Avis 20224845 - Séance du 03/11/2022

Avis 20224845 - Séance du 03/11/2022

Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP)

Monsieur X, pour X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 4 août 2022, à la suite du refus opposé par le président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) à sa demande de communication, sous format électronique par courriel ou sous format papier, des documents ayant conduit la CNCCEP à signaler à X des contenus que ses services considèrent comme potentiellement litigieux au regard du code électoral, à communiquer ce signalement sur son compte officiel Twitter et à saisir le réseau social Twitter pour obtenir la suppression de contenus :
1) les correspondances, sous forme papier ou électronique, adressées à la CNCCEP, portant sur l’objet de ces décisions ;
2) les correspondances, sous forme papier ou électronique, entre la CNCCEP et les autorités publiques, portant sur la préparation de ces décisions ;
3) les correspondances, sous forme papier ou électronique, entre la CNCCEP et Twitter, et, le cas échéant, avec d’autres organismes privés, portant sur la préparation de ces décisions ;
4) les échanges entre les membres de la CNCCEP, sous forme papier ou électronique, les instructions, notes de travail, avis, rapports, comptes rendus de réunions, procès-verbaux.

Par un courrier du 9 août 2022, la Commission d’accès aux documents administratifs a transmis la présente demande d’avis à la CNCCEP qui, en qualité d’administration mise en cause est tenue, en application de l’article R343-2 du code des relations entre le public et l’administration, de lui communiquer « tous documents et informations utiles et de lui apporter les concours nécessaires ».

Elle regrette qu’en dépit des diligences effectuées et d’un renvoi à une séance ultérieure, l’autorité saisie n’ait toutefois pas été en capacité de lui apporter les éléments d’information attendus. Elle souligne, ainsi qu’elle l’a fait dans son avis n° 20220181 du 31 mars 2022, que la communication, par les administrations mises en cause, des documents et informations susmentionnés a pour seul objet de permettre un examen utile et circonstancié des demandes d’avis qui lui sont soumises. Elle insiste, à cet égard, sur la nécessité, pour les administrations, lorsqu’elles ont refusé, en tout ou partie, la communication des documents demandés, de produire, en temps utiles, ces derniers afin de permettre à la commission d’en comprendre puis d’en apprécier la nature et la teneur.

Sur le fond, n’ayant pas pu prendre connaissance des documents demandés, ni n’ayant été destinataire d’observations de la part de la CNCCEP, la commission ne peut, dès lors, que rappeler les principes suivants.

Elle relève, en premier lieu, qu’ainsi que le rappelle le rapport établi par la CNCCEP relatif aux scrutins des 10 avril 2022 et 24 avril 2022, la CNCCEP est une structure non permanente, « réactivée » à l’occasion de chaque scrutin, dont l’existence résulte, en dernier lieu, d’un décret n° 2001-213 du 8 mars 2001, portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel. Elle exerce un pouvoir de décision en ce qui concerne l’homologation des affiches et professions de foi des candidats. Pour le reste, elle est investie d’une magistrature morale, qu’elle exerce pour s’assurer du bon déroulement de la campagne électorale, faire respecter le principe d’égalité entre les candidats, la loyauté du scrutin. Elle est composée de trois membres de droit - le vice-président du Conseil d’État, qui la préside, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes, ainsi que deux membres en activité ou honoraires du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes, désignés conjointement par les trois membres de droit. Elle peut en outre s’adjoindre des rapporteurs et elle est assistée de trois fonctionnaires. Au nombre de ses attributions, la CNCCEP est chargée d’exercer une surveillance des différents aspects de la campagne électorale - réunions publiques, presse écrite, médias audiovisuels, internet, réseaux sociaux - et d’intervenir pour que cessent des agissements qui pourraient compromettre l’expression libre et éclairée du suffrage. La commission comprend que ces interventions peuvent prendre la forme d’un signalement à la personne à l’origine de tels agissements.

1. Sur le caractère administratif des documents demandés :

La commission rappelle que les documents produits ou reçus par une autorité administrative dans le cadre des missions de service public exercées et des compétences détenues à ce titre, constituent des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration.

En l’espèce, la commission relève que les documents sollicités sont en lien avec un signalement effectué le X par la CNCCEP au X, à la suite de la publication par ce dernier d’un article de presse. La CNCCEP a en effet estimé que cet article apparaissait comme en infraction avec les dispositions de l’article L49 du code électoral et qu’il appartenait au site de prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser cette infraction.

