droits ;
3) les courriers suivants qui ont été échangés entre le Défenseur des droits et le conseil départemental relatifs au dispositif de prévention et de protection de l’enfance dans le département ;
4) la décision territoriale du Défenseur des droits relative au dispositif de prévention et de protection de l’enfance concernant le département de l’Isère ;
5) les notes et rapports d’analyse réalisés par les services du département sur ces demandes ;
6) l’audit des procédures internes de la protection de l’enfance commandité suite au décès de la petite X.

A titre liminaire, la commission rappelle qu'elle n'est pas compétente pour se prononcer sur les droits d'information que les conseillers départementaux tirent, en cette qualité, de textes particuliers tels que l'article L3121-18 du code général des collectivités territoriales, qui dispose que : « Tout membre du conseil départemental a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires du département qui font l'objet d'une délibération ». Toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les élus puissent se prévaloir du droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration qui est ouvert à toute personne, indépendamment des fonctions qu'elle exerce ou des mandats qu'elle détient.

En l’absence de réponse du président du conseil départemental de l’Isère à la date de sa séance, la commission observe que la Défenseure des droits a rendu publiques, le 29 janvier 2025, une décision-cadre relative à la protection de l’enfance, six décisions relatives au dispositif de protection de l’enfance dans des départements ainsi qu’une décision relative aux défaillances d’un département dans sa mission de protection d’un enfant ayant conduit à son décès. Bien que les décisions relatives à des départements aient été rendus publiques sous une forme ne faisant pas apparaître le nom des collectivités territoriales concernées, la commission comprend des pièces du dossier, ainsi que du compte rendu de l’audition du président du conseil départemental de l’Isère par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les manquements des politiques publiques de protection de l'enfance, que l’une d’elles porte sur le dispositif de prévention et de protection de l’enfance de ce département. La commission par ailleurs comprend des mêmes éléments que la décision de la Défenseure des droits relative aux défaillances d’un département dans sa mission de protection d’un enfant en particulier ne porte pas sur la situation mentionnée au point 6) de la demande.

Pour ce qui concerne le point 4) de la demande :

En premier lieu, la commission relève, d’une part, que l’article 25 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits dispose que celui-ci « peut faire toute recommandation qui lui apparaît de nature à garantir le respect des droits et libertés de la personne lésée et à régler les difficultés soulevées devant lui ou à en prévenir le renouvellement. / (…) Les autorités ou personnes intéressées informent le Défenseur des droits, dans le délai qu'il fixe, des suites données à ses recommandations. / A défaut d'information dans ce délai ou s'il estime, au vu des informations reçues, qu'une recommandation n'a pas été suivie d'effet, le Défenseur des droits peut enjoindre à la personne mise en cause de prendre, dans un délai déterminé, les mesures nécessaires. / Lorsqu'il n'a pas été donné suite à son injonction, le Défenseur des droits établit un rapport spécial, qui est communiqué à la personne mise en cause. Le Défenseur des droits rend publics ce rapport et, le cas échéant, la réponse de la personne mise en cause, selon des modalités qu'il détermine ». L’article 29 de la même loi dispose également que le Défenseur des droits « peut saisir l'autorité investie du pouvoir d'engager les poursuites disciplinaires des faits dont il a connaissance et qui lui paraissent de nature à justifier une sanction. / Cette autorité informe le Défenseur des droits des suites réservées à sa saisine et, si elle n'a pas engagé de procédure disciplinaire, des motifs de sa décision. / A défaut d'information dans le délai qu'il a fixé ou s'il estime, au vu des informations reçues, que sa saisine n'a pas été suivie des mesures nécessaires, le Défenseur des droits peut établir un rapport spécial qui est communiqué à l'autorité mentionnée au premier alinéa. Il peut rendre publics ce rapport et, le cas échéant, la réponse de cette autorité selon des modalités qu'il détermine. (…) ».

Enfin, aux termes du I de l’article 36 de la même loi, le Défenseur des droits « peut, après en avoir informé la personne mise en cause, décider de rendre publics ses avis, recommandations ou décisions avec, le cas échéant, la réponse faite par la personne mise en cause, selon des modalités qu'il détermine ».

La commission observe, d’autre part, que les documents produits ou reçus par le Défenseur des droits dans le cadre de la mission de service public que lui confie la loi du 29 mars 2011 constituent des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Elle considère que le législateur organique, en prévoyant que cette autorité peut décider de rendre ou non publics ses avis, recommandations ou décisions selon des modalités qu’elle détermine, n’a pas entendu instaurer un régime spécifique de communication excluant l’application des dispositions des articles L300-1 et suivants de ce code, qui garantissent à toute personne le principe de la liberté d'accès aux documents administratifs.

Elle en déduit que les avis, recommandations et décisions du Défenseur des droits constituent des documents administratifs communicables dans les conditions et sous les réserves prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.

La commission rappelle, en deuxième lieu, que le deuxième alinéa de l’article L311-2 de ce code prévoit que le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration.