La commission estime que lorsqu’elle procède au signalement d’une personne, la CNCCEP agit dans le cadre de ses missions de service public et des compétences détenues à ce titre. Elle en déduit que les documents en lien avec un signalement produits ou reçus dans le cadre des fonctions exercées au nom de la CNCCEP par les membres de cette commission ainsi que, le cas échéant, par les rapporteurs et agents publics qui l’assistent, constituent des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que ces personnes sont réputées agir au nom de la CNCCEP.

La commission estime, en application de ces principes, que les documents sollicités revêtent un caractère administratif à l’exception toutefois, s’agissant du point 4), de ceux qui n’auraient pas été échangés par les membres de la CNCCEP au nom de cette commission dans le cadre de leur fonction et qui seraient, dès lors, détachables des compétences détenues à ce titre. La commission estime en effet que ces documents, qui ne sont pas administratifs, échappent à sa compétence.

2. Sur la communication des documents administratifs demandés :

La commission relève, en premier lieu, s’agissant du point 4), que dans son courrier du 12 juillet 2022, le président de la CNCCEP a fait valoir que les échanges internes entre les membres de la CNCCEP sont couverts par le secret des délibérations de la commission.

La commission rappelle que le h) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que ne sont pas communicables les documents dont la communication porterait atteinte à un secret protégé par la loi. Elle estime que pour entrer dans le champ de cette réserve, le secret des délibérations d’une instance collégiale, qui a pour objet de faire obstacle à la diffusion publique des prises de position formulées par les membres d’une instance collégiale doit bénéficier dans la hiérarchie des normes d’un régime de protection fixé par une loi ou par des textes ou principes de valeur supérieure entrant dans le champ de cette réserve.

En l’espèce, la commission relève, toutefois, que la confidentialité des échanges entre les membres de la CNCCEP n’est consacrée par aucun texte. Elle en déduit que le secret des délibérations ne saurait en l’espèce faire obstacle à la communication des documents mentionnés au point 4) de la demande.

La commission rappelle, en second lieu, s’agissant de l’ensemble des documents, qu’en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, ne sont communicables qu’aux personnes intéressées, c'est-à-dire la ou les personnes auxquelles les informations se rapportent directement, les documents administratifs : « (…) ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) ».

La commission précise que l’exception prévue par le 3° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration vise les documents faisant en eux-mêmes apparaître le comportement d’une personne, physique ou morale, dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice et non pas ceux qui, compte tenu du contexte dans lequel ils ont été élaborés, seraient de nature à dévoiler le comportement préjudiciable de leur auteur.

Comme elle l’a rappelé dans son avis de partie II, n° 20175858, du 8 mars 2018, cette exception recouvre en principe deux hypothèses différentes :
- les lettres de plainte ou de dénonciation ainsi que les témoignages ou signalements, sur lesquels l’administration s’appuie pour prendre une décision, ne sont pas communicables à des tiers, y compris lorsque ceux-ci sont visés par la plainte ou la dénonciation en question, dès lors que leur auteur est identifiable et que le contexte fait craindre un risque de représailles ou de dégradation des relations ;
- la divulgation du comportement d’une personne peut également lui porter préjudice lorsque la diffusion d’une information pourrait entraîner une dégradation de sa situation, voire de sa réputation, ou lorsque l’irrégularité commise par cette personne est susceptible de poursuites ou de sanctions.

La commission considère traditionnellement que dans l'hypothèse où une autorité administrative procède, dans l’exercice de sa compétence, au signalement d'une personne (agent, usager, tiers), seule la personne qui est l’objet de ce signalement a la qualité d'intéressée au sens de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Un signalement est en effet susceptible de révéler de sa part un comportement dont la divulgation pourrait lui porter préjudice.

En l’espèce, elle estime que le demandeur, qui présente sa demande pour le X, est intéressé par les documents administratifs dont il demande la communication. Ces derniers lui sont, dès lors, communicables en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

Elle émet donc un avis favorable à la demande.

La commission précise, toutefois, s’agissant du point 1), que le 3° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration s’oppose en général à la communication des signalements et dénonciations émanant de personnes qui ne sont pas chargées d'une mission de service public, à moins qu'il soit possible de communiquer au demandeur tout ou partie de ces documents dans des conditions rendant impossible l'identification de leur auteur.

En l’espèce, en supposant que parmi les documents mentionnés au point 1), certains s’apparentent à des dénonciations ou à des signalements émanant de tiers, la commission émettrait un avis favorable à la demande, sous cette réserve.