Compte tenu des pouvoirs et des modalités d’intervention du Défenseur des droits, la commission considère que, dans les hypothèses prévues par les articles 25 et 29 cités plus haut, l’avis, la recommandation ou la décision du Défenseur des droits peuvent être regardés comme conservant un caractère préparatoire tant que n’est pas intervenue sa décision d’établir ou non un rapport spécial, à l’issue du délai imparti à la personne mise en cause, et de rendre public ou non ce dernier.

En revanche, la commission estime que, lorsque le Défenseur des droits fait usage du pouvoir qu’il tient du I de l’article 36 de la loi du 29 mars 2011 de rendre publics, sous une forme anonymisée, un avis, une recommandation ou une décision dès leur édiction, l’exclusion temporaire du droit d’accès prévue par le deuxième alinéa de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration n’a pas lieu de s’appliquer.

Tel est le cas en l’espèce de la décision territoriale sollicitée au point 4).

En troisième lieu, la commission précise que la communication des avis, recommandations et décisions du Défenseur des droits ne peut intervenir que dans le respect des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, soit après occultation, en particulier, des mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée de tiers, portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, autre que le demandeur, ou faisant apparaître le comportement d'une personne autre que ce dernier, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sous réserve que ces occultations ne dénaturent pas le sens des documents concernés ni ne privent d’intérêt leur communication.

La commission rappelle que, sur ce fondement, les documents tels que les témoignages recueillis dans le cadre d'une enquête administrative, tout comme les lettres de signalement, de plainte ou de dénonciation adressées à une administration, dès lors que leur auteur est identifiable, que ce soit directement ou par déduction, ne sont pas communicables à des tiers, y compris lorsque ceux-ci sont visés par le témoignage ou la lettre en question. À défaut de pouvoir rendre impossible l'identification de leur auteur, l’intégralité des propos tenus doit être occultée. Lorsqu'une telle occultation conduirait à priver de son sens le document sollicité, sa communication doit être refusée.

La commission estime cependant qu’eu égard tant à l’objet du droit d’accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration qu’à la portée de l'article L311-6, qui tend à la protection des intérêts légitimes des personnes privées, la communication d’un document administratif ne saurait être refusée au motif qu’il ferait apparaître, de la part d’une personne publique ou d’une personne privée chargée d'une mission de service public, dans le cadre de l'exercice de leur mission de service public, un comportement dont la divulgation pourrait leur porter préjudice.

Par conséquent, la commission estime que la décision territoriale sollicitée au point 4) est communicable à toute personne en faisant la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve de l’occultation des mentions protégées par les articles L311-5 et L311-6 de ce code.

Elle émet, sous ces réserves, un avis favorable à la demande tendant à la communication de ce document.

Pour ce qui concerne les points 1) à 3) de la demande :

La commission rappelle que l’article 38 de la loi du 29 mars 2011 dispose que : « Le Défenseur des droits, ses adjoints, les autres membres des collèges, les délégués et l’ensemble des agents placés sous son autorité sont astreints au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont connaissance en raison de leurs fonctions, sous réserve des éléments nécessaires à l’établissement des avis, recommandations, injonctions et rapports prévus par la présente loi organique. (…) Sauf accord des intéressés, aucune mention permettant l'identification de personnes physiques ne peut être faite dans les documents publiés sous l'autorité du Défenseur des droits ».

La commission considère que ces dispositions font obstacle à ce que les documents recueillis ou élaborés par les agents du Défenseur des droits, dans l’exercice de leurs missions, soient communiqués à un tiers alors même qu'il est partie à la procédure engagée par l’institution. La commission considère en effet que ces documents sont couverts par le secret professionnel résultant des dispositions combinées de l’article 38 de la loi organique du 29 mars 2011 et du h) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration (avis n° 20142672 du 16 octobre 2014).

Elle estime que ce secret protégé par la loi fait ainsi obstacle à la communication des documents échangés entre la personne mise en cause et le Défenseur des droits, que la demande soit adressée à ce dernier ou à une autre autorité administrative.

La commission émet dès lors un avis défavorable sur les points 1) à 3) de la demande.

Pour ce qui concerne les points 5) et 6) de la demande :

La commission rappelle qu’un rapport d’enquête ou un audit réalisé par ou à la demande de l'autorité responsable d’un service public est un document administratif en principe communicable à toute personne qui en fait la demande sur le fondement des dispositions de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration à la condition d'une part, que l’enquête soit achevée, d'autre part, qu'il ne présente plus un caractère préparatoire.

Elle précise qu’un tel rapport ne peut revêtir un caractère préparatoire, au sens des dispositions du livre III du code précité, que lorsqu'il est destiné à éclairer l'autorité administrative en vue de prendre une décision administrative déterminée et que cette décision n’est pas encore intervenue, ou que l’autorité administrative n’a pas manifestement renoncé à la prendre.

La commission ajoute que la communication d’un tel rapport ne peut par ailleurs intervenir que sous réserve de l’occultation ou de la disjonction des passages qui porteraient atteinte à l’un des intérêts protégés par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

Sous ces réserves, la commission émet un avis favorable à la demande de communication des notes, rapports d’analyse et de l’audit sollicités aux points 5) et 6